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BD réaliste : la mode du diptyque

Le marché de la bande dessinée reste le plus dynamique de l’édition en France. Au 1er semestre 2008, ses taux de progression dépassaient ceux des autres secteurs de l’édition. Il continue de s’adapter pour proposer une large palette d’albums pouvant répondre au goût de tous les publics. Parmi les innombrables formules recherchant le succès, une tendance dans la BD réaliste s’affirme autour du diptyque, c’est-à-dire une histoire en deux tomes. Exemples et explications.

Paquet
© Taborda - Verelst / Paquet
Ce format permet de boucler une même histoire en 92 voire 108 pages. L’auteur peut raconter plus facilement son histoire qu’en 46 pages. Exemple parmi d’autres, Jacques Martin avait dû se plier à la règle du 46 pages afin de proposer des histoires complètes en un seul album pour ses séries Alix et Lefranc alors que le développement de ses intrigues aurait souvent nécessité un traitement plus long. Moins elliptiques et plus fouillées, les intrigues en deux tomes gardent du rythme. Chez Paquet par exemple, Think Tank, le thriller financier de Verelst aurait pu tenir en un seul album pour ce qui est de l’intrigue pure, mais aurait sans doute été indigeste. Le choix du diptyque permet non seulement de solutionner l’énigme, expliquer le contexte et creuser la psychologie des personnages. Le découpage moins serré facilite aussi souvent la tâche du dessinateur. Et les auteurs terminent une histoire en moins de temps et peuvent soit enchaîner avec un nouveau diptyque, soit passer à un nouveau sujet et éviter de lasser.

Il faut bien avouer que devant la multiplication des titres, les lecteurs sont de plus en plus zappeurs. Et aussi méfiants. Évidemment, l’expérience de certains éditeurs – comme Delcourt ou Soleil même s'ils ne sont pas les seuls – habitués à démarrer des séries sans les finir peut décourager les amateurs de nouveautés. Au point que certains lecteurs rechignent désormais à commencer à acheter une série dès son démarrage. Lors d’un récent entretien avec Pierre Boisserie sur ce sujet, le scénariste me rappelait une évidence à méditer : « Lorsqu’une série s’arrête inopinément, c’est parce que les gens ne la lisent pas ! Ce qui me fait toujours rire, ce sont les lecteurs qui disent qu’ils n’achètent pas le 1er tome car ils veulent voir si la série va durer. Et bien oui, si vous n’achetez pas les 1ers tomes, la série ne va pas durer. C’est sûr ! »

Proust
© Robet / Emmanuel Proust © Falque - Delitte - Chaillet - Convard / Glénat

Cela dit, les éditeurs ont effectivement modifié leurs approches. Pour les séries, ils ont d’abord tenté le chiffre 3. L’éditeur Emmanuel Proust a ainsi lancé une collection justement baptisée « Trilogies », qui accueille des séries comme Sans Pitié, Sir Arthur Benton ou Gabrielle B. (dont le 3e tome sort le 16 octobre). Aujourd’hui, Glénat notamment mise davantage sur des récits en deux tomes. Quand Didier Convard lance de nouvelles séries comme Tanâtos avec Jean-Yves Delitte, le Protocole du Tueur avec Denis Falque ou encore Vinci, l’Ange brisé avec Gilles Chaillet, il choisit le format du diptyque. Cela permet de continuer si le public réagit bien, sans le frustrer à défaut. C’est devenu une marque de fabrique même pour des séries plus longues genre saga familiale. La saga sur le cigare, Flor de Luna de Pierre Boisserie, Éric Stalner et Éric Lambert, prévue initialement en six tomes, a été redécoupée en trois diptyques. La série Diamants des époux Bartoll et Bernard Kölle, dont le 2e tome vient de sortir aussi, est également présentée en plusieurs diptyques.

Mais ce n’est pas l’apanage d'un seul éditeur. Chez Dargaud, Pierre Boisserie a réaménagé sa série Dantès écrite avec Philippe Guillaume et dessiné par Érik Juszezak en trois diptyques (le 2e tome sort le 19 septembre). Le projet était initialement prévu en 7 albums. Le nouveau découpage est plus équilibré et permet de boucler des cycles. Cette notion de cycle court est très présente dans la collection « Grand Angle » des éditions Bamboo. Cette collection réaliste mise sur le format du diptyque en particulier (sur des triptyques à ses débuts) pour tenter l’aventure avec de jeunes auteurs. Le dernier en date est le tome 1 du Dessinateur, premier album de Jean Trolley sur un coscénario de Dimberton et Erroc. Et chez Casterman, Philippe Richelle et Pierre Wachs renouvelle le format diptyque démarré chez Glénat pour la série Secrets Bancaires dans leur nouvelle histoire Opération Vent printanier qui se consacre aux douloureuses heures de l’Occupation.

Glenat
© Kölle - Bartoll / Glénat © Lambert - Stalner - Boisserie / Glénat © Juszezak - Boisserie - Guillaume / Dargaud
© Trolley - Dimberton - Erroc / Bamboo © Wachs - Richelle / Casterman

Lombard
© Queirex - Arnoux / Lombard
Les exemples ne manquent pas donc. Il ne faut pas craindre de dire qu’il s’agit aussi de faciliter le travail de promotion et de distribution. Les éditeurs raccourcissent le délai de sortie entre les deux tomes, voire les supprime. Les deux chapitres du 1er diptyque de la série Haute Sécurité de Callède et Gihef sont ainsi sortis en même temps chez Dupuis. Il en sera de même pour Ava dream d’Érik Arnoux et Alain Queirex le 21 novembre au Lombard. Les éditeurs peuvent mettre proportionnellement moins de moyen pour un impact plus fort. Les sorties rapprochées découragent aussi les libraires de renvoyer trop vite leurs invendus. Et ces derniers voient en la réduction des longues séries une baisse de leurs immobilisations stock et donc une amélioration de leur trésorerie.

Tout le monde est-il gagnant ?
Si le concept était totalement sûr, tout le monde l’aurait déjà définitivement adopté. Il répond à une demande et présente des avantages. Mais d’autres modèles sont en cours de test : une amélioration du fonctionnement des séries à auteurs multiples comme le projet Destins de Frank Giroud chez Glénat ou Empire USA de Stephen Desberg chez Dargaud. Une chose est sûre : la bande dessinée est devenue une industrie avec des cahiers des charges très précis, afin de tenter de s’imposer...

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Manuel F. Picaud
30/08/2008 - source : auracan.com