Charlier version Coutelis !
Jean-Michel Charlier était un acrobate. Et des
plus brillants. On avait du mal à le croire à
voir son physique à la Sydney Greenstreet (vous
savez l'acteur qui jouait dans Le Faucon Maltais).
Car son embonpoint, sa délicieuse bedaine et son aptitude
à dévorer un jambon avec des allures d'un assassin
découpant une victime innocente ne plaidaient pas pour
cette heureuse interprétation.
Son trapèze volant, c'était un ensemble composé
d'une machine à écrire et d'un téléphone,
avec comme improbable filet, une télévision
allumée en permanence. Et il fallait voir comment il
se balançait au dessus de la piste et se rattrapait
d'un scénario à l'autre, jamais à court
d'une idée ou d'un rebondissement inattendu. Eclats
d'histoire épatants. Dans ses histoires comme dans
la vie.
Charlier servait à ses lecteurs, à ses amis
ou à qui voulait bien l'entendre des histoires étonnantes,
de celles qu'il écrivait ou qu'il inventait quand les
circonstances le commandaient, toujours avec ce talent de
narrateur qui subjuguait tous ses auditeurs. Charlier était
de la race des conteurs orientaux. Et il fallait l'entendre
vous raconter les vrais dessous de l'assassinat de Kennedy
ou les épopées sanglantes de la Mafia pour comprendre
pourquoi il nous arrivait de rentrer de déjeuner à
l'heure du tilleul menthe.
Imaginatif en tout, il se baladait sur ses retards, car il
nous faut parler de cette fâcheuse habitude qu'il avait,
avec talent certes, d'inventer les plus extravagantes justifications
pour motiver un scénario non écrit. Le monde
s'était écroulé sous lui et l'avait,
d'évidence, retenu de terminer à temps le texte
tant attendu. Ou il avait oublié le script dans un
taxi et, promis juré craché, il l'enverrait
demain à la première heure. Il se balançait
d'une vérité à une autre avec une agilité
changeante qui forçait le respect. Un acrobate, vous
disais-je. Charlier est mort à temps car, avec l'arrivée
du fax et maintenant de l'Internet, il nous eut été
facile de le coincer dans son mensonge et de cela nous ne
le voulions pas.
La vérité était qu'il travaillait trop
et se reposait trop peu. Là où il est, il doit
bien rire de nous observer nous agiter dans nos vaines quêtes,
lui qui jamais n'aura été distingué par
une médaille décernée par un quelconque
festival de BD.
L'histoire que vous allez lire, cette histoire dessinée,
a une histoire. Celle d'un aviateur tombé dans un désert
des plus nus, des plus pauvres en esprit et des plus misérables
en pensée, à mille milles de toute intelligence,
je veux dire le monde de la publicité. La pub avec
ce qu'elle a de plus tapageur. Boursouflée par la séguelite
aiguë, enflée par la suffisance, ballonnée
par la prétention, gonflée de bêtise et
d'affèterie en ces années '80. Ces années
toc.
L'aviateur écrivain rencontre un dessinateur amené
là par on ne sait quel enrôlement. Il est perché
sur son astéroïde B quelque chose et demande :
"écris-moi un scénario où il y aurait
un privé, et aussi des chinois qu'on traiterait de
"faces de prune" et puis des filles avec des décolletés
vertigineux et puis ceci et puis cela
". Et l'aviateur
écrivain de s'exécuter en précisant qu'il
fallait ajouter, de ci de là, quelques citations publicitaires
demandées par ceux qui s'étaient engagés
à rétribuer le travail. Et puis les avaient
payés en promesses, non tenues bien sûr
Et Jean-Michel Charlier et Al Coutelis -car vous l'avez deviné,
l'aviateur naufragé et le dessinateur sur son astéroïde,
c'était eux- de rire comme des baleines en pensant
à la bonne affaire qu'ils allaient réaliser
!
C'était sans compter avec les mauvais esprits du désert,
de ces papes élus par des conciles dans des cabarets
tenus par des imbéciles : les publicitaires. Car cette
histoire, une fois dessinée, fut abandonnée
par la pub, et par conséquent enterrée par ses
auteurs. Aujourd'hui elle revit débarrassée
de ses incorporations inutiles et creuses, en un mot, la pub.
Bonne lecture.
Al Coutelis
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