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La sociologie se case en BD

Casterman dévoile en ce début février les deux premiers titres de sa collection Sociorama. L'idée de celle-ci est née de la rencontre entre Lisa Mandel et de membres de l'association Socio en Cases lors d'un séminaire intitulé Sciences sociales et bande dessinéeSociorama s'inscrit dans la vague très actuelle de la BD reportage et de certaines revues ou mooks.

Principe de cette nouvelle collection : un travail commun entre un sociologue ayant enquêté sur un sujet donné et qui met son travail, ses analyses, ses résultats à la disposition de l'auteur BD. Plutôt que de les illustrer, celui-ci les scénarise en en retransmet l'essentiel à travers un récit, une fiction... forcément fortement ancrée dans la réalité. L'association Socio en Cases accompagne le projet depuis le choix des sujets jusqu'à leur adaptation en images. Chaque volume s'attache ainsi à plonger le lecteur dans des univers sociaux faussement familiers, méconnus, durs ou drôles. Les deux premiers titres proposés s'intéressent aux dessous des chantiers de construction et à l'univers du porno.

Nicolas Jounin a mené une enquête au long cours en se faisant notamment embaucher sur divers chantiers. Chantier interdit au public suit les itinéraires de Souleymane et Hassan derrières les palissades des grands chantiers de construction : comment faire son trou dans l'intérim et la sous-traitance quand on est sans papiers, affronter la benne à béton qui arrive maintenant tout de suite, encaisser le racisme ambiant, tenir les cadences tout en faisant semblant de respecter la sécurité...

L'histoire est sombre, l'humour est très noir et les auteurs nous font découvrir une forme à peine évoluée d'esclavage moderne à travers ce qui pourrait ressembler à un reportage-choc. Claire Braud assure cette adaptation en BD. Son scénario fonctionne et la réalité, choquante, décrite, ne peut qu'étonner. Malheureusement, la mise en images est assez limite et se rapproche beaucoup trop d' un dessin enfantin malhabile. Certes, le côté enlevé d'un "p'tit crobard" peut éventuellement séduire, mais il exige dans ce cas précis beaucoup de complaisance !

Lisa Mandel (codirectrice de la collection avec Yasmine Bouagga) adapte quant à elle la recherche du sociologue Mathieu Trachman dans La Fabrique pornographiqueLorsque Howard, jeune vigile de centre commercial et fan de porno amateur, rencontre la star du genre, il saisit l'occasion de se faire inviter sur un tournage pour faire ses premiers pas comme acteur. Mais de l'autre côté du miroir, la production d'un film pornographique se révèle moins glamour : la fabrication des fantasmes sexuels, c'est un travail des corps souvent trivial et éprouvant, soumis jusqu'à l'absurde aux logiques commerciales du genre. Avec ce volume aussi, on s'inscrit clairement, graphiquement, dans le registre "nouvelle BD", mais le style de Lisa Mandel est sympathique et se plie bien au sujet. On découvre cette fabrique pornographique dans une approche qui n'est ni dénonciatrice, ni complaisante. Et à la lecture, l'absurdité, le côté complètement décalé de ce microcosme déclenche tout de même fréquemment le sourire.

Deux autres titres sont déjà annoncés pour avril, l'un consacré aux séducteurs de rue et l'autre au personnel navigant des compagnies aériennes. Et en août, ce sont les clichés des médias sur la banlieue et les coulisses de la grande distribution qui devraient être abordés. Côté forme, ces petits albums (format 16 x 19 cm) en noir et blanc, sous couverture souple, comptent 168 pages et sont d'une présentation agréable. Ils sont vendus au prix de 12 €.

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Pierre Burssens
03/02/2016 - source : auracan.com