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Entretien avec Rémy Langlois

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Rémy Langlois © Bruno Pradelle
« Les coloristes sont des mercenaires de la BD ! »

À tout juste 36 ans, formé à l’imprimerie et au graphisme publicitaire, Rémy Langlois est coloriste, en particulier pour les maisons d’édition Glénat et Emmanuel Proust. Depuis trois ans, il multiplie les signatures de mise en couleurs d’albums réalistes – souvent en binôme avec Bruno Pradelle.

Découverte inédite de son itinéraire.


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Flor de Luna T2
extrait de la planche 13
mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois
© Lambert - Stalner
Boisserie / Glénat
Votre parcours est très lié à celui de Bruno Pradelle…
Je connais Bruno depuis le lycée, plus de 20 ans donc. On ne s’est pas lâché depuis. C’est en effet lui qui m’a fait venir sur Marseille pour faire de la BD. Nous avons fait les mêmes études. Après nos CAP en imprimerie, nous avons décidé de poursuivre au lycée d’art graphique Corvisart à Paris en section publicité. Cela devait nous permettre de rentrer dans des boîtes de pub. J’ai suivi le cursus jusqu’au bout, mais j’ai raté le diplôme. Bruno a abandonné un peu avant parce qu’il avait d’autres trucs en tête. En fait, il est arrivé plus vite à la bande dessinée. Il a fondé toutes ses bases du métier de coloriste sur ordinateur. Il a débuté avec les ordinateurs qui flanchent, les nuits blanches... De mon côté, j’ai fini, après mon service militaire, dans une imprimerie. J’y galérais quand un jour, en 2003, Bruno m’a appelé et m’a proposé de venir faire de la colorisation avec lui à Marseille. Vous voyez le dilemme : coloriste à Marseille ou ouvrier à Paris ? Je n’ai pas hésité ! J’ai mis à profit tout ce qu’il m’a appris. Avant, je n’avais jamais touché à un ordinateur. Depuis ce jour, on est en collaboration et cela marche bien.

Dessiniez-vous quand vous étiez gamin ?
Ah oui, je dessinais ! Cela a sans doute un peu pourri mes études en fait ! Parce que quand vous êtes jeune et que vous savez dessiner, vous dessinez. Quand les profs parlent, vous faites des dessins, vous épatez vos potes, mais vous ne bossez pas et vous vous retrouvez très vite sur une voie de garage. Je me suis ainsi retrouvé en LEP [lycée d’enseignement professionnel, ndlr]. D’après l’Éducation Nationale, ces études correspondaient à ce que je savais faire, en rapport avec le dessin. C'est-à-dire que j’étais bon pour être ouvrier en imprimerie ! Cela ne correspondait pas vraiment à mes capacités car je sais quand même dessiner.

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Flor de Luna T2, extrait de la planche 5
mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois
© Lambert - Stalner - Boisserie / Glénat
Aujourd'hui, vous rattrapez le temps perdu en compagnie de Bruno Pradelle. Combien d’albums avez-vous signé ?
J’en ai un peu moins à mon actif que Bruno. J’ai collaboré à beaucoup de ce qu’il a fait sans pour autant être cité tout le temps. Seul, j’ai travaillé à partir de 2005 chez Emmanuel Proust sur Sans Pitié, Raspoutine et chez Glénat sur le T2 de la série Incantations. Actuellement, je suis quasiment sur tous les tomes avec Bruno. À quelques exceptions près : de temps en temps nous signons des trucs séparément.

Vous travaillez ensemble dans un même studio ?
Non, nous travaillons chacun chez soi. Nous utilisons les moyens de communication actuels (FTP,  Internet, etc.). Et comme Bruno n’habite pas loin de chez moi, je passe le voir et il m’arrive même de déplacer ma bécane chez lui pour que nous y bossions quand nous sommes courts sur les délais.

Et comment vous répartissez-vous les planches ?
En général, nous faisons chacun la moitié. La répartition varie. Nous nous répartissons des pages ou des séquences. Après, nous reprenons tout et nous faisons une mise au point pour garder une cohérence d’ensemble. Il ne faut pas qu’on puisse voir de différence entre les planches.

Comment fonctionne votre technique ?
Bruno a mis au point la technique. Comme il l’a fait lorsque les bécanes n’étaient vraiment pas performantes, c’est vraiment très optimisé. En clair, la technique est souple, adaptable aux désirs des éditeurs et des auteurs. Et le tout est assez rapide.

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Flor de Luna T2, extrait de la planche 5, mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois
© Lambert - Stalner - Boisserie / Glénat

Y a-t-il beaucoup d’allers-retours avec les éditeurs et les dessinateurs ?

Pas tellement. Parfois il s’agit de petites retouches. Souvent, des mini détails, comme la couleur des cheveux ou des yeux. Ce n’est vraiment pas énorme. Ce n’est jamais toute une planche à refaire.   

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Flor de Luna T2, extrait de la planche 9
mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois
© Lambert - Stalner - Boisserie / Glénat
Ça veut dire que les auteurs donnent assez d’indications à suivre ou le coloriste a une vraie liberté ?
Ça dépend. Certains auteurs fournissent beaucoup de documentation. Normalement on reçoit les scénarios et les synopsis. Parfois, ce n’est pas tout à fait complet. Après, il arrive que nous ayons des surprises. Il arrive que nous colorions des BD sans avoir les textes par exemple. Nous nous fions au scénario. Nous essayons de deviner par rapport à ce qui est dessiné. Pour l’anecdote, sur le T1 de Flor de Luna, au début, le gars dit qu’il aime bien fumer le cigare le matin. Mais nous ne le savions pas. Et nous avions fait une ambiance de nuit parce que nous pensions que c’était plus dramatique. Il nous manquait le texte des bulles ! Du coup, Boisserie et Stalner ont juste changé le texte…

Arrivez-vous à vivre de votre profession de coloriste ?
Comme on est suffisamment sollicités, j’arrive à en vivre. Je pourrais faire cela en plus d’un boulot à côté, faire cela un peu en dilettante, mais justement notre force est de réagir vite et d’avoir des délais très courts. Et jusqu’ici, on n’a jamais été en retard !

Qui des éditeurs ou des dessinateurs vous sollicitent ?
Pour le moment, cela s’appuie beaucoup sur Bruno avec qui je suis associé. Il est l’élément principal qui négocie les contrats. Il dit simplement que je suis avec lui. Et après, je signe aussi quelques tomes tout seul, mais le gros de mon travail est en collaboration avec lui.

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Flor de Luna T2, extrait de la planche 13, mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois
© Lambert - Stalner - Boisserie / Glénat

Comment avez-vous été choisis pour mettre en couleurs la série Flor de Luna ?
J’ai eu des contacts avec les auteurs uniquement par mail. Nous avons été choisis par appel d’offres. Il peut aussi y avoir des affinités quand nous avons envie de bosser avec tel ou tel auteur parce que nous apprécions son boulot. Mais le plus souvent, on nous propose, nous faisons des essais, nous sommes mis en concurrence avec d’autres et c’est le meilleur qui l’emporte.

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Flor de Luna T2, extrait de la planche 13
mise en couleurs de Bruno Pradelle et Rémy Langlois
© Lambert - Stalner - Bisserie / Glénat
Et vis-à-vis d’Éric Stalner, c’était par goût pour son dessin ?
Cet aspect joue aussi. Nous préférons faire les couleurs pour des auteurs qui ont un certain style, mais nous disons souvent que nous sommes des mercenaires de la BD. On nous choisit. Nous pouvons nous exprimer dans la colorisation, mais nous ne nous mettons pas en avant. Certains coloristes ont des prétentions artistiques. Nous n’hésitons pas à retoucher tout ce qu’on veut. Nous nous définissons comme des créatifs. Nous ne cherchons pas à tirer la couverture à nous. Si notre travail convient aux auteurs, nous faisons le tome ensemble et puis toute la série. Quand nous signons, à de rares exceptions près, nous réalisons la série tout entière.

Comment voyez-vous votre évolution dans le métier ?
J’aimerais déjà me faire une bonne place comme coloriste. Et après, comme je sais quand même dessiner, j’aimerais trouver le courage pour réaliser une BD en entier. Peut-être avec Bruno... Nous y réfléchissons, mais pour le moment nous sommes bien occupés. Je ne suis même pas parti en vacances. Il faut toujours quelqu’un de permanence !

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Sans Pitié T3, extrait de la planche 40, mise en couleurs de Rémy Langlois
© Thomas - Génot - Pradelle / Emmanuel Proust

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en juillet 2008
Propos présentés et introduits par Brieg F. Haslé et Manuel F. Picaud
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable

© Manuel F. Picaud / Auracan.com

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Manuel F. Picaud
31/10/2008