Tramp dans la moiteur de Saïgon

En juin 2003, en compagnie de Serge Le Tendre, Patrick Jusseaume et Jean-Charles Kraehn publièrent Mission Vietnam chez Glénat. Les compères ramenèrent de leur voyage au Vietnam un séduisant carnet de voyage nous présentant les attraits culturels, mais aussi les difficultés de ce pays asiatique. Tout ceci pour vous dire que nombre de lecteurs du thriller maritime Tramp eurent la puce à l'oreille : nul doute que les auteurs aient profité de ce voyage pour engranger idées et documentation…

Après la Normandie, l'Amérique du Sud et les côtes africaines, Kraehn et Jusseaume embarquent leur héros Yann Calec dans un nouveau cycle, asiatique cette fois. « Amener Calec en Indochine est une façon de nous renouveler, confie Jean-Charles Kraehn. Difficile de trouver des intrigues différentes sur le thème de la marine marchande, car la vie de ces marins tournait souvent autour des mêmes problèmes, liés principalement au cargo. Heureusement, celui-ci bouge et change de lieux. Cela nous permet de faire voyager nos lecteurs avec Calec… ». Pas étonnant, en ces années 1950, qu'un marin de commerce comme Calec soit confronté aux territoires français d'Indochine. «  Tramp est une série maritime et par la nature même de son boulot, Calec est appelé à bouger. Les marins de cette époque parcouraient le monde au gré des frets que leurs compagnies respectives trouvaient. Il nous a paru tout à fait normal que Calec aille à un moment de sa carrière naviguer en Indochine » précise le scénariste.

L'ombre du père

Ce troisième cycle permet également à Kraehn de mêler biographie imaginaire de son héros et souvenirs familiaux : « Personnellement, la guerre d'Indochine me fascine par sa nature (cette guerre de libération où les Français n'avaient pas le beau rôle), par la complexité de ses enjeux, par les innombrables personnages haut en couleur qui en ont été les acteurs. De plus mon père l'a faite, ça m'intéressait donc de la montrer. Comme la chronologie de la série nous amenait en 1952, c'est-à-dire deux ans avant Diên Biên Phu qui en marqua la fin, du moins pour les Français, c'était le moment où jamais. De plus, ça n'a pas été fait, ou très peu, en bande dessinée. Alors pourquoi s'en priver ? ». Voilà donc Calec prenant le commandement d'un bateau basé à Saïgon, théâtre de cette sale guerre où les Français se sont laissés entraîner. Là-bas, « il recherche un soldat et sa piste le ramènera sans cesse sur celle de son père, décédé dans ce pays, avec qui il était fâché et dont il découvrira le passé trouble »…

Couleur directe or not couleur directe ?

Évènements historiques et secrets de famille se mêlent habilement dans cette nouvelle fresque pour laquelle Patrick Jusseaume a tenté d'adopter une nouvelle technique. Pour animer ses planches, le dessinateur s'est expérimenté à la couleur directe. « Les onze premières planches, explique-t-il, sont effectivement réalisées en couleur directe. Cette innovation est le résultat d'un besoin de retoucher l'encrage après la mise en couleur afin de mieux mettre la lumière en valeur. C'est elle qui détermine l'ambiance, toute en nuance : elle est primordiale. Mais cela me prenait tellement de temps que j'ai été obligé de reprendre la technique classique à partir d'un bleu. Du coup, j'ai compensé cette petite frustration en cherchant à réduire le nombre de couleurs pour obtenir des ambiances plus denses. Dans tous les cas, je constate que ce plaisir va grandissant. Si je devais revenir au noir et blanc,  il me semblerait logique d'abandonner également la “ligne claire” et d'utiliser les noirs pour jouer avec la lumière ». Nul doute, au vue du résultat, que ses lecteurs ne lui en voudront pas !