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Entretien avec Fabrice Douar

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Fabrice Douar, éditeur au Musée du Louvre
et co-commissaire de l'exposition © DR
« La collection de BD coéditée par le Louvre et Futuropolis comptera huit à dix titres au final. »

À l’occasion de l'exposition Le petit dessein. Le Louvre invite la bande dessinée au Louvre des albums coédités avec Futuropolis (exposition présentée jusqu'au 13 avril), Fabrice Douar, initiateur et responsable de cette collection aux éditions de ce musée, dresse pour Auracan.com un premier bilan et présente les projets en cours de création...

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la Joconde vue par Nicolas de Crécy
© de Crécy / Futuropolis
Éditions Musée du Louvre
Pouvez-vous nous rappeler le pourquoi de cette collection ?
Éditeur au Louvre, je travaille sur des ouvrages depuis des années ; par ailleurs, je suis un grand amateur de bandes dessinées. Un jour, je me suis dit : Pourquoi ne pas faire se rejoindre ces deux univers ? Pourquoi ne pas faire des BD sur le Louvre, à propos du Louvre ou édités par le Louvre ? Le projet a été assez vite accepté par la direction, dans le sens où cela entrait dans la politique d’inviter l’art contemporain au musée, pour un échange, un regard croisé entre art contemporain et les collections du Louvre [qui s’arrêtent à 1848, ndlr]. L’idée était de créer une passerelle entre ces deux mondes : ouvrir aux amateurs de BD les collections du musée, et, en même temps, faire découvrir aux amateurs des collections de ce musée l’univers de la BD, leur montrer qu’il y a là aussi des auteurs, des artistes, des œuvres, importants, intéressants.

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la Joconde vue par Marc-Antoine Mathieu
© Mathieu / Futuropolis
Éditions Musée du Louvre
Justement, cela fait bientôt quatre ans que le projet de collection est lancé. Quel bilan en dressez-vous ?
Déjà, la collection est à la hauteur des objectifs en termes de qualité. Jusqu’à présent, nous avons fait appel à des auteurs que nous considérons comme de grands auteurs, des créateurs ayant un univers personnel très riche, et suffisamment forts pour pouvoir se confronter à l’univers, riche lui aussi, du musée. Nous avons contacté des auteurs essentiels dans le panorama de la BD actuelle, et chaque auteur a répondu présent à chaque fois, s’est engagé dans ce projet. Donc, déjà, au niveau qualité, le bilan est parfait. Nous sommes donc plutôt ravis du casting.

Est-ce à la hauteur des objectifs fixés ?
En termes des quantités, cela a même dépassé nos espérances. Période glaciaire de Nicolas de Crécy, le premier titre, a très bien marché et continue de marcher, puisque nous en sommes à présent à près de 55.000 exemplaires vendus. En ce qui concerne les autres albums, les Sous-sols du Révolu de Marc-Antoine Mathieu, sorti en octobre 2006, est à peu près à 20.000 exemplaires vendus, et Aux heures impaires d’Éric Liberge devrait avoisiner lui aussi les 20.000 exemplaires en quelques mois. Pour le Ciel au-dessus du Louvre de Bernar Yslaire et Jean-Claude Carrière, qui sort en mai 2009, nous allons réaliser un gros tirage, parce que nous tablons aussi déjà sur des ventes importantes.

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les 3 premiers titres parus : Période glaciaire, les Sous-sols du Révolu, Aux heures impaires
© de Crécy - Mathieu - Liberge / Futuropolis - Éditions Musée du Louvre

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la Joconde vue par Bernar Yslaire
© Yslaire / Futuropolis
Éditions Musée du Louvre
Au départ, vous aviez prévu quatre albums. Aujourd’hui, où en êtes-vous ?
La première série est terminée. Avec Futuropolis, coéditeur, nous avons lancé une nouvelle salve de quatre à six albums. Nous avons ouvert un peu plus large, quatre étant un peu limité. La collection, que nous ne pensons pas prolonger au-delà, comptera donc huit à dix titres au final. Le principe est aussi de montrer l’étendue du champ créatif de la bande dessinée contemporaine. Une fois que nous avons touché un peu tous les domaines, nous arrêterons.

Avec quels auteurs ?
Nous avons décidé d’« ouvrir à l’international ». Pour le moment, le cinquième titre devrait être signé du mangaka Hirohiko Araki, une star au Japon pour sa série Jojo’s Bizarre Adventure [publié en France chez J’ai Lu puis Tonkam, ndlr]. Toujours selon le même principe. Il y aura un second mangaka, lui, dans un style beaucoup plus classique. Nous avons des pistes avec d’autres auteurs, mais ce n’est pas encore signé.

Éric Liberge a cité des noms d’autres auteurs, tel Emmanuel Guibert, dans un article paru sur le blog de Sud-Ouest
Emmanuel Guibert faisait déjà partie de la première salve. Pour des raisons personnelles, notamment parce qu’il travaillait sur d’autres projets, il a dû retarder sa collaboration, mais nous espérons bien qu’il fasse partie de la seconde salve. Comme d’autres. Là, nous avons évoqué Bilal, Blutch, Taniguchi, et beaucoup d’autres auteurs…

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la Joconde vue par Éric Liberge
© Liberge / Futuropolis
Éditions Musée du Louvre
Comment allez-vous valoriser la collection ?
Nous venons d’inaugurer une exposition. À cette occasion, le Ciel au-dessus du Louvre, quatrième titre et dernier titre de la première série, aurait dû paraître à cette occasion, mais Bernar Yslaire, l’auteur, a pris un peu de retard. La parution est désormais prévue en mai 2009. L’exposition présente aussi deux projets, celui de Bernar Yslaire, bien sûr, sous forme de séquences vidéo – cet auteur travaille aujourd’hui sur ordinateur –, et les deux planches réalisées par Hirohiko Araki pour son album [Rohan au Louvre, titre provisoire, ndlr], qui devrait paraître en septembre-octobre. Cette exposition, qui se veut donc à la fois une rétrospective et déjà une prolongation, se tiendra jusqu’au 13 avril, salle de la Maquette, dans l’aile Sully. C’est la salle dévolue aux expositions d’art contemporain.

La bande dessinée change donc vraiment de statut dans le musée…
Tout à fait. C’est une grande exposition du musée, avec affichage dans le métro, site internet, couverture presse, grand vernissage… C’est la volonté du directeur du Louvre, comme si nous exposions des dessins du département des arts graphiques.

Comment la perception de la bande dessinée a-t-elle évolué au sein des éditions du Louvre, mais aussi au sein du Musée du Louvre ?
BD et musée sont deux mondes qui se regardent toujours un peu de travers, alors que, et c’est ce qui est amusant, ils ont beaucoup de points communs. Par cette collection, de façon certes modeste, nous arrivons à faire voir aux amateurs de ces univers ces points communs, l’expression artistique, l’expression créative, le dessin, le trait, la couleur, la narration ; tous ces éléments font partie du langage de l’histoire de l’art. C’est intéressant de voir que ce n’est pas une transposition, puisque l’on peut aussi imaginer que la bd soit une sorte de « refuge » de l’art figuratif au XXIe siècle ; nous sommes dans une prolongation-prolongement, et pas du tout dans une projection. Notre collection montre aussi cela. Des univers d’auteurs, des styles vivants, qui justement, sous forme de clin d’œil, se servent du Louvre pour faire éclater leur talent. Aujourd’hui, cela est perçu de façon bienveillante au Louvre. Ceux qui aimaient déjà la BD sont évidemment ravis, ceux qui ne connaissaient pas sont contents de découvrir ces auteurs, de ce que cette collection existe. Quant au directeur, il est ravi également, puisqu’il a voulu l’exposition actuelle.

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Rohan au Louvre (titre provisoire) de Hirohiko Araki, projet de couverture, à paraître début 2010
© Araki / Lucky Land Communications - Shueisha Inc.
Futuropolis - Éditions Musée du Louvre

Vous êtes à l’initiative de ce projet, mais c’est Futuropolis qui passe pour être l’éditeur…
C’est rare qu’un éditeur vient voir le Louvre pour proposer un projet. En règle générale, ce sont les éditions du Louvre qui contactent un éditeur pour une coédition, comme je l’ai fait. Maintenant, c’est le Louvre ET Futuropolis. Il faut aussi reconnaître à Futuropolis le fait d’avoir soutenu ce projet de collection.

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le Ciel au-dessus du Louvre, couverture
à paraitre en mai 2009
© Yslaire - Carrière / Futuropolis
Éditions Musée du Louvre
Qui est à l’initiative de la seconde salve ?
Tous les deux. Sébastien Gnaedig, directeur éditorial de Futuropolis, et moi-même nous sommes rapidement dit que quatre titres, cela était trop rapide, que nous n’avions pas fait le tour, que nous avions encore des idées. Nous avons aussi prolongé parce que les titres déjà publiés se sont bien vendus. Les éditions du Louvre ont peut-être été un peu frileuses au départ, parce qu’elles n’avaient jamais édité de bandes dessinées, donc une réflexion consistait à dire « si cela ne marche pas, on ne va pas plus loin ». Comme les premiers titres fonctionnent bien en termes de ventes, de qualité, le Louvre a dit OK.

Douce réalité économique. Mais revenons vers le contenu. L’idée de départ était de mentionner le Louvre, de partir du Louvre, de se terminer dans le Louvre, de parler d’une œuvre du Louvre. Finalement, les quatre premiers titres n’ont même pas quitté le Louvre. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai, le Louvre exerce un magnétisme assez puissant. Pour les premiers auteurs, qui ont certes chacun un univers fort, ce musée leur parle tellement, on ne peut sans doute pas parler d’un excès de timidité de leur part, mais ils n’osent peut-être pas sortir du musée, aller ailleurs et jouer avec ce concept. Donc, pour le moment, sans qu’ils s’y sentent enfermés, ils sont dans le Louvre.

En tant qu’éditeur, n’y a-t-il pas là un petit regret qu’ils n’aient pas pris du recul, d’autres chemins ?
Je laisse la porte ouverte aux prochains auteurs, qui réagiront peut-être différemment, notamment Hirohiko Araki, qui, lui, vit au Japon, donc loin d’ici. Il réalisera peut-être des chapitres hors d’ici – et encore, puisque j’ai lu son synopsis, l’histoire se passe beaucoup ici ! En même temps, chaque auteur a abordé ce musée d’une manière qui lui est propre, originale et différente des autres. Il y a peu de points communs d’un titre à l’autre, donc je n’ai pas de regret. Cela montre la richesse de ce musée, de ces murs, de ce palais, qui est prêt à accepter, à accueillir tous les imaginaires. Il y a peut-être un regret scénaristique, mais pas de regret quant au rendu final, quant à l’album dans son ensemble, bien au contraire.

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le Ciel au-dessus du Louvre, planche en cours de réalisation, à paraître en mai 2009
© Yslaire - Carrière / Futuropolis - Éditions Musée de Louvre

Avec ces quatre titres, avez-vous redécouvert certaines salles, certains lieux, certaines ambiances de ce qui est l’un des plus grands musées du monde ? D’autant que chacun des trois premiers titres déjà parus donne à voir des choses différentes. Comment les gens directement concernés réagissent-ils ?
Il y a toutes les réactions. Déjà, avant d’une redécouverte, chaque album est une découverte particulière pour un simple visiteur. Pour les gens qui y travaillent, pour la sortie de l’album les Sous-sols du Révolu de Marc-Antoine Mathieu, beaucoup de conservateurs m’ont dit se reconnaître un peu dans le personnage du Volumeur, dans ses pérégrinations, dans la problématique du temps… Ici, plus que de lieu, il s’agissait d’une redécouverte des fonctions par les gens qui l’exercent. Pour Période glaciaire, il s’agissait d’une redécouverte de certains œuvres. Sans oublier la redécouverte d’une certaine ambiance du Louvre la nuit dans l’album Aux heures impaires d’Éric Liberge.

Propos recueillis par Mickael du Gouret en décembre 2008 et janvier 2009
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
© Mickael du Gouret / Auracan.com

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affiche de l'exposition Le petit dessein
Le Louvre invite la bande dessinée

© Yslaire - Liberge - de Crécy - Mathieu
Futuropolis - Musée du Louvre
Exposition « Le petit dessein. Le Louvre invite la bande dessinée »
du 22 janvier au 13 avril 2009

Musée du Louvre, Aile Sully, entresol, salle de la Maquette

Commissaires : Fabrice Douar, adjoint au chef du service des Éditions Musée du Louvre, et Sébastien Gnaedig, directeur éditorial Futuropolis
Scénographe : Marc-Antoine Mathieu

Horaires : tous les jours, sauf le mardi, de 9h à 18 h, les mercredi et vendredi jusqu’à 22h.

Tarifs : accès avec le billet d’entrée au musée : 9 € ; 6 € après 18 h les mercredi et vendredi. Accès libre pour les moins de 18 ans, les chômeurs, les adhérents des cartes Louvre jeunes, Louvre professionnels, Louvre enseignants, Louvre étudiants partenaires et Amis du Louvre.

Itinérance de l'exposition : Festival international de BD de Lausanne, Suisse (septembre 2009), Festival international de la BD de Belo Horizonte, Brésil (octobre 2009), Salon du Livre de Jeunesse de Montreuil, France (novembre 2009), Festival international de la BD d'Angoulême, France (janvier 2010), Foire du Livre de Bruxelles, Belgique (mars 2010), Tokyo, Japon (courant 2010).

Renseignements : + 33 (0)1 40 20 53 17 / www.louvre.fr  / www.futuropolis.fr

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Mickael du Gouret
03/02/2009