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Benoît Mouchart fait le bilan du 39e FIBD d'Angoulême

Benoît Moiuchart - 2012 (c) Manuel F. Picaud
Benoît Mouchart - 2012
© Manuel F. Picaud / Auracan.com
Entretien exclusif entre notre éditeur délégué Brieg F. Haslé et le directeur artistique du Festival International de Bande Dessinée d'Angoulême...

Cher Benoît Mouchart, comment avez-vous vécu cette 39e édition du Festival d’Angoulême ?

Intensément. Ces quatre jours étaient très denses : la programmation était particulièrement riche cette année, avec près de 300 propositions culturelles présentées au public en seulement 4 jours : expositions, rencontres, conférences, projections et spectacles. Sans compter les visites officielles de ministres, d’ambassadeurs et de consuls qui nécessitent toujours de grandes précautions de sécurité. Mais ce sont aussi des événements importants car ils témoignent d’une certaine reconnaissance institutionnelle de la bande dessinée. Je retiens surtout de grands moments d’émotion avec Fred mais aussi Jean-Claude Vannier, et la fierté d’avoir pu exposer non seulement Art Spiegelman, mais aussi Di Rosa, l'Espagne, Taïwan, la Suède, L'ours Barnabé ou Sardon.…

Parmi ces nombreuses expositions présentées à Angoulême, laquelle a votre préférence ?
L’expo Fred. Honorer un artiste aussi généreux, aussi humble, un créateur qui a tant donné de sa personne à travers son œuvre, qui a fait rêver des générations de lecteurs et qui contribué à ce que la bande dessinée soit considérée comme une véritable expression artistique était urgent. Il était très important de réparer le fait que Fred n'ait jamais été exposé officiellement à Angoulême en dépit du Grand Prix qu’il avait reçu en 1980. Il faut souligner le fait que chaque fois qu’il démonte les codes de la bande dessinée dans ses histoires, comme par exemple lorsqu’il joue avec le sens de la lecture, ce n’est jamais rhétorique et vain mais toujours au service de la narration. C’est un conteur, un poète et un graphiste impressionnant de modernité. Je le connais personnellement depuis plus de vingt ans, il est l’un des premiers auteurs que j'ai interviewé, à l’âge de 15 ans avec Moebius et Greg : lui dédier une rétrospective, c'était une manière pour moi de le remercier, de lui offrir un peu de bonheur en échange de la joie qu'il nous a tous généreusement offert à travers son œuvre, et plus particulièrement avec Le Petit cirque et Philémon.

Fred, François Schuitten, Enki Bilal et Benoît Mouchart - 2010(c) Manuel F. Picaud
Fred, François Schuitten, Enki Bilal et Benoît Mouchart en 2010
© Manuel F. Picaud / Auracan.com

Quels autres bons moments conservez-vous de ce 39e FIBD ?
Les concerts de dessins restent un grand moment de communion entre auteurs, musiciens et public : la standing ovation qui salue toujours avec ferveur ces artistes issus d’horizons différents rassemblés sur scène autour d’un projet commun a quelque chose de magique. Travailler avec Areski Belkacem et ses musiciens est toujours un plaisir, et il sait se renouveler pour étonner le public chaque année. Dans le même esprit, réunir une formation musicale aussi riche autour de Jean-Claude Vannier, génie méconnu de la musique française, était un aussi une grande satisfaction : Aude Picault a donné quelques beaux dessins à cette occasion, et les élèves du Conservatoire Gabriel Fauré se sont surpassés. M. Lu de Taïwan était également un ambassadeur inoubliable du manhua : je suis sûr que ses interventions resteront dans les annales du festival. D’un point de vue citoyen, « L’Europe se dessine » est une autre fierté. Il nous fallait illustrer, dans cette période difficile, la devise de l’Europe « Unir la diversité ». Il était également très intéressant de montrer que si des différences certaines existent entre les nations européennes, elles partagent aussi de nombreuses valeurs fédératrices. Si nous voulons construire une Europe qui ne soit pas seulement celle des banques, c’est à nous, citoyens, de le faire en agissant ensemble. Cette exposition en était une véritable expression, à travers l’engagement de 50 auteurs issus de toute l’Union Européenne.

Art Spiegelman - 2012 (c) Manuel F. Picaud
Art Spiegelman - 2012
© Manuel F. Picaud / Auracan.com
Avez-vous, pour nos lecteurs, une anecdote amusante liée à ce 39e festival ?
Lors de la préparation de l'exposition Spiegelman, j'étais seul avec lui dans son grand atelier à New York. La nuit était tombée sur les gratte-ciels, et il finalisait l'affiche sur sa table à dessin en fumant clope sur clope pendant que je terminais de relever un certain nombre de précisions pour l’accrochage de ses œuvres sur un fichier Excel (ce sont de ces petits moments ingrats mais nécessaires dans les coulisses d'une expo). J'étais très fatigué par le décalage horaire et le fait que les journées là-bas étaient longues et très chargées de travail. Alors que j'essayais de me concentrer sur mon écran, j'avais l'impression que mes yeux commençaient à me jouer des tours : une forme floue courait dans mon champ de vision, derrière l'ordinateur... Si mes yeux avaient été une caméra, je dirais que « j'ai changé de focus » et j’ai alors vu de mes yeux une vraie souris qui venait grignoter des miettes de biscuit ou de fromage sous le frigo. J’ai éclaté de rire. Art m’a demandé : « What is so funny, Benoît ? » Je lui ai répondu : « Come on, there is a mouse ! » Il refusait de me croire dans un premier temps, puis il est venu, il est entré dans une colère noire et s’est mis à hurler : « Go back in the wall, dirty mouse ! » Puis il s'est tourné vers moi avec un air faussement dépité et il m'a dit : « Toute ma vie, je serai donc poursuivi par ces créatures... » Et on a tous les deux échangé des blagues idiotes comme deux sales mômes qui ricanent en étant bien content d’avoir trouvé l’occasion de se distraire d’un labeur ingrat !

Merci Benoît Mouchart. Pour conclure, avez-vous un mot pour les lecteurs d’Auracan.com dont vous avez été l’un des piliers de la version papier ?

J'ai beaucoup aimé publier des entretiens dans Auracan : c'était souvent la retranscription d'émissions de radio que je faisais à l'époque avec Marc Bourgne, Jean-Paul Jennequin et Martin Pierre Baudry. Je me souviens des soirées passées à Jodoigne avec Marc Carlot pour évoquer les prochains numéros. Je me souviens aussi de la blague des libraires : « Alors, Auracan, on l’aura quand ? » J’aime toujours mener des interviews, et c’est l’une des choses qui me manque le plus aujourd’hui, même si je n'ai pas le temps de m'ennuyer : je travaille déjà avec toute l'équipe sur le 40e festival depuis des mois et j'ai ma première session de brainstorming avec Jean-C. Denis lundi prochain. Entretemps, je ne me repose pas : on adapte les plans de l'expo Spiegelman pour la BPI du Centre Pompidou avec Gaëtan Akyuz, Jean-Marie Derscheid, Xavier et Monique Dumont, sans oublier la dynamique Rina Zavagli sans qui les tiroirs du maître ne se seraient jamais ouverts : ça fait 20 ans que Spiegelman refuse toute rétrospective d’ampleur ! Les lumières se sont éteintes sur le festival mais le travail continue pour l'équipe de 9eArt+ ! Dans un autre registre, le démontage des « bulles » et des expos ne s’arrêtera pas avant le 15 février à Angoulême… Ce château de sable est très long à construire, et tout aussi long à défaire…

Pierre Lavaud, Benoît Mouchart et Frédéric Mitterrand - 2011 (c) Manuel F. Picaud
Pierre Lavaud, Benoît Mouchart et Frédéric Mitterrand - 2011
© Manuel F. Picaud / Auracan.com

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Brieg F. Haslé

Propos recueillis par Brieg F. Haslé le 1er février 2012. Tous droits réservés.

02/02/2012 - source : auracan.com