Les Marsu Kids, hommage ou coup commercial ?
Les éditions Marsu Productions poursuivent l’épopée éditoriale du regretté Franquin avec notamment les albums Gaston Lagaffe et Marsipulami. Après avoir lancé à la fin août, avec succès, la nouvelle série Gastoon, le neveu de Gaston Lagaffe avec une équipe talentueuse composée de Jean et Simon Léturgie ainsi que Yann, elles proposent deux mois plus tard de « faire sortir les Marsu Kids du nid » !
Wilbur © Marsu Productions 2011
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V
ivant en Californie à Los Angeles, Didier Conrad et son épouse Sylvie, qui signe sous le pseudonyme Wilbur, n’ont jamais perdu leurs liens avec l’Europe. Après la série RAJ, ils reviennent avec le T.1 des Marsu Kids, une nouvelle série jeunesse dérivée du personnage Marsupulami créé par Franquin. Ce n’est pas totalement une surprise. Franquin n’avait-il pas engagé Didier Conrad dans la grande équipe
Spirou ? Les deux hommes s’appréciaient « Lors de mes passages à Bruxelles », explique Didier Conrad,
« nous nous rencontrions dans un restaurant chinois et nous parlions de BD, de livres et de films jusque tard dans la journée. Malgré la différence d'âge, je n'ai jamais senti de différence de génération entre nous. Et quand j'ai eu des problèmes avec Dupuis (au sujet des hauts de pages) il est monté directement en ligne avec Yvan Delporte et Jean Roba pour nous soutenir. » Son épouse se souvient de sa rencontre lors d’un dîner après l’inauguration d’une grande fresque Marsupilami à Marseille : « Franquin nous a fait parvenir une adorable petite robe de bébé que j'ai toujours gardée jusqu'à ce qu'elle soit malheureusement perdue dans le déménagement pour les Etats-Unis. »
Didier Conrad © Marsu Productions 2011
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Les deux auteurs sont de vrais fans de l’œuvre de Franquin. Wilbur confie : « Il m'a appris qu'on peut rendre n'importe quelle chose importante, c'est une question d'attitude, d'investissement personnel […] qu'il faut toujours évoluer. Il faut essayer des choses et ne pas craindre d'échouer. André m'a dit un jour que ceux qui réussissaient tout étaient ceux qui n'essayaient rien. Je l'avais regardé d'un drôle d'œil, je ne me rappelais pas l'avoir vu échouer dans un de ses projets. Il m'a parlé alors d'
Isabelle et des
Tifous, mais j'ai eu un peu de mal à le croire sur le moment. Avec
Spirou, toute l'animation du journal pendant des années,
Modeste et Pompon,
Gaston,
les Idées Noires et
le Marsupilami, j'avais quelques raisons d'être perplexe. Mais bien sûr, il avait raison. »
Illustration © Didier Conrad et Wilbur / Marsu Productions 2011
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Alors, quand
Didier Conrad se voit proposer de réaliser une série dans l’univers du Marsupilami par Jean-François Moyersoen, l'éditeur de Marsu Productions, il n’hésite pas une seconde :
« Quand Franquin avait réuni une petite équipe de collaborateurs et d'amis pour faire une série animée du Marsupilami, j'avais été chargé de développer tous les personnages secondaires. La tribu des Chahutas, les chasseurs blancs, explorateurs, alliés ou ennemis potentiels et la famille des Marsupilamis. J'avais évoqué la possibilité d'étendre cette famille, de développer des clans, éventuellement d'autres familles. André et Yvan avaient été séduits par l'idée, mais elle a été mise de côté dans un premier temps pour conserver le caractère unique du Marsu à la demande du producteur. »
illustration Nez-Bleu © Didier Conrad et Wilbur / Marsu Productions 2011
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D’autant que cela préserve la série mère. « L'approche est différente », explique Didier Conrad. « Nous partons d'un petit Marsu qui vient de naître et nous suivons ses premiers pas (plutôt ses bonds) dans la vie. » «
La volonté de l'éditeur était de viser les enfants, ce qui était parfait, » commente Didier Conrad. « Nous avons pris le parti de raconter l'histoire de la manière la plus intuitive possible, le plus près de ce que vivent les personnages en bannissant les textes explicatifs. » Ce travail avec une grande économie de textes n’exclut pas les adultes pour autant. « « L'intérêt sera donc de développer dans chaque histoire des personnalités différentes à ces petits venant de couvées diverses. » La première aventure, avec deux autres albums en préparation si le public répond favorablement, s’intéresse à Nez-Bleu, le petit Marsupilami tombé du nid sur la tête d’un jeune indien palombien, Tapadpo. Wilbur révèle : « on découvre de près la naissance d'un petit Marsupilami à travers les yeux d'un enfant d'une tribu de la jungle [Ptipo, ndlr] qui le recueille à sa tombée du nid. » Le projet a été montré en une dizaine de mois de septembre 2010 à juin 2011.
extrait de la planche 1 de Marsu Kids © Didier Conrad et Wilbur / Marsu Productions 2011
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planche 14 de Marsu Kids © Didier Conrad et Wilbur / Marsu Productions 2011
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Mais il est hors de question de vouloir trahir l’œuvre originale, mais au contraire de s’en inspirer et l’enrichir. « C’est bien l'œuvre de Franquin qui a été notre source principale
d'inspiration, » insiste Wilbur. « Nous voulions rester fidèles à l'esprit de sa création. A partir de ce choix, nous nous sommes sentis libres d'explorer l'univers des petits Marsupilamis. Il fallait créer un monde animal dynamique et évolutif et connaître la place de
Didier Conrad situe sa source principale dans l’épisode La Cage (Capturez un Marsupilami), mais ne s’est pas interdit de créer des personnages nouveaux, « pour renouveler l'inspiration d'abord, ensuite pour créer un album personnel et contemporain, ce qui nous permet de faire à la fois un meilleur travail et de bien le différencier de la série mère. » En voyant la couverture, on pense encore à La Jungle en Folie de Mic Delinx au dessin et Christian Godard au scénario et l’auteur avoue avoir aussi puisé son inspiration dans le Livre de la Jungle de Kipling.
Respectueux du créateur, fans de son œuvre, Didier Conrad et Wilbur se proposent donc de lui donner une forme de suite en passant à la génération suivante et en s’adressant davantage aux enfants. Dans ce même registre,
ce phénomène est particulièrement à la mode en 2011, même s’il trouve son origine bien plus tôt, avec
Le Petit Spirou créé par Tome au scénario et Janry au dessin en 1987. Cette année, paraît donc le T.1 de
Kid Lucky par Achdé en novembre, les T.1 et T.2 de
P'tit Boule et Bill de José Luis Munuera et Laurence Gillot et donc déjà le T.1 de
Gastoon en août dernier.
illustration © Didier Conrad et Wilbur / Marsu Productions 2011
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Blasphème ou hommage ? Markéting ou création originale ? Un peu de tout cela à la fois. Dans un marché de la bande dessinée extrêmement concurrentiel et surchargé, les éditeurs du groupe Média Participations et Marsu Productions tentent de s’appuyer sur leur patrimoine éditorial, les plus grandes séries humoristiques classiques à succès, pour tenter d’élargir leur public. Ces nouveaux albums visent les plus jeunes qui regardent les dessins animés tirés de ces séries. Leurs parents connaissent les héros et les achèteront volontiers à leurs enfants. Ensuite, cela permet de continuer d’une certaine manière l’œuvre sans la trahir directement puisque ce sont d’autres générations de héros permettant des innovations et des orientations différentes. Enfin les équipes constituées se révèlent particulièrement soignées pour assurer une continuité graphique et la pérennité de l’esprit des séries originales. On regrettera quand même cette prise de risques minimale alors que tant d’auteurs auraient à proposer des projets complètement originaux, et davantage ancrés dans leur époque.
Jouer en permanence sur la nostalgie, certes c'est transmettre la flamme, mais n’est-ce pas aussi se perdre ?
illustration © Didier Conrad et Wilbur / Marsu Productions 2011
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