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Yves Sente, le Vatican et le Janitor

Yves Sente

Parallèlement à ses excellentes reprises de Blake & Mortimer (avec André Juillard) et plus récemment de la saga Thorgal où il poursuit l'aventure en compagnie de Grzegorz Rosinski avec la bénédiction de Jean Van Hamme, Yves Sente, scénariste et éditeur, développe en compagnie de François Boucq les pérégrinations pas toujours catholiquement correctes du Janitor. Rencontre à l'occasion de la parution du tome 2, Week-end à Davos, chez Dargaud.

Lorsqu'on lui demande qu'elles sont ses actualités, en sus de sa reprise remarquée de Thorgal en compagnie de Rosinski, Yves Sente avoue ne pas en avoir énormément : « Parce que je n'ai pas le temps d'en faire beaucoup, et que je suis un lent » nous explique-t'il. « Pour un scénario, j'aime avoir le temps de le laisser reposer, de le relire, de le soumettre à des proches, de le retravailler… » Si l'aventure du superbe diptyque La Vengeance du Comte Skarbek semble achevée (aurions-nous droit à une nouvelle histoire ?…), un nouvel épisode de Blake & Mortimer est annoncé pour 2008 : « Il y en a un qui va bientôt sortir, mais je ne vais plus en écrire pendant plusieurs années car il y a le diptyque écrit par Jean Van Hamme qui arrivera ensuite ». Aujourd'hui, Yves Sente consacre donc prioritairement ses soirées et ses week ends à deux séries : «  Le Janitor est une série que je vais avoir beaucoup de plaisir à alterner avec Thorgal  ».

Janitor T2

Un thriller d'un nouveau genre

Paradoxalement, Le Janitor est un thriller contemporain se déroulant dans les coulisses du Vatican, État au sens propre et cadre d'action non dénué de poésie et d'éléments plus ou moins surnaturels. Yves Sente nous confie : « François Boucq m'avait demandé de lui écrire un thriller “intelligent“. Cela ne voulait évidemment pas dire que les autres thrillers sont idiots, mais il voulait quelque chose de réellement novateur. Il existe déjà des séries de qualité avec des agents de la CIA ou du FBI à la télé ou en littérature. J'en édite certaines en BD, d'ailleurs, comme Alpha ou IRS … Il nous fallait donc réaliser autre chose. » François Boucq voulait de l'action et du suspens, « les bases même du thriller » comme le précise Sente, mais désirait aussi une dimension plus humaine, propice à la réflexion et un nouvel angle à partir duquel observer les enjeux du 21e siècle. « C'est pour cela que j'ai introduit ce personnage qui évolue dans l'univers, certes spirituel, mais réel du Vatican, tout en amenant une dimension plus surnaturelle ou mystérieuse avec des personnages dont on ne sait trop ce qu'ils sont : des fantômes, des pensées que seul Vince verrait… »

Un nouveau regard sur la géopolitique mondiale

Les deux auteurs ont beaucoup discuté ensemble avant de se lancer. Nul doute que Boucq prend plaisir à mettre en scène cette nouvelle facette de son œuvre protéiforme. « Si François s'amuse, poursuit Yves Sente, il y a de fortes chances que le public s'amuse bien. » Quid de la base narrative du Janitor ? « Nous ne souhaitions pas aborder l'ésotérisme comme une priorité. Savoir si Jésus a couché avec Marie-Madeleine ou si le prétendu trésor des Templiers est caché en France ou à Jérusalem est le cadet de mes soucis ! Nous voulions plutôt opter pour un regard différent sur la géopolitique et les grands défis socio-économiques d'aujourd'hui. » Sente nous fait remarquer que souvent le regard du cinéma ou de la littérature est celui des Américains ou des Anglais, « or l'œil du Vatican est un œil radicalement différent. Si le Vatican est juridiquement un État comme les autres, il ne fonctionne pas de la même manière. Tous les états modernes fonctionnent au mieux par rapport à la durée du mandat présidentiel ou gouvernemental et, s'il s'agit d'une dictature, la durée de vie d'un projet politique peut aller jusqu'à ce que le dictateur soit assassiné ! Ce qui arrive en général avant la durée moyenne de vie d'un homme. Bref. » Il est certain qu'au Vatican, le même système de gouvernance est en place depuis 1600 ans : « C'est un système unique car le chef y est élu pour être « dictateur à vie », en quelque sorte ! C'est très intéressant car les responsables du Vatican peuvent se permettre d'avoir une vision du Monde qui n'a rien à voir avec celle des autres États. Pas de souci de réélection ni de peur d'être destitué par un coup d'État. »

Un rapport au temps différent

Nouvel explorateur des arcanes vaticanes, Yves Sente nous évoque le peu connu réseau de renseignements du Saint-Siège : « Pendant des années des agences comme la CIA se sont renseignées grâce au Vatican sur des régions du monde où elles n'avaient pas les moyens d'avoir un agent, alors que le Vatican disposait d'un curé assermenté dans chaque village ! » Au-delà des aventures de leur héros pas comme les autres, Boucq et Sente s'intéressent à cette particularité du Vatican : « regardons le monde au travers d'un système qui existe depuis 1600 ans mais qui réfléchit sur 100 ou 200 ans. » Et le scénariste de poursuivre : « Les gens s'offusquent que le Pape dise non au préservatif. Évidemment qu'il dit non, parce que dans sa logique, le fléau dramatique que représente le SIDA demeure un problème terrestre qui sera résolu dans le temps comme d'autres grandes épidémies ou pandémies ont pu être éradiquées par le passé. Combien de temps cela va prendre ? Pour le Vatican, 50 ou 100 ans, ce n'est pas la même chose que pour nous. La Curie pense à 100 ou 200 ans et elle ne va pas remettre en cause et mettre en danger 1600 ans de convictions et de discours cohérent pour un phénomène de société qui, lui, ne va durer que quelques décennies. Ce n'est rien par rapport à leur échelle de vision. C'est très difficile pour des gens comme nous de parvenir à penser comme ça sans être tenté de juger de manière radicale car nous sommes en permanence dans le très court ou le court terme » Il est donc fort intéressant pour les auteurs de faire jouer un personnage dans un tel contexte. « Le Janitor va pouvoir regarder les choses avec une distance et un regard neufs… tout en gardant ses doutes. C'est cela qui nous intéresse, François et moi, avec cette série. »

Alors que Week-end à Davos , deuxième opus du Janitor paraît aux éditions Dargaud, laissons à Yves Sente, le mot de la fin : « On n'invente jamais rien de réellement neuf. Toutes les histoires que l'on peut écrire l'ont déjà été cent fois sous un angle ou un autre. Le défi du créatif, c'est de découvrir un angle nouveau pour traiter de sujets maintes fois abordés. C'est ce que le public attend de lui et si l'auteur déçoit le public sur ce point… tout le reste s'écroule. Notre objectif est avant tout de surprendre.» Ce que François Boucq et Yves Sente réussissent ici avec un talent certain.

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Brieg F. Haslé

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A voir : le mini-site de la série Janitor

Propos recueillis par Brieg F. Haslé et Manuel F. Picaud à Saint-Malo le 28 octobre 2007 © Brieg F. Haslé - Manuel F. Picaud / Auracan.com
Photo d'Yves Sente © Marc Carlot / Auracan.com
Visuels © François Boucq - Yves Sente / Dargaud
Remerciements à Diane Rayer

27/11/2007 - source : auracan.com