Entretien avec Daniel Casanave
Daniel Casanave © Dargaud |
« Un livre sentimental sur les Ardennes... »
À l’occasion de la sortie de l’album Verlaine. Une saison en enfer (Les Rêveurs), Auracan.com a interrogé Daniel Casanave, auteur de cet ouvrage cosigné avec Bernard Jagodzinski (coscénario et dialogues) et Patrice Larcenet (couleurs) pour un décryptage des plus intéressants.
Daniel Casanave, comment est né ce projet ?
En fait, il s’agit d’une vieille idée qui traîne depuis un bon moment. Il y a longtemps que je voulais réaliser un livre sur les Ardennes – je suis ardennais moi-même. Mais je n’avais pas envie de faire un livre sur Rimbaud. Avec Bernard Jagodzinski, nous nous sommes dit : nous allons faire un livre sur Rimbaud sans parler de Rimbaud, ce sera donc sur Verlaine, qui est un peu le personnage oublié, et qui jouit encore d’une sale réputation dans nos campagnes.
Verlaine. Une saison en enfer
© Casanave - Jagodzinski / les Rêveurs |
Justement, à propos des Ardennes, à regarder certaines cases de près, elles semblent bien rugueuses…
C’est vrai qu’elles le sont. Je n’ai fait que montrer une certaine réalité. Les gens, paysans ou autres, sont ancrés dans des certitudes, des carcans assez rigides, qui ne bougent pas.
À ce propos, l’une des premières scènes qui se passe dans un café est mémorable !
Le troquet est bien réel, il s’agit de l’ancienne Auberge du Lion d’or à Juniville. Il existe encore et est devenu le Musée Verlaine, qui a été déterminant pour notre travail sur Verlaine. Le musée est tenu de main de maître par un passionné, Marc Gaillot, qui nous a donné beaucoup de pistes inédites sur les traces de Paul-Marie Verlaine…
Qui a fait quoi, dans cet album ?
En fait, c’est un vrai quatre-mains. Je suis venu avec l’idée, et Bernard et moi-même avons co-écrit le scénario, revu et corrigé pendant un bon moment. Puis Bernard a écrit les dialogues. Si l’idée de Verlaine nous est venu rapidement, je ne voulais pas réaliser un album historique, d’où cette approche qui a consisté à confronter l’Afrique de Rimbaud et les Ardennes de Verlaine.
Verlaine. Une saison en enfer, extrait planche 79 © Casanave - Jagodzinski / les Rêveurs |
Ceci explique en partie ces différents niveaux de lecture et d’écriture…
Oui, en effet, mais pas seulement. Le livre est enrichi aussi par beaucoup de citations. De temps en temps, on glisse de dialogues classiques vers de la poésie pure. Et il faut ajouter que nous avons inclus du patois, que ce soit dans les mots, dans la façon de parler des paysans ou dans celle de Verlaine lui-même. Mon rapport au monde rural ardennais vient directement de ma famille – mon oncle et ma tante sont de petits agriculteurs. Quant à Bernard, il vit à la campagne et connaît le monde paysan, ses bêtises comme ses délices ou ses joies.
Verlaine. Une saison en enfer, ex-libris © Casanave - Jagodzinski / les Rêveurs |
Verlaine. Une saison en enfer
extrait planche 12 © Casanave
Jagodzinski / les Rêveurs |
Y résiderait-il un petit côté autobiographique ou analytique ?
Non, je ne pense pas. Je suis de Charleville-Mézières, chef-lieu du département des Ardennes. L’album n’inclut donc pas de souvenirs de mon enfance.
Pourquoi avoir choisi ce format à l’italienne ?
Tout simplement parce que c’est celui de la collection. Le format est donc imposé. C’est vrai qu’il sort de l’ordinaire, c’est plus difficile à gérer pour les libraires, mais il permet de dessiner de grands plans, de réaliser des panoramiques, de jouer des mises en scène différentes de celle d’un format classique.
De glisser d’une image à une autre…
Dit en d’autres termes, il permet la promenade.
Pourquoi l’avoir fait éditer chez les Rêveurs ?
Je l’ai proposé ailleurs, mais je me suis rapidement rendu compte que tout le monde n’était pas intéressé. Jusqu’au moment où Nicolas Lebedel, responsable des Rêveurs, m’a dit « tu devrais le faire chez nous ». Nous avons augmenté le nombre de pages, revu les découpages, ajouté des scènes.
Et vous avez inclus un dossier très intéressant pour refermer l’album. Qui est à l’origine de ce dossier ?
L’idée de ce dossier vient de moi. L’album Baudelaire, publié lui aussi chez les Rêveurs, contenait déjà un tel dossier. J’ai donc renouvelé l’opération, mais d’une façon différente. J’ai demandé à un ami écrivain, Franz Bartelt, de l’écrire. Nous avons déjà réalisé un livre ensemble, sur André Dhôtel, écrivain ardennais de l’après-guerre.
Verlaine. Une saison en enfer, extrait planche 59 © Casanave - Jagodzinski / les Rêveurs |
Plus globalement, le traitement, le rythme, l’ambiance, la couleur humaine n’ont rien à voir avec votre Crémer chez Dargaud. C’en est même surprenant.
Cela n’a rien à voir, le dessin est différent, et, surtout, ce n’est pas traité dans le même esprit. En fait, Rimbaud nous accompagne, il fait partie de notre formation de jeunesse, il nous a tous marqués, il est très présent dans l’univers de chacun. J’ai donc mis beaucoup plus de moi-même dans Verlaine que dans Crémer, qui est plus l’univers de David Vandermeulen, même si, et je préfère le préciser pour éviter toute ambiguïté, j’apprécie particulièrement David et son univers. David est un ami.
Verlaine. Une saison en enfer, extrait planche 60 © Casanave - Jagodzinski / les Rêveurs |
Difficile de ne voir dans Verlaine. Une saison en enfer qu’un livre sur ce poète...
C’est vrai. Curieusement, bizarrement, c’est aussi un livre purement sentimental sur les Ardennes. De plus, ce livre est une longue balade dans laquelle nous avons mis en scène un personnage, nous avons voulu montrer l’humanité de ce personnage, sans tomber dans la facilité de n’en pas faire qu’un simple poivrot. Dans la passion de Rimbaud et de Verlaine, qui n’a duré que quelques années, il y a l’émulation, la folie créatrice qui sont restées jusqu’aujourd’hui, peut-être à cause de leur jeunesse…
Verlaine. Une saison en enfer, extrait planche 56 © Casanave - Jagodzinski / les Rêveurs |
Quels sont vos autres projets ?
J’ai fini le T2 de Crémer, dont la parution est prévue en février 2009. En mars devrait aussi sortir le T4 des Aventures rocambolesques… avec Manu Larcenet. Par ailleurs, je réfléchis à un troisième bouquin sur la littérature du XIXe siècle – après, je pense que j’aurai fait le tour de mon sujet. Mais cette fois, ce ne sera sans doute pas un poète, plutôt un écrivain. A priori, ce serait Flaubert.
Propos recueillis par Mickael du Gouret en octobre 2008
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