Faust, l’album retrouvé de Rodolphe et Raymond Poïvet
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Début des années 1980 : un jeune scénariste - Rodolphe - et une star du dessin réaliste au sommet de sa gloire - Raymond Poïvet - pour un ouvrage unique qui a failli ne jamais voir le jour : Faust . Voici l'extraordinaire et atypique histoire d'un album perdu et retrouvé… et enfin publié aux éditions du Seuil.
Mythe d'origine allemande bien connu, Faust narre l'histoire d'un jeune intellectuel - Johann Faust - qui vend son âme au diable Méphistophélès afin que celui-ci le serve et lui donne l'éternelle jeunesse et les moyens de ses envies… Ce conte narre comment Faust saura se jouer du Diable en conservant son âme tout en ayant allégrement profité de ses largesses. L'histoire de Faust est ainsi celle d'une âme perdue et de la jeunesse retrouvée d'un protagoniste aussi ambigu qu'intelligent.
Maintes fois raconté en littérature, au cinéma ou en peinture, le mythe faustien de l'éternelle jeunesse et de la damnation renaît aujourd'hui au sein d'un bien bel album de bande dessinée signé par le scénariste Rodolphe et le génial dessinateur Raymond Poïvet (1910-1999). Si l'histoire contée par les auteurs est belle, si les planches dessinées - au feutre noir et au stylo-bille - sont superbes, l'histoire même de cet ouvrage est savoureuse. Surtout lorsqu'on réalise que nous aurions pu ne jamais connaître ce beau livre…
![]() Rodolphe et Dominique Poïvet dans l'exposition « Faust, l'album perdu de Raymond Poïvet » |
Vers 1984-1985, Rodolphe, alors jeune scénariste de bande dessinée, imagine pour une maison d'édition aujourd'hui disparue, une adaptation du mythe de Faust que Raymond Poïvet (déjà auteur avec Marc David d'une belle Flûte enchantée ) illustre. Rodolphe se souvient : « Au début des années 1980, je fus contacté par un jeune éditeur dont l'originalité était de coupler albums de bande dessinée et cassettes enregistrées d'opéra. Sans doute, n'étais-je pas un amateur d'opéra particulièrement éclairé, mais j'étais flatté que l'on ait pensé à moi, et l'idée d'adaptation m'intéressait. » Et de compléter : « J'apprends que le dessinateur contacté pour mettre en images mon scénario n'est autre que Raymond Poïvet. On m'annonce cela tranquillement, gentiment, sans émotion particulière. Waaah !!! » On imagine l'émotion du scénariste apprenant qu'il va écrire pour l'immense auteur des Pionniers de l'Espérance (une série culte publiée de 1945 à 1973 dans les journaux Vaillant et Pif )…
L'éditeur faisant faillite, le temps passe sans que Rodolphe n'arrive à replacer son scénario ailleurs. L'aventure éditoriale de Faust paraît avortée… Puis, en 1999, à l'âge de 89 ans, le grand Raymond Poïvet - alias « le Maître » comme l'appelaient ses disciples de l'Atelier 63 - disparaît. L'histoire de Faust, l'album maudit, aurait pu s'arrêter là. Mais c'est sans compter sur Dominique Poïvet, le fils du dessinateur, qui, récemment, un jour de rangement dans la demeure familiale de la Ville-Dieu, découvre sous un lit un paquet de planches sans texte, rangées là pour les aplatir après un trop long séjour dans un rouleau. Recherches faites, il découvre de quel projet inédit il s'agit, contacte Rodolphe et lui annonce la bonne nouvelle : « Si les miracles existent, confie le scénariste, je suis tout particulièrement sensible à celui-ci. L'idée de cet album oublié, perdu, jamais publié, dégageait un parfum d'ingratitude et d'abandon. Cette publication tardive mais enthousiaste rend justice à celui qui fut pour moi tout à la fois un des grands pourvoyeurs de rêves de mon enfance, et le co-auteur pour lequel j'ai nourri la plus grande et respectueuse admiration… » Jolie pirouette de l'histoire.
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Voici donc l'album Faust de Rodolphe et Raymond Poïvet, enfin publié grâce à la persévérance d'un scénariste reconnaissant, d'un fils passionné par l'œuvre paternelle, et d'un éditeur enthousiaste, Vincent Bernière. Pour ce faire, le scénariste a dû retravailler les textes. Comme il nous l'a confié : « Les pages du scénario original commençaient à s'effacer, certains textes manquaient. J'en ai profité pour améliorer ma copie, reprendre certains dialogues. » De la même façon, un long et méticuleux travail a été entrepris sur les planches du maître qui étaient restées muettes : le graphiste Éric Brocherie a ainsi imaginé bulles et lettrages à la façon de Poïvet en s'inspirant de ses formes et de son écriture afin de les compléter… Il en résulte un bien bel album, encore plus attachant lorsqu'on connaît sa singulière histoire.
![]() Vue de l'exposition « Faust, l'album perdu de Raymond Poïvet » présentée au Festival Quai des Bulles 2007 |
À l'occasion du festival Quai des Bulles, les visiteurs du rendez-vous bédéphile de Saint-Malo ont pu visiter une exposition très réussie consacrée à cet album présentant de nombreuses planches originales saisissantes par leur beauté et leur maîtrise graphique. L'occasion pour nous d'en discuter avec Rodolphe, visiblement ému de voir cet ouvrage enfin publié, et de rencontrer Dominique Poïvet qui nous a narré combien la demeure de son père recèle ainsi de croquis, de dessins, d'esquisses… dans les recoins les plus inattendus. Une anecdote parmi d'autres : « J'ai ainsi découvert récemment, dans une grange, des esquisses totalement inédites au fond d'une vieille caisse à outils ! Mon père ne cessait de dessiner, partout, et tout le temps ! »
L'album perdu a donc été retrouvé. Et le voici enfin publié. Qui d'autre que Faust aurait pu être capable d'une telle facétie faite au destin ? Méphistophélès peut-être…