Auracan » Indiscretions » Delporte a rejoint Franquin au paradis des bulles

Delporte a rejoint Franquin au paradis des bulles


Yvan Delporte © L. Mélikian

Il était né le 24 juin 1928. Yvan Delporte s'est éteint ce 5 mars 2007. La bande dessinée perd un de ses auteurs les plus imaginatifs. Il a travaillé avec les plus grands, comme Peyo ( Les Schtroumpfs, Benoît Brisefer ), André Franquin ( Le Trombone Illustré, Arnest Ringard, Isabelle ), Will ( Isabelle ), Roba (La Ribambelle), Frédéric Jannin ( Les collectionneurs, Arnest Ringard )… Il a inventé les mini-récits. Il a imaginé les suppléments les plus fous du magazine Spirou. Replongeons avec lui sur sa carrière au service de la BD...

MON AMI GASTON

L'œil malicieux, la barbe hirsute, Yvan Delporte a vu la naissance de Gaston Lagaffe de très près. Il était, en effet, rédacteur en chef de Spirou lorsque André Franquin est venu proposer son personnage à la rédaction : « L'idée était de créer un personnage sans emploi et sans aventure. J'ai été enthousiasmé par ce concept original. Quand Franquin a commencé à décrire son caractère, il n'avait pas encore de nom. J'ai dit alors : tiens, ce type me fait penser à mon ami Gaston. Tu devrais l'appeler Gaston. Sur quoi, Franquin m'a répondu : Ah, oui. Et il l'a appelé Gaston. J'en suis très fier. Mais je ne revendique aucune paternité dans ce personnage. Je n'ai aucunement pris part à sa création. ». Comme il ne vivait pas d'aventure, au départ, Gaston apparaissait simplement sous forme d'illustration : « Le personnage a d'abord intrigué, puis captivé, et avec le temps, il a eu du succès. Au bout du compte, comme il existait, et bien qu'il ait été conçu pour ne pas vivre d'histoires, il a bien vite fallu lui en créer. C'est ainsi qu'il sèmera la pagaille dans la rédaction de Spirou. »

DU MINI-RÉCIT À LA VOITURE DE GASTON

Durant la période (1954-1968) où il en assura la rédaction en chef, Yvan Delporte marqua véritablement de son empreinte l'hebdomadaire des éditions Dupuis. Laissant libre cours à son imagination débordante, il y créera notamment les mini-récits. A la base pour « mettre quelque chose de spécial dans un numéro spécial ». Une idée qui se poursuivra pendant de nombreuses années et qui servit de banc d'essai à de nombreux auteurs. Mais il y eut aussi des tas d'autres choses originales : la maison des Schtroumpfs, le bureau de Gaston, un concours de Gaffophones permettant de gagner la véritable voiture de Gaston en parfait état de marche, un autre où il s'agissait de remporter une vache, un numéro de printemps à l'encre parfumée… Du pur délire !

UN PIRATE DANS SPIROU


© Franquin, Marsu Productions

En 1977, Franquin qui se sent un peu à l'étroit dans le journal Spirou, alors que d'autres magazines de bandes dessinées orientent leur ligne éditoriale vers un public plus adulte, imagine de créer un supplément pirate de l'hebdomadaire dont il est un fidèle auteur. Pour ce faire, il appelle son ami Yvan et ils lancent le Trombone Illustré . Des auteurs venus d'horizons différents mettront leur fantaisie au service de cet étrange supplément : Bilal, Bretécher, F'Murr, Gotlib, Jannin, Tardi, Roba… Ce qui ne se passa pas sans mal, car chez Dupuis, on ne voyait pas d'un bon œil cette bande d'auteurs « anarchistes ». La censure de la maison d'édition frappa trois fois, et la folle aventure s'arrêta après 30 numéros. Un recueil des bandeaux titres dessinés par Franquin est sorti aux éditions Marsu Productions. Les textes qui les accompagnent ont été rédigés par son complice Yvan delporte. Ce fut une occasion pour lui de revenir sur cette période marquante de l'histoire de Spirou.

A.D.A.B.D.

Fondateur de l'UPCHIC (Union Professionnelle des Créateurs d'Histoires en Images et de Cartoons), Yvan Delporte était aussi un membre actif du conseil d'administration de l'Association Des Auteurs de Bandes Dessinées, dont la mission principale est d'informer les auteurs de BD professionnels : « La démarche de l'A.D.A.B.D. est semblable à celle de l'UPCHIC. Je m'y investis car je crois en cette cause. Et ce qui ne gâche rien, ce sont des gens sympa. Plus nous ferons des actions pour la bande dessinée, plus je serai content. ». Anciennement appelée la Maison Des Auteurs de BD, cette association, présidée par Maëster, avait notamment violemment protesté contre l'importante hausse du prix d'entrée du festival d'Angoulême en 2001. Elle s'était également insurgée contre le principe de l'interdiction d'entrer avec des albums sur le salon de la BD de Paris, en 2003. Elle tente à présent de créer et mettre en place une Charte des festivals, de dédicaces, des ex-libris et autres produits dérivés…


© IMPS, Peyo

LA BANDE DES COPAINS

Le scénariste vouait une véritable admiration pour la bande d'auteurs de la nouvelle génération comme Sfar, Trondheim, ou Larcenet : « Ils ont apporté quelque chose, que nous, Belges, n'étions pas capables de fournir. Sauf peut-être Franquin. Et encore. Lui, c'était quasi par advertance. Il s'agit de la tendresse, du sentiment. On a toujours été très pudique en bande dessinée. Comme les femmes nous le reprochent souvent, nous ne savons pas parler des choses du cœur. Eux osent parler de choses tendres et émouvantes. Ils arrivent sur des terrains que nous n'aurions jamais pensés aborder. Plus d'une fois, j'ai téléphoné à Larcenet pour l'engueuler en lui disant : Tu m'as encore fait pleurer avec ton truc, emmerdeur ! »

LE RACHAT DE DUPUIS

Le rachat d'un des fleurons de l'édition BD par Média Participations lui donnait quelques craintes : « Autrefois, quand on rachetait une entreprise, comme un studio hollywoodien, par exemple, c'est qu'on aimait le cinéma. Mais de rachat en rachat, les financiers sont entrés en scène. Et ce n'est plus le métier, mais la rentabilité de l'entreprise qui est source d'intérêt. Dans le cas de Dupuis, si la courbe des bénéfices ne reste pas croissante dans une fourchette déterminée, je crains qu'on ne cherche à supprimer ou à restructurer des secteurs moins rentables. C'est une de mes craintes pour Spirou. »

UN REGARD SUR LE MÉTIER


Yvan Delporte

« Je me rends compte qu'il y a une perception différente du métier d'auteur en Belgique et en France. Si je dis à quelqu'un que je rencontre pour la première fois que je fais de la bande dessinée, un Belge me verra avec sympathie, tandis qu'un Français me demandera ce que je fais comme vrai métier. La BD reste assez méprisée en France. Le grand public ne la perçoit qu'à travers Astérix et Titeuf. Les intellectuels la considèrent comme un divertissement pour minus qui ne savent pas lire. Même une grande partie des pouvoirs publics, malgré des déclarations fracassantes de tel ou tel Ministre de la Culture, ne prend pas cet art réellement au sérieux. »

Bon voyage Yvan… On sait que tu es maintenant avec tous tes copains et que tu vas bien te marrer avec eux.

Partager sur FacebookPartager
Marc Carlot

Propos recueillis par Marc Carlot en mai 2005.
Photo © L. Mélikian

L'hebdomadaire Spirou rendra hommage à Yvan Delporte dans son numéro 3599 du 4 avril 2007.
Un forum d'hommages en textes et en images est accessible ICI.

05/03/2007 - source : auracan.com