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René Goscinny

Seul, sans amis,
sans un sou

extrait de l'ouvrage Goscinny. Du Panthéon à Buenos Aires, chroniques illustrées publié par IMAV éditions

Les grandes réussites financières sont fascinantes. Les magnats, les self-made men le savent bien puisque, très souvent, ils cèdent à la tentation d'écrire leur autobiographie pour y raconter leur spectaculaire ascension. Tous ces livres ont une chose en commun: l'auteur est parti de rien, mais encore faut-il s'entendre sur ce que « rien » veut dire. Je dois avouer, en lecteur passionné de ces ouvrages, que certains petits détails me stupéfient, ils concernent en général les premiers échelons de la réussite. Jugez-en

« Seul, sans amis, sans un sou, pratiquement en guenilles, j'avais touché le fond du désespoir. C'est alors que je pris une décision qui allait peser lourd dans ma vie: j'achetai mon premier immeuble... »

« J'arpentais de mes semelles trouées le pavé hostile de Paris.
Seul, sans amis, sans un sou, mais, et c'est là l'important sachez-le, jeunes qui me lisez, je ne me décourageai pas. Je pris rendez-vous avec le gouverneur de la Banque de France qui me reçut dans son immense bureau lambrissé. J'étais, je l'avoue, intimidé; mettez-vous à ma place... »

« A la mort brutale de mes parents, je restai soudainement seul, sans amis, sans un sou. Je n'avais pour toute fortune que ce que mon pauvre armateur de père m'avait laissé, à savoir: une flotte de quatorze vieux transatlantiques... »

« Seul, sans amis, sans un sou, j'avais été recueilli par une brave femme, vague parente de ma mère, qui gagnait chichement sa vie en exécutant à domicile je ne sais quels travaux d'aiguille. Elle m'avait alloué une chambre minuscule où elle me laissait me livrer à mes petites recherches. Un jour, on frappe à ma porte, j'ouvre, et je me trouve en présence d'un homme âgé, corpulent, à l'aspect cossu. C'était Léon Bragadet propriétaire de la plus importante usine de produits chimiques de l'époque. Léon Bragadet déposa son huit-reflets sur la table, s'assit avec précaution sur mon lit étroit dont les ressorts grincèrent et, sans plus de préambules, me déclara:
- Mme Leleu, votre logeuse, m'a fait savoir que vous vous intéressez à la chimie... »

« Seul, sans amis, sans un sou, un jour que je déjeunais dans un petit restaurant avec le président du Conseil... »

« Je n'avais plus rien à faire à Paris: j'étais seul, sans amis, sans un sou, ce qui s'appelle sans un sou. Je décidai alors de partir pour l'Australie. Arrivé à Sydney, je m'installai dans un modeste bureau composé de trois pièces et j'engageai deux secrétaires. C'est de là que tout est parti... »

«Personne ne me connaissait à Hollywood.. Qui aurait pu me connaître d'ailleurs dans ce qui était alors Ia Mecque du cinéma? Je n'étais qu'un pauvre petit Européen sans expérience, seul, sans amis, sans un sou. Je réussis néanmoins à intéresser Gary Cooper et Marilyn Monroe à mon projet. Quand Samuel Goldwyn accepta de coproduire mon film... »

Et voilà!.... Au fond, je persifle, je ricane, mais c'est de l'amertume. Je crois que mon drame c'est de n'avoir jamais réussi à être seul, sans amis, sans un sou. Quand je suis seul et sans amis, j'ai des sous, et quand je donne mes sous, je me fais des amis et je ne suis plus seul. Ça pourrait faire l'objet d'un livre, mais je me demande si on le lirait. Peut­être mes amis, ceux qui ont mes sous...

Ah! franchement, quelquefois, je me sens bien seul!

Seul, sans ami, sans un sou , extrait de l'ouvrage Goscinny. Du Panthéon à Buenos Aires, chroniques illustrées publié par IMAV éditions
Illustration de Zep

© IMAV éditions, 2007
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15/10/2007
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