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Quel avenir pour Artège dans la BD ?

Alors que les éditeurs spécialisés indépendants 12 bis ou Emmanuel Proust sont en redressement judiciaire, plusieurs éditeurs généralistes se diversifient dans le 9e art, comme Hors Collection ou L'École des Loisirs via son label Rue de Sèvres. Éditeur classé dans la mouvance catholique, Artège a créé en 2009 un nouveau département Bande Dessinée. Passionné par le 9e art classique, éditeur de tirages de luxe à vocation humanitaire (Rêves de bulles) et issu du groupe Média Participations (Dargaud, Le Lombard), le nouveau directeur de collection, Jean-François Vivier, tente depuis 2012 de développer une collection variée, sans chercher à révolutionner le secteur...

« Artège est originellement un éditeur religieux catholique », explique Jean-François Vivier. « La maison a décidé d’investir d’autres sujets tels que la littérature jeunesse, la géopolitique, mais aussi… la BD ! La collection BD a été lancée en 2009, mais elle est réellement en essor depuis 2012. » Située encore dans la partie jeunesse du site de l’éditeur, elle compte pour le moment trois pôles destinés au grand public et aux familles : bandes dessinées humoristiques (Les Familius), bandes dessinées historiques (Tom Morel et Cathelineau) et redécouverte de BD oubliées (Dolorès de Villafranca et Yum Yum). « Nous espérons pouvoir proposer des créations en fiction dès 2014. Des projets sont en cours », ajoute le jeune directeur éditorial.

Dans la profusion actuelle de titres dans ces mêmes domaines, la collection tente de se différencier. La série humoristique Les Familius de Nicolas Doucet (cinq tomes publiés) se compose de gags en une page au dessin rapide et au trait épais. Elle se compare à la production Bamboo ou Joker, mais dans un ton bon enfant et polissé.

Côté patrimoine, l’éditeur propose des curiosités bien restaurées. Dans ce domaine, elle s’ouvre sur les premières publications en albums de la courte série Yum Yum, les « aventures turbulentes d’une jeune chinoise intrépide et malicieuse » réalisées par Jean Sidobre (1924-1988) et publiées initialement dans le magazine anglais Princess Tina. L’auteur, illustrateur jeunesse prolifique et dessinateur de BD pour jeunes filles, est aussi un dessinateur de bandes dessinées érotiques sous le pseudonyme de Georges Lévis. Cette compilation d’histoires courtes rafraichissantes, mais pas exemptes de stéréotypes, autour de la très jolie Miss Brown, son père à la pipe et la jeune fille chinoise bénéficie d’une nouvelle colorisation plutôt réussie. De quoi séduire les nostalgiques de la BD des années 60.

Dans un style différent, mais toujours aussi bien restauré, Dolorès de Villafranca rend hommage au talent des auteurs complets Noël Gloesner au dessin, et Marijac, Grand Prix de la ville d’Angoulême de 1979, au scénario. Les éditions de Châteaudun publient initialement l’album en 1960. Un demi-siècle plus tard, Félix Meynet signe, pour la nouvelle édition chez Artège, une couverture inédite dont les versions crayonnée et encrée sont incluses dans l’album. Le récit au cœur de l’Espagne en guerre civile conte un lourd drame familial interprété de mains de maîtres par le couple d’auteurs et fait penser aux illustrations classiques de tauromachie. À la rentrée de septembre 2013, le même duo Marijac-Gloesner sera à l’honneur avec une nouvelle réédition toujours mise en valeur avec l’aide de Félix Meynet.

Côté historique, l’idée est d’abandonner le côté trop didactique. « Nos biographies en BD sont présentées comme des BD d’aventure pleines de rebondissements et non des ouvrages avec des récitatifs très présents comme c’est souvent le cas dans ce type d’album » insiste Jean-François Vivier. Deux exemples devraient illustrer ce point de vue sans toutefois convaincre véritablement.

D’un côté, le directeur de collection publie une hagiographie d’un résistant chrétien, Tom Morel, dont il signe le scénario et confie le dessin à l'illustrateur jeunesse Pierre-Emmanuel Dequest. Le sous-titre Vivre libre ou mourir rappelle le très bel album collectif éponyme écrit par Jean-Christophe Derrien et paru au Lombard en 2011. Ici certes, le sujet est original et traité dans l’action, mais la mise en images réaliste manque de personnalité et de constance.

D’un autre côté est choisi un autre combattant animé par la foi, cette fois au cours de l’insurrection vendéenne sous la Révolution. L’album Cathelineau qui vient de paraître retrouve Régis Parenteau-Denoël au dessin. Travaillant par ailleurs dans l’animation et le story-board, celui-ci a débuté en BD aux côtés de Jacques Martin sur le lettrage de la série Orion, lancé en 1997 chez Glénat sa première BD historique Ombres et lumière, dont le tome 2 est publié en 2011 chez Une idée bizarre, et tenté de plusieurs projets depuis. Son style appliqué, fin et détaillé et son découpage très classique souffrent assez souvent d’expressions caricaturales des bouches. Le récit narré en 1807 par l’abbé Cantiteau ne cache pas son point de vue subjectif sur les événements de 1793 en Vendée, sans tomber dans l’angélisme pour autant. Outre un flash back sur la jeunesse du héros, il suit avec précision quatre mois de guerre assez confuse du premier généralissime de l’armée catholique et royale, surnommé le « Saint de l’Anjou », qui s’est soulevé pour défendre la « liberté de croire ». Le scénario très documenté sur une page singulière de l'Histoire de France est écrit par la Vendéenne Cécile Dupuy, participante au spectacle du Puy du Fou dont elle a aussi cosigné une trilogie en BD.

extrait Cathelineau © Régis Parenteau-Denoël / Artège

extrait Cathelineau © Régis Parenteau-Denoël et Coline Dupuy / Artège

Certes, ces deux albums s’éloignent des Histoires de l’Oncle Paul, mais qui en publie encore ? La BD historique s’est largement réveillée ces dernières années à la manière de la série Il était une fois en France de Fabien Nury et Sylvain Vallée (Glénat). Il faudrait donc encore peaufiner les arguments pour percer dans un marché devenu difficile d’autant que la qualité d’impression et les prix sont simplement en ligne avec les concurrents.

Pour le moment, cette collection BD s’ancre surtout dans une tradition chrétienne de l’après-guerre, mais avec des tirages de quelques milliers d'exemplaires. Ses albums démontrent un certain engagement de la maison d’édition sur des thèmes et des traitements en harmonie avec ses valeurs chrétiennes. Des surprises annoncées et attendues d’ici la fin de l’année et pour 2014 dépendra l’avenir commercial de cette collection. 

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Manuel F. Picaud

Propos recueillis par Manuel Picaud en 2013
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© Manuel Picaud / Auracan.com
Merci à Régis Parenteau-Denoël et Laurence Angebault  
visuels © les auteurs / Artège

11/07/2013 - source : auracan.com