L’Historial de la Grande Guerre s’ouvre à la bande dessinée
affiche de l'exposition
Mobilisation générale !
14-18 dans la bande dessinée
© Historial de la Grande Guerre |
2009 est une année faste pour le neuvième art à l’Historial de la Grande Guerre de Péronne. Après une première exposition consacrée à l’œuvre de Jacques Tardi, le maître incontesté de cette époque en BD, le musée de la guerre 14-18 a inauguré deux expositions d’auteurs de bandes dessinées ayant illustré la Première Guerre mondiale.
Visite guidée...
« Mobilisation Générale ! 14-18 dans la bande dessinée »
Le projet est né il y a dix-huit mois. Les deux commissaires de l’exposition ont proposé leurs services à point nommé car l’Historial souhaitait organiser une exposition de BD sur la der des der. Vincent Marie, de l'université Montpellier III, et Pascal Mériaux, directeur de l’association On a marché sur la bulle, se sont donc retrouvés à monter cette rétrospective de la guerre 14-18 en BD. Pour un budget d’une soixantaine de milliers d’euros et l’aide de l’équipe de l’Historial, ils ont réuni près de 150 planches d’une trentaine d’auteurs européens couvrant la période 1914 à nos jours et réfléchi sur une démarche pédagogique.
vues de l'exposition Mobilisation générale ! © Manuel F. Picaud / Auracan.com |
L’exposition particulièrement riche se décompose en trois parties qui permettent de se faire une idée précise sur le traitement chronologique, thématique et idéologique de la guerre. Chaque thème est soutenu par des couleurs gris, vert et bleu, joliment renforcé par quelques peintures géantes reflétant le thème présenté. Le premier montre comment les illustrateurs ont d’abord brossé la guerre dans une optique de propagande patriotique, avant d’être balayé par Jacques Tardi et son antimilitarisme. Depuis 1995, plus de 50 albums ont permis un renouvellement de la représentation de la guerre.
Xavier Dorison et Bruno Le Floc'h dans le cadre de l'exposition © Manuel F. Picaud / Auracan.com |
La deuxième partie cible les formes d’approches réalistes et documentés pour la plupart, mais aussi fantastiques ou oniriques, et encore humoristiques, romantiques ou fictionnels. Enfin, la dernière partie s’intéresse à la fabrication de l’imagerie populaire qui se concentre le plus souvent sur la guerre des tranchées, met en scène des personnages stéréotypés ou emploie une codification particulière de la « geste de 14-18 » Le résultat est à la hauteur de l’ambition. La succession de planches permet au visiteur de comprendre la variété et l’évolution des approches. Elle rend en quelque sorte la guerre vivante. Alors, même si certains auteurs sont absents, le panorama est très réussi avec une scénographie ajoutant juste assez de documents et objets issus de l’immense collection du musée riche de près de 70.000 pièces. L’exposition ravira les fans de BD comme les amateurs d’histoire.
Jean-Pierre Gibrat, Paul Gillon et le commissaire de l'exposition Vincent Marie
© Manuel F. Picaud / Auracan.com |
Le catalogue d'exposition la Grande Guerre dans la bande dessinée (éditions 5 continents) vient compléter utilement ce parcours. Cet ouvrage de plus de 100 pages contenant quelques belles iconographies donne la parole à des chercheurs et historiens. Ils analysent les mythologies iconographiques de la Grande Guerre en bande dessinée, les représentations de la Grande Guerre dans les Pieds Nickelés ou Bécassine, la construction de l’imaginaire de la Grande Guerre par Jacques Tardi, l’analyse de l’œuvre le Cœur des Batailles d'Igor Kordey et Jean-David Morvan (Delcourt) qui est un des rares albums avec Quintett de Frank Giroud (Dupuis) à évoquer l’homosexualité sur le Front, l’évolution de l’image de l’ennemi, la représentation dans la BD allemande ou le comics américain. Le livre compile enfin une bibliographie très complète.
© Boucq / Historial de la Grande Guerre |
François Boucq illustre le Feu de Barbusse
En même temps que l’exposition Mobilisation Générale ! 14-18 dans la bande dessinée se tient une exposition d’illustrations réalisées par François Boucq et tirées du roman le Feu de Henri Barbusse (Prix Goncourt 1916) récemment réédité par les éditions Invenit.
Sollicité par l’éditeur, François Boucq a lu cet ancien récit cru, percutant et précis de Henri Barbusse sur la Première Guerre mondiale et a accepté de le mettre en images, non pas sous forme d’adaptations en bande dessinée mais par des illustrations. L’éditeur a ensuite sollicité le musée pour avoir accès à l’iconographie de l’Historial. En voyant l’avancement de ce projet, celui-ci a alors eu envie d’exposer quelques 23 dessins dans une petite salle lumineuse où les dessins de François Boucq sont particulièrement bien mis en évidence. Il est alors donné au public de se rendre compte de la réalité des mots.
Le dessinateur s’est imprégné de la documentation pour les rendre plus vivants encore. Boucq avait l’angoisse de faire du beau sur des situations horribles. Il a trouvé un compromis saisissant. Au final les dessins ont une réelle force, dérangeante, émouvante, prégnante.
© Boucq d'après Barbusse / Invenit |
Exposition Boucq illustre Le Feu de Barbusse du 18 septembre au 25 octobre 2009
Historial de la Grande Guerre de Péronne, entrée libre tous les jours de 10h à 18h
Le Feu d’après l’œuvre de Henri Barbusse, illustrations de François Boucq, éditions Invenit, 20 €
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Table ronde sur le thème « Dessiner et raconter la Première Guerre mondiale »
Samedi 19 septembre dernier, jour européen du Patrimoine, les visiteurs de l’Historial pouvait écouter dans l’enceinte du musée une conférence sur la Grande Guerre en BD. Elle était animée par Jean-Christophe Ogier, président de l’Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée (ACBD) qui est resté debout pendant une heure et demi. Face à lui, assis confortablement, participaient Philippe Bonifay, Jean-Pierre Gibrat et Bruno Le Floc’h qui ont évoqué la der des ders dans leurs albums respectivement Zoo, Matteo et Une Après-midi d’été. Un public malheureusement peu nombreux (une cinquantaine de personnes) a pu apprécier les échanges dans la bonne humeur des auteurs interviewés par le journaliste chroniqueur BD à France Info. Il pouvait comprendre que l’intérêt porté par les trois hommes était lié aux histoires racontées ou justement pas racontées dans la famille, un arrière grand-père ou un grand père .
Bruno Le Floc'h, Philippe Bonifay et Xavier Dorison © Manuel F. Picaud / Auracan.com |
Philippe Bonifay qui prépare un quatrième tome de Zoo avec Frank Pé a insisté sur son rôle d’auteur et non d’historien en rappelant le mot de Cocteau : « Je raconte une histoire ; je laisse le soin aux historiens de raconter l’Histoire ! » et d’ajouter qu’on n’a pas besoin d’avoir un point de vue d’historien pour raconter une histoire et qu’il n’entend pas faire un reportage mais avoir un discours d’auteur autour de ses personnages qui vivent l’horreur. Jean-Pierre Gibrat a expliqué comment il a essayé de ne pas esthétiser son dessin en évoquant cette période : « La guerre n’appartient qu’à ceux qui l’ont vécu. » Il a essayé de se concentrer sur la peur : « Le cerveau était broyé par la trouille ! » Il avoue ne pas comprendre comment les hommes ont pu supporter cet enfer sans se révolter ou si peu. Pour ces auteurs, il est difficile d’éviter la tranchée pour évoquer cette période tant elle est symbolique. Bruno Le Floc’h estime que les lecteurs s’y retrouvent car la tranchée caractérise 14-18. Et pour tous, il n’est pas aisé de rire de ce drame. En revanche, il existe une documentation importante pour approcher la réalité, en particulier des correspondances quotidiennes (13 millions de lettres par jour !).
François Boucq et Paul Gillon (assis) en compagnie de nombreux auteurs ayant participé à l'exposition Mobilisation générale ! 14-18 dans la bande dessinée © Manuel F. Picaud / Auracan.com |
Avec 50 albums publiés sur les 14 dernières années sur la Première Guerre mondiale, on peut parler d’une mode qui s’explique sans doute par le fait que ce conflit qui devait être le dernier est en fait la mère de tous les conflits tout aussi sanglants qui lui ont succédé tout long du 20e siècle.
© les auteurs / La Gouttière |
Quelques futures manifestations
Du 6 novembre 2009 au 14 mars 2010 : exposition Cicatrices de guerre(s). C’est une exposition de planches originales tirées d’un collectif éponyme d’auteurs picards sur la Grande Guerre organisée avec l’association On a marché sur la Bulle d’Amiens. L’ouvrage comprenant 16 histoires courtes et des documents extraits du fonds documentaire de l’Historial paraîtra le 8 novembre aux éditions de La Gouttière. On y trouvera des récits permettant de comprendre la vie quotidienne durant ces années noires sur le front mais aussi l’arrière. Parmi les auteurs participants, il y a Daniel Goossens, Paul Gillon (auteur de la couverture), Jean-François Bruckner ou Régis Hautière.
Du 6 novembre 2009 au 14 mars 2010 : une exposition présentera des travaux de lycéens et élèves picards sur le thème de la Grande Guerre, encadrés par l’association On a Marché sur la Bulle, des auteurs professionnels (Régis Hautière, Olivier Frasier, Hardoc et David François) et le service éducatif de l’Historial.
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© Vandermeulen / Delcourt |
Du 7 octobre au 28 novembre 2009 à la bibliothèque Abbé Grégoire à Blois : exposition Fritz Haber. Réalisée en partenariat avec les Rendez-vous de l’Histoire et le festival BD Boum de Blois, cette exposition de planches originales de l’album de David Vandermeulen paru aux éditions Delcourt sur le Prix Nobel de chimie. Cette exposition sera ensuite présentée à partir de février 2010 à l’Historial de Péronne.
- À Blois aura lieu aux Rendez-vous de l’Histoire le 9 octobre à 16h une conférence à destination des enseignants sur le thème : « Utiliser la BD pour enseigner la Guerre 14-18 ? Regards et expériences pédagogiques ». La réunion sera animée par Nicole Lucas avec la participation de Luc Révillon, Sylvain Vernayre, Sylvain Gache et Vincent Marie.
Une nouvelle fois, la bande dessinée prouve qu’elle peut apporter un autre regard à l’Histoire et compléter utilement la vision des livres d’histoire. Cette nouvelle entrée dans un musée prouve que le neuvième art occupe désormais une place entière dans le paysage culturel.