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Charlier version Coutelis !

Al Coutelis - (c) Despatin-Gobeli


Jean-Michel Charlier était un acrobate. Et des plus brillants. On avait du mal à le croire à voir son physique à la Sydney Greenstreet (vous savez l'acteur qui jouait dans Le Faucon Maltais). Car son embonpoint, sa délicieuse bedaine et son aptitude à dévorer un jambon avec des allures d'un assassin découpant une victime innocente ne plaidaient pas pour cette heureuse interprétation.

Son trapèze volant, c'était un ensemble composé d'une machine à écrire et d'un téléphone, avec comme improbable filet, une télévision allumée en permanence. Et il fallait voir comment il se balançait au dessus de la piste et se rattrapait d'un scénario à l'autre, jamais à court d'une idée ou d'un rebondissement inattendu. Eclats d'histoire épatants. Dans ses histoires comme dans la vie.

Jean-Michel Charlier & Al Coutelis - (c) Al Coutelis

Charlier servait à ses lecteurs, à ses amis ou à qui voulait bien l'entendre des histoires étonnantes, de celles qu'il écrivait ou qu'il inventait quand les circonstances le commandaient, toujours avec ce talent de narrateur qui subjuguait tous ses auditeurs. Charlier était de la race des conteurs orientaux. Et il fallait l'entendre vous raconter les vrais dessous de l'assassinat de Kennedy ou les épopées sanglantes de la Mafia pour comprendre pourquoi il nous arrivait de rentrer de déjeuner à l'heure du tilleul menthe.

Imaginatif en tout, il se baladait sur ses retards, car il nous faut parler de cette fâcheuse habitude qu'il avait, avec talent certes, d'inventer les plus extravagantes justifications pour motiver un scénario non écrit. Le monde s'était écroulé sous lui et l'avait, d'évidence, retenu de terminer à temps le texte tant attendu. Ou il avait oublié le script dans un taxi et, promis juré craché, il l'enverrait demain à la première heure. Il se balançait d'une vérité à une autre avec une agilité changeante qui forçait le respect. Un acrobate, vous disais-je. Charlier est mort à temps car, avec l'arrivée du fax et maintenant de l'Internet, il nous eut été facile de le coincer dans son mensonge et de cela nous ne le voulions pas.

Le Privé - Détail d'un projet de couverture (c) Charlier, Al Coutelis et Casterman

La vérité était qu'il travaillait trop et se reposait trop peu. Là où il est, il doit bien rire de nous observer nous agiter dans nos vaines quêtes, lui qui jamais n'aura été distingué par une médaille décernée par un quelconque festival de BD.

Le Privé - (c) Charlier, Al Coutelis et Casterman

L'histoire que vous allez lire, cette histoire dessinée, a une histoire. Celle d'un aviateur tombé dans un désert des plus nus, des plus pauvres en esprit et des plus misérables en pensée, à mille milles de toute intelligence, je veux dire le monde de la publicité. La pub avec ce qu'elle a de plus tapageur. Boursouflée par la séguelite aiguë, enflée par la suffisance, ballonnée par la prétention, gonflée de bêtise et d'affèterie en ces années '80. Ces années toc.

L'aviateur écrivain rencontre un dessinateur amené là par on ne sait quel enrôlement. Il est perché sur son astéroïde B quelque chose et demande : "écris-moi un scénario où il y aurait un privé, et aussi des chinois qu'on traiterait de "faces de prune" et puis des filles avec des décolletés vertigineux et puis ceci et puis cela…". Et l'aviateur écrivain de s'exécuter en précisant qu'il fallait ajouter, de ci de là, quelques citations publicitaires demandées par ceux qui s'étaient engagés à rétribuer le travail. Et puis les avaient payés en promesses, non tenues bien sûr… Et Jean-Michel Charlier et Al Coutelis -car vous l'avez deviné, l'aviateur naufragé et le dessinateur sur son astéroïde, c'était eux- de rire comme des baleines en pensant à la bonne affaire qu'ils allaient réaliser !

C'était sans compter avec les mauvais esprits du désert, de ces papes élus par des conciles dans des cabarets tenus par des imbéciles : les publicitaires. Car cette histoire, une fois dessinée, fut abandonnée par la pub, et par conséquent enterrée par ses auteurs. Aujourd'hui elle revit débarrassée de ses incorporations inutiles et creuses, en un mot, la pub.

Bonne lecture.

Al Coutelis


Découvrez en avant-première, la seconde planche du Privé :

Le Privé - Planche 02

Al Coutelis a également donné vie à un épisode de Tanguy & Laverdure, en compagnie de Jean-Michel Charlier. Retrouvez un historique de cette saga sur Auracan.com

Tous nos remerciements à Al Coutelis de nous avoir transmis cette préface inédite.
Les illustrations sont © J-M Charlier, Al Coutelis & Casterman, sauf mention contraire.

19/05/2002 - source: auracan.com
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