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« Dieu en personne », Grand Prix de la Critique 2010

 

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© Mathieu / Delcourt

Le « Grand Prix 2010 de la Critique Bande Dessinée » couronne l’ouvrage Dieu en personne de Marc-Antoine Mathieu aux éditions Delcourt.

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© ACBD
Avec ce prix, l’ACBD – Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée – consacre un maître de la narration et de la rhétorique : un dessinateur-scénographe qui va peut-être encore un peu plus loin dans ses réflexions avec ce nouvel et courageux album.

Cet auteur kafkaïen par excellence réussit à nous passionner et à nous amuser avec un personnage ambigu, pourvu d’une tignasse et d’une barbe blanche, sans papiers d’identité ni référence de traçabilité, qui annonce aux fonctionnaires de notre planète, lors d’un recensement de population, qu’il est Dieu ! Présentant son discours comme s’il s’agissait d’un reportage télévisé, multipliant les tableaux, les situations et les intervenants, Marc-Antoine Mathieu en profite pour peaufiner son élégant graphisme en noir, gris et blanc.

Marc-Antoine Mathieu est né en 1959 à Angers. Depuis 1990, il se questionne sur le sens de notre monde, sur le destin et sur l'existence d'un être supérieur, par l'intermédiaire de son héros Julius Corentin Acquefacques : le prisonnier des rêves qui travaille au ministère de l'Humour. Avec cette série iconoclaste, publiée aux éditions Delcourt, Marc-Antoine Mathieu joue avec l'objet-livre en réalisant des expérimentations narratives telles que l'anti-case (espace vide au milieu d'une planche), le double sens de lecture, la 3D... Dieu en personne fait partie, quant à lui, des nombreux et formidables one-shot qu'il égrène, de-ci de-là, tels Mémoire morte en 2000, le Dessin en 2001 (Delcourt) ou les Sous-sols du Révolu en 2006 (Futuropolis - Musée du Louvre).

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© Mathieu / Delcourt

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© Mathieu / Delcourt
Quand Dieu revint faire un tour sur Terre

Non, le propos de cette chronique n’est pas de défendre une quelconque remathieugion, tant s’en faut. Dans l’album Dieu en personne, Marc-Antoine Mathieu dresse un inventaire des possibles de la religion, par rapport à la religion, des croyants, des athées, des intolérants, dans un sens comme dans l’autre.

Tout commence par un jour de recensement, comme tout État qui se respecte en conduit régulièrement depuis deux mille ans et des poussières, histoire de compter ses ouailles, ou, comme l’on dit aujourd’hui, les forces vives de la Nation. Tout allait bien, jusqu’au moment où le recenseur recensa… un quidam se nommant DIEU et se prénommant Dieu, Dieu DIEU, « mais en général on [l]’appelle Dieu tout court ». Passé la stupeur puis l’hilarité générale, vient le temps de constater de passer l’individu en question à la question. Exemple : « Qui vous envoie ? », demande le psychiatre. Réponse : « Vous oubliez à qui vous parlez… Je travaille pour mon propre compte. »

De débat en réflexion, de conjecture en perplexité, force est de reconnaître que l’individu qui se dit Dieu n’est pas d’un niveau du commun des mortels. Un exemple ? Selon une laborantine, là où le cerveau d’un humain lambda fonctionne à 10 % de ses capacités, celui de ce monsieur « fonctionne à plein régime… Plus exactement à 99,91% ». Et qu’en est-il du 0,09 % restant ? D’après le quidam, « il s’agirait de l’espace nécessaire pour la réflexion qu’il porte sur lui-même ». Bref, Dieu est une énigme, quand il existe comme quand il n’existe pas. Et comme il prend visiblement plaisir à être parmi les hommes, il va engendrer des conséquences insoupçonnables…

Marc-Antoine Mathieu prend un plaisir manifeste à se torturer les méninges pour pousser aussi loin que possible et dans toutes les directions imaginables les aléas de la vie de ce Dieu DIEU sur Terre, ainsi qu’emberlificoter son histoire de manière hautement kafkaïenne en brocardant les travers de notre société – tout le monde en prend pour son grade.

Les amateurs ne seront pas déçus par l’humour à multiples facettes, bien mis en images par la sévérité des visages, les situations décalées, dans une atmosphère noir et blanc du plus bel effet. Car, même s’il était réduit à un personnage de comics, personne ne rirait, sauf peut-être au théâtre de l’absurde, car, comme le dit si bien Voltaire, « dans la réalité, Dieu est un comédien qui joue devant un public trop effrayé pour rire ».

Mickael du Gouret


L’ACBD compte 76 journalistes et critiques qui parlent régulièrement de bande dessinée dans la presse écrite, audiovisuelle, nationale et régionale, et pour les nouvelles technologies. Cette année, le Grand Prix de la Critique de l’ACBD a été choisi parmi quelque 3607 nouveautés publiées dans l’espace francophone européen (France, Belgique, Suisse), entre novembre 2008 et fin octobre 2009 : une production en augmentation constante depuis 14 ans maintenant.

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Brieg F. Haslé
03/12/2009 - source : auracan.com