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Le Grand Mort : une équipe magique pour un récit entre 2 mondes

Du suspense, un garçon placide, une fille grognon, une région riche de récits magiques, un monde parallèle, des êtres étranges, un vieux grimoire, Le Grand Mort s’annonce sous les meilleurs auspices. Signée Régis Loisel, Jean-Blaise Djian, Vincent Mallié et François Lapierre, cette nouvelle série devrait ravir les fans des uns et des autres. Et plus encore.

Il a fallu du temps, beaucoup de temps, pour que Le Grand Mort émerge du placard où cette belle histoire était rangée, pas moins de huit ou neuf ans avant que ces Larmes d’Abeille n’éclairent les bacs des libraires… Jean-Blaise Djian explique :

« Régis Loisel avait l’idée de cette histoire depuis un bon moment. Il l’avait notée sur des feuillets et l’avait mise de côté. Soleil lui avait demandé s’il était intéressé pour travailler avec eux, mais bon, il n’avait pas le temps. Un jour, il m’en a parlé, et je lui ai proposé de l’aider. »

Élaboration commune

Régis Loisel transmet donc le tout, pas moins d’une trentaine de feuillets au total, à Jean-Blaise Djian, qui trouve la matière particulièrement séduisante et intéressante :

« J’ai tout lu, puis j’ai commencé le travail de découpage, sur les 26 premières pages, case par case. Ensuite, nous avons tout retravaillé ensemble à deux reprises, pour que le projet s’inscrive bien dans l’idée que Régis s’en faisait. Après, il a fallu démarcher un éditeur. Ce sera Vents d’Ouest, déjà éditeur de son Peter Pan. Il faut savoir qu’un premier dessinateur était pressenti, mais il a dû décliner, pour des raisons personnelles. Et le projet est resté à l’abandon, en friches, jusqu’à ce que Vincent Mallié se manifeste. »


Etude de personnages, par Vincent Mallié

L’arrivée de Vincent Mallié

Ce dernier « recrutement » est le fruit d’un heureux hasard. L’écriture du scénario avancée, Régis Loisel et Jean-Blaise Djian passent une petite annonce sur un site BD. Las, les candidats ne correspondent pas. La solution viendra de l’entourage :

« Un ami travaillait avec Joël Parnotte, qui venait de finir un one-shot. Je lui ai parlé du projet, mais il était déjà engagé ailleurs, et Vincent Mallié, un ami de Joël, nous a alors contactés. »

L’auteur des Aquanautes, qui vient de clore le cycle de L’Arche (Soleil), fait des bouts d’essai, Loisel apprécie. Voilà donc l’équipe constituée, le « vrai » travail commence - sans oublier le coloriste, le Québécois François Lapierre, qui collabore déjà avec Régis Loisel sur Magasin Général, et qui joue ici un rôle non négligeable.

Loisel, créateur d’univers


Croquis préparatoire, par Vincent Mallié

Autant le dire dès à présent, Régis Loisel propose un nouvel imaginaire de haut niveau et assez différent de ses précédentes grandes séries. Il y eut d’abord la pose du cadre, ce que l’on pourrait appeler les bases, La Quête de l’Oiseau du Temps - un 6e opus dessiné par Mohamed Aouamri sort prochainement chez Dargaud. Régis Loisel y a affirmé son goût - et son talent - pour l’heroïc fantasy, créant même un courant « à la française », en compagnie de son compère Serge Le Tendre.

Plus tard, il y eut Peter Pan (Vents d’Ouest), un cycle dans lequel, de « simple » scénariste, Régis Loisel devint « auteur complet », renforçant dans le même élan son penchant pour l’imaginaire, y glissant aussi beaucoup plus de lui-même. Il y eut encore d’autres temps, peut-être moins en pointe de l’actualité bédéphilique, mais tout de même… Il y a, beaucoup plus récemment et toujours pendante, la série Magasin Général (Casterman), dans laquelle il inaugure une autre manière de travailler - un 4-mains complet avec Jean-Louis Tripp -, et une façon de montrer les hommes aussi. Il ne s’agit plus de mondes imaginaires, mais d’un microcosme réel dans lequel vivent des hommes et des femmes.

Une écriture à quatre mains

Le cycle du Grand Mort fera probablement date lui aussi, en ce qu’il ressemble à une symbiose de tous ces univers, des hommes, des petits lutins, du rêve, de la tension, des rapports entre homme et femme, et d’un travail à plusieurs mains. Jean-Blaise Djian raconte :

« J’étais habitué à écrire des scénarios seul. Cette fois, j’ai dû entrer dans une histoire dont je n’étais pas l’initiateur et à laquelle je n’ai pas participé à son début. Il m’a fallu comprendre les intentions de Régis, les assimiler, parce qu’il ne pose rien au hasard, tout a un sens précis. Pour le reste, nous avons réalisé un vrai travail en commun. Passé la première partie, nous avons réellement coécrit la suite du découpage et la fin ensemble. Nous suivions la trame de l’histoire, puisque nous savons exactement où nous allons, mais nous avons enrichi la trame ensemble, case par case. Dans ce cadre, nous avons réellement écrit un scénario à quatre mains, idée après idée, image après image. »

L’écriture des dialogues est du même ordre :

« Parfois, nous sommes restés bloqués longtemps pour trouver le mot juste. Régis se montre très exigeant, il analyse la façon de parler du personnage par rapport au contexte, aux autres personnages, à l’environnement, c’est un boulot d’orfèvrerie. Il ne laisse rien passer, l’album doit être au meilleur niveau possible. Chacun des intervenants a appris à travailler dans la précision. Pour le coup, c’est une vraie école. »

Une exigence de qualité de chaque instant

Vincent Mallié fait état de ce même niveau d’exigence :

« C’est la première fois que je travaille sur une série de ce genre. Jusqu’à présent, j’évoluais plutôt dans le domaine de la science-fiction. Comme c’est Régis Loisel qui nourrit l’univers, je ne voulais pas faire du copiage, cela n’aurait pas été intéressant. Je voulais apporter mon graphisme, ma manière de voir les choses. Pour autant, Régis m’a poussé dans mes retranchements au niveau graphique, dans mes découpages. Par exemple, j’ai réalisé beaucoup de dessins pour trouver les visages des personnages principaux, Erwan et Pauline. À chaque fois, il s’agissait de petits ajustements, mais Régis tenait vraiment à ce qu’ils dégagent quelque chose de précis. Autre point important, je ne voulais pas d’un univers fées-korrigans - cela a déjà été fait, il y a déjà beaucoup de séries inspirées des légendes bretonnes -, j’ai donc essayé de réaliser un univers parallèle un peu différent. J’ai proposé des choses à Régis, qui m’a poussé à donner à la fois quelque chose de plus grandiose et un espace plus stylisé. Je me suis inspiré non de la culture bretonne, mais d’éléments ethniques, issus par exemple des cultures tibétaines ou africaines. Rien n’est révolutionnaire, juste la volonté d’aller un peu plus loin. »

Un nouveau monde

Résultat, Pauline est presque l’archétype de l’étudiante stressée et « chiante » qui ne pense qu’à ses chères études, Erwan celui d’un petit gars de la campagne qui veut prendre le temps de vivre, « toujours d’humeur égale » dixit Vincent Mallié. Acontrario, et sans doute de manière aussi voulue, les visages des personnages du Petit Monde sont lisses, ne montrant rien de leurs émotions à l’extérieur d’eux-mêmes, comme si cet extérieur est secondaire. Une opposition comme il y en a beaucoup dans ce premier opus, car tout ici est parfaitement pensé, posé, réfléchi. Il faut y ajouter la notion du temps, immuable dans notre monde mais tout à fait différente dans cet univers parallèle, avec ce que l’on pressent comme des conséquences pour la suite de l’histoire : dix jours du Petit Monde correspondent à deux de nos années… La nature mérite tout autant le détour. Tout comme la région où vit Erwan, qui ressemble par bien des aspects à la Bretagne des Côtes-d’Armor (d’aucuns penseront notamment à Traou-Nez, un petit coin perdu du côté de Paimpol, même si, comme l’affirme Vincent Mallié, « c’est n’importe où en Bretagne »), terre propice à l’imaginaire menant au Petit Monde…

Au-delà d’un univers strictement « loiselien », une œuvre commune

Il ne faut surtout pas croire que chacun était cantonné à son propre rôle. C’eût été limiter l’apport d’une si belle équipe. Régis Loisel a su impulser - un don de cet auteur-phare du 9e art ? - une dynamique où chaque membre a pris sa place dans un espace riche d’interférences avec les autres.


Croquis préparatoire, par Vincent Mallié

« Vincent participait, comme il l’avait d’ailleurs fait avant et ailleurs, au scénario, raconte Jean-Blaise Djian. Tantôt il suggérait que telle chose était difficile à expliciter, tantôt il trouvait que l’effet voulu n’était pas assez appuyé. Il est donc intervenu. Ainsi, l’an dernier, quand nous avons travaillé à trois, il nous a fait part de bonnes idées qui ont fait avancer notre travail. Il nous disait ce qu’il pensait du scénario, demandant parfois des modifications, pour plus d’efficacité. »

Le même Vincent précise d’ailleurs que le coloriste, François Lapierre, bien qu’installé dans la Belle Province, « a apporté quelque chose au dessin, les couleurs sont lumineuses, denses. Je suis très content. » Sublimation d’un univers par la grâce de couleurs chatoyantes…

De belles perspectives

Pour tous ceux qui apprécieront ce premier opus, le deuxième tome est déjà bien avancé et devrait paraître dans un an à peu près : le découpage du tome 2 est complètement bouclé, et 35 pages sont déjà dessinées, sur la cinquantaine prévue (Régis Loisel aime bien prendre son temps au-delà du classique 48-pages). Quant au nombre d’albums prévus, il devrait y en avoir de 4 à 6. Pourquoi cette marge importante ? Cela dépendra du rythme que le récit saura prendre par lui-même, et de ce que chacun, scénaristes comme dessinateur, pourra y glisser pour enrichir encore et encore la teneur de cette belle aventure qui vient de commencer.

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Mickael du Gouret

Propos de Jean-Blaise Djian et de Vincent Mallié recueillis par Mickael du Gouret en novembre 2007 (avec la complicité de Brieg F. Haslé)
Visuels © Loisel - Djian - Mallié / Vents d’Ouest
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Remerciements à Caroline Longuet et Sophie Ricaume

Voir les premières planches du Grand Mort

12/11/2007 - source : auracan.com