A la rencontre de Jeanne Puchol
Connaissez-vous Jeanne Puchol ? Non. Vous le devriez.
Discrète et malicieuse sous son inséparable
béret, Jeanne Puchol est née en 1957. Après
des études à l'école des Arts décoratifs,
où elle étudia notamment la photographie, cette
femme, à l'éternelle allure de jeune étudiante,
publie en 1983 sa première bande dessinée :
Ringard ! paraît aux éditions Futuropolis.
Se spécialisant dans une bande dessinée adulte
et intelligente, loin des stéréotypes du super
héros accompagné d'une grognasse faire-valoir,
elle multiplie albums et travaux d'illustrations. Cinq albums
de bande dessinée paraissent ainsi chez Futuropolis
dans les années 1980-1990.
En janvier 1985, plusieurs femmes dessinatrices remettent
en question la presse BD de l'époque. Nicole Claveloux,
Florence Cestac, Chantal Montellier et Jeanne
Puchol cosignent Navrant, un manifeste publié
dans Le Monde. Extrait : "Navrante, cette soi-disant
nouvelle presse percluse des plus vieux et des plus crasseux
fantasmes machos. Navrant, de voir la plupart des journaux
de bandes dessinées emboîter le pas, prendre
le chemin réducteur de l'accroche-cul et de l'attrape-con.
De la 'porno à quatre mains', au 'strip-tease des copines',
en passant par 'l'étude comparative des lolitas', 'le
roi de la tripe', 'les nouveaux esclaves', les 'mange-merde',
les talents se déploient, virils. (
) Parce que
nous aimons certaines bandes dessinées, parce que nous
souhaitons que les journaux soient au service des créateurs
et pas des seuls marchands, parce que ces derniers réduisent
chaque jour davantage la place accordée à la
création au profit de l'uniformisation, nous avons
voulu réagir."
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Dessinatrice au trait sensible, Jeanne Puchol réalise
également des illustrations pour des ouvrages de littérature,
qu'ils appartiennent au domaine policier ou s'adressent à
la jeunesse. Ainsi, nous lui devons les dessins accompagnant
les polars Groom de Jim Thompson (1983) et Meurtres
pour mémoire de Daeninckx (1991). Tout en travaillant
dans le domaine du story-board, elle continue la bande dessinée
à la fin des années 1990. En compagnie du scénariste
Laurent F. Bollée, alors débutant, elle
met en scène le Cabaret des espoirs de 1993
à 1995. Laissons à Bollée le soin de
nous présenter cette histoire : "C'était
un projet pour la défunte revue (A Suivre), et cela
a marché puisque Jean-Paul Mougin, à l'époque
son tout puissant directeur éditorial, l'a tout de
suite accepté. Il s'agissait en fait de raconter le
destin de sept personnages (six réels et un fictif)
et de leur trouver un point commun, en l'occurrence un lieu
par lequel ils seraient tous passés : un cabaret nommé
Cabaret des Espoirs. J'étais associé à
Jeanne Puchol, dont j'avais fait la connaissance via les deux
Michel (Valdman et Durand), illustratrice de grand talent
qui avait pour cette série donné naissance à
un coup de crayon difficile mais que j'ai toujours considéré
comme génial. Jeanne avait alors un style qui faisait
très (A Suivre) : un noir et blanc assez avant-gardiste,
post-Futuropolis. L'idée était à la fois
pédagogique (raconter une histoire vraie et mieux connaître
le personnage), littéraire et ludique : alliez-vous
reconnaître celui qui était l'intrus ?... Mougin
avait été séduit par le projet et avait
publié très vite la première histoire
: Poète Contumace (qui parle de Tristan Corbière,
poète français mort en 1875). En revanche, même
si nous avons fait très vite deux autres histoires,
il a fallu attendre beaucoup plus longtemps pour les voir
publiées : Fleur bleue (sur la chanteuse Fréhel)
et Asile Vénitien (sur l'écrivain anglais Frederick
Rolfe dit le Baron Corvo). A noter que la troisième
histoire était en fait la seconde, mais Mougin m'avait
dit que j'avais trahi la mémoire du Baron Corvo qui
était l'un de ses écrivains préférés
voilà pourquoi sans doute il ne l'a publié qu'à
la toute fin. Jeanne et moi avons réalisées
ensemble 60 planches. La quatrième des sept histoires
est entièrement écrite (elle parle de l'écrivain
français Joë Bousquet) mais la fin d'(A Suivre)
est passée par là... "
Toujours pour la maison Casterman, Jeanne Puchol s'associe
à Anne Baraou. Ensemble, les deux femmes signent
les deux volumes des amusantes aventures de Judette Camion
(1998 et 1999). Si vous ne connaissez pas ce joyeux diptyque,
découvrez les interrogations de cette jeune femme moderne.
Ces deux albums s'avèrent un excellent remède
pour lutter contre un certain machisme latent
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Collaborant parallèlement avec d'illustres maisons
d'édition (Gallimard, Nathan, Milan, Syros) et de célèbres
magazines pour la jeunesse (Je Bouquine, Je lis des histoires
vraies), la dessinatrice signe en 2000 Chimère
chez PLG, avant de rejoindre la nouvelle collection Traits
féminins des non moins jeunes Editions de l'an
2 qu'a créé Thierry Groensteen. Le premier
volet de Haro sur la bouchère ! vient de paraître.
Tout au long des 48 pages de ce bel album en noir et blanc,
Jeanne Puchol met en scène une histoire intelligente
et surréaliste. L'héroïne, déguisée
en homme, évolue dans l'Espagne du 16ème siècle,
la grande époque de l'Inquisition, en compagnie d'une
attachante créature chimérique douée
de parole. Tout en mêlant décor historique et
questions actuelles, Jeanne Puchol signe une très belle
fable picaresque qui ne ressemble à rien de connu
tout comme cette femme, créatrice d'une uvre
sensible et intelligemment atypique.
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