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Entretien avec Bruno Pradelle

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autoportrait © Bruno Pradelle
« Depuis un an, je suis plus regardant en fonction de la relation humaine avec le dessinateur. »

À tout juste 36 ans, Bruno Pradelle s’est fait un nom comme coloriste chez Glénat, Vents d’Ouest, Emmanuel Proust et Soleil. Féru d’histoire et de thriller français (romans de Sébastien Japrisot, Pierre Magnan, de Didier Daeninckx, Jean-Claude Izzo…, films de Verneuil ou de Labro), il a également coécrit le scénario de la trilogie policière Sans Pitié parue chez Emmanuel Proust. Découverte d’un jeune talent pour qui l’amitié et le soleil sont essentiels.

En exclusivité : Bruno Pradelle dissèque pour Auracan.com les cinq étapes de la mise en couleurs de la planche 24 du T2 de Flor de Luna d'Éric Lambert, Éric Stalner et Pierre Boisserie (Glénat). Une vraie leçon de pro !


Vous êtes né à Paris 10e d’une mère corse et d’un père marseillais. C’est pour retrouver vos origines que vous vous êtes installé à Marseille ?
J'ai travaillé pendant plusieurs années dans l'industrie graphique à Paris. Le climat y était oppressant. Je suis donc descendu dans le Sud. D'abord en Corse, puis à Marseille. Mais je n’ai pas trouvé d’emploi dans mon domaine. J’ai été obligé de me recycler. Comme je dessine depuis toujours, j'ai trouvé un emploi de « clean story-board » à Aladin, une boite de dessin animé.

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Flor de Luna T2, extrait de la planche 5, mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois
© Lambert - Stalner - Boisserie / Glénat

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Flor de Luna T2, planche 24, mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois, étape 1/5 : « Je commence par les ciels et les personnages » © Lambert - Stalner - Boisserie / Glénat
À Marseille, vous habitez à deux pas du Zarmatelier, un atelier d’auteurs regroupant notamment Éric Stoffel (Oukase, Arvandor, Pandora), Bruno Bessadi (les Chroniques du Sillage), Thomas Allart (Pandora) ou Éric Henninot (Alister Kayne, Carthago). Vos collègues d’Aladin vous ont-ils entraîné vers la bande dessinée ?
La plupart de mes collègues de travail se lançaient dans la BD : Bruno Bessadi (Zorn et Dirna),  Richard Di Martino (Outre Tombe), Michel Espinosa (Oukase), Thomas Allart (les Orphelins de la Tour) et enfin Olivier Thomas (Sans Pitié). Aladin a fini par couler. Comme Olivier Thomas dessinait Arvandor, une BD d'heroïc-fantasy, il me proposa d'en réaliser les couleurs. Peu de temps après, Thomas Allart me confia la mise en couleurs de Pandora.

Vous n’avez donc pas choisi la couleur par vocation, mais saisi une opportunité…
C’est assez vrai, mais quand même un peu par vocation car cela correspondait à mes capacités. J’ai trouvé ce boulot très dur, surtout au début. Je ne m’imaginais pas le poursuivre à long terme. Effectivement, beaucoup arrêtent au bout d'une série. Puis je me suis dit que, si je m'accrochais, je ferais partie des quelques professionnels. J'ai mis en couleurs, seul ou en collaboration, près d'une quarantaine d’albums. Et j'ai proposé à un vieux pote de Paris, Rémy Langlois, de me rejoindre dans le Sud pour travailler avec moi.

Comment avez-vous commencé ?
J’ai commencé un boulot pour France Télécom vers 1998. J’ai fait une partie des illustrations et des couleurs. Les débuts ont été durs. Je travaillais sur un ordinateur à 133Mhz ! Ça plantait tout le temps. Il y a des illustrations que j’ai dû refaire jusqu’à 9 fois ! À l’époque, j’étais obligé de faire le coloriage séparé des ombres, le montage après et je priais pour que cela ne plante pas à l’enregistrement ! Depuis 8 ans, les machines sont plus performantes mais, même pour Arvandor, ce fut le cauchemar. En plus, j’étais à mes débuts. J’en mettais des tonnes et cela faisait beaucoup de calques…

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Quelques albums mis en couleurs par Bruno Pradelle et Rémy Langlois
© Lambert - Stalner - Boisserie / Griffo - Héloret - Bollée / Rovero - Bartoll / Bisi - Rassat / Glénat

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Flor de Luna T2, planche 24, mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois, étape 2/5 : « Je finis ensuite les aplats »
© Lambert - Stalner - Boisserie / Glénat
Vous avez appris totalement seul ?
Oui, mais j’avais suivi une formation d’exécution publicitaire à Corvisart. J’avais appris plus ou moins tous les outils qu’il y a sur Photoshop. En pratique, aujourd’hui, j’utilise l’outil informatique (Photoshop 5.5). Je fais les aplats, puis les ombres et je finalise en faisant les effets, les ciels, etc.

Comment avez-vous été engagé comme coloriste de Flor de Luna d’Éric Stalner, Éric Lambert et Pierre Boisserie ?
Franck Marguin des éditions Glénat m'a proposé le test couleur comme j'avais déjà travaillé avec Pierre Boisserie sur ma première série de science-fiction, Nova Genesis. J’avais cette fois l'occasion de travailler sur une BD se déroulant dans le passé. D’habitude, je travaille plutôt sur une documentation contemporaine, mais là, je trouve un intérêt à aller chercher les voiliers, les costumes de l’époque… Bref, à changer d’univers, ce qui m'a permis d'évoluer. J’ai un petit regret : avoir seulement le synopsis et ne pas avoir les dialogues, ce qui complique parfois la mise en couleurs. Éric Chabbert, lui, était venu à Marseille pour qu’on améliore ensemble Nova Genesis.

Vous êtes réputé pour votre ponctualité.
Certes, mais cela me vaut des wagons de nuits blanches et de cafés pour les bouclages !

Vous travaillez souvent en collaboration avec Rémy Langlois. Comment vous répartissez-vous les tâches ?
Rémy est encore en apprentissage. Il fait le coloriage. En général, je fais les personnages pour qu’il voit le sens des ombres et ensuite il fait les décors et je finalise le reste, je rends l’ensemble homogène, je suis les corrections et j’assure le suivi avec les auteurs. Mon boulot est fini quand tout le monde est content ! Les échanges se font par Internet. Je n'ai par exemple jamais rencontré physiquement ni Éric Stalner, ni Pierre Boisserie.

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Flor de Luna T2, extrait de la planche 9, mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois
© Lambert - Stalner - Boisserie / Glénat

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Flor de Luna T2, planche 24, mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois, étape 3/5 : « Je réalise les ombres en rouge sur fond jaune pour voir parfaitement les traits »
© Lambert - Stalner - Boisserie / Glénat
Comment choisissez-vous les albums auxquels vous répondez aux appels d’offre ?
Jusqu’à peu, je n’ai jamais refusé. Depuis un an ou deux, je suis plus regardant essentiellement en fonction de la relation humaine avec le dessinateur. Je viens de terminer le tome 5 d’Intox, sinon je travaille encore actuellement sur les séries Manson, le Terroriste, L'ultime Chimère, Secrets bancaires, le Grec, Frank Lincoln chez Glénat, le collectif Mafias & Co chez 12 bis, Pandemonium chez Soleil…

Vous venez aussi de sortir le dernier tome de votre polar marseillais Sans Pitié. Vous avez coécrit le scénario avec un autre de vos amis, Pascal Génot, originaire comme vous de l’Alta Rocca en Corse. Racontez nous la genèse de cette série…
Cette série s’est faite en plusieurs étapes. En 1998, j’étais au dessin. Et Pascal Génot était seul au scénario. Et nous avions présenté cinq planches à tous les éditeurs. Mais ils nous demandaient de les recontacter… Et finalement en 2004, Olivier Thomas cherchait un nouveau projet et m’a demandé s’il pouvait reprendre Sans Pitié. Du coup, je suis passé au scénario avec Pascal. Et ça s’est fait chez Emmanuel Proust.

Et la BD va peut-être poursuivre sa carrière sur les écrans…
Oui, en effet, une petite boîte marseillaise, Tita productions, a posé une option sur les droits du scénario de Sans Pitié. Ils ont deux ans pour monter le projet. Je pense qu’ils y tiennent et vont y arriver.

Mis à part les nombreuses séries que vous mettez en couleurs, quels sont vos autres projets ?
En couleurs, je suis un peu un mercenaire [rires] ! À côté de cela, je fais du scénario par passion comme un hobby. Actuellement, je prends le temps de réfléchir à un nouveau projet avec Pascal Génot, Olivier Thomas et Rémy Langlois. Nous voudrions faire un thriller sur le schéma de Il était une fois l'Amérique de Sergio Léone. Trois protagonistes multiplient de nombreuses petites magouilles dans les années 80… Lors de la sortie de prison de l'un d'entre eux, le drame se met en place…

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Flor de Luna T2, planche 24, mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois, étape 4/5 : « J'applique les ombres sur mes aplats » © Lambert - Stalner - Boisserie / Glénat

Et vous envisagez aussi un retour au dessin…
J'ai découvert récemment X-making, un film corse, peu connu, de Gérard Guerriéri. Je voulais me remettre au dessin dans un délire comics à la française : son univers, sa mise en scène et ses dialogues sont vraiment adaptés à ce que je veux faire. Je compte faire quelques pages à l'automne et le proposer au réalisateur dans l'espoir de pouvoir l'adapter. C'est l'histoire de Marco, un petit producteur cinématographique de seconde zone. Il s'est mis dans l'idée de monter le premier film « pornographico-culturel » en langue corse. Mais au pays de la luxure, les trahisons vont bon train, Marco tente d'user de fines stratégies quitte à mettre en péril sa fière identité insulaire pour parvenir à ses fins.

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Flor de Luna T2, planche 24, mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois, étape 5/5 : « Je fais les effets et les dégradés »
© Lambert - Stalner - Boisserie / Glénat

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en juillet 2008
Propos présentés et introduits par Brieg F. Haslé et Manuel F. Picaud
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable

© Manuel F. Picaud / Auracan.com

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Manuel F. Picaud
29/10/2008