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Entretien avec Laurent Galandon

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Laurent Galandon
© Manuel F. Picaud / Auracan.com
« Un album BD, c’est un dessinateur, un scénariste, un coloriste et un éditeur. »

Laurent Galandon, 39 ans, n’a démarré qu’en 2005 sa carrière de scénariste de bande dessinée. Il s’est fait connaître avec son premier diptyque l’Envolée sauvage, plusieurs fois primé et salué tant par la critique que le public.

Installé aujourd’hui en Ardèche, le jeune scénariste multiplie chez Bamboo et Dargaud des projets d’albums ancrés dans l’Histoire pour mieux l’interroger et faire réfléchir.

En 2009,
Laurent Galandon publie trois nouveautés et prépare huit autres albums. Auracan.com a souhaité mieux connaître ce scénariste qui déborde de projets…

Vous êtes passé de la photographie, à la gestion d’un cinéma d’art et d’essai puis à l’écriture de scénario de bande dessinée. Comment se sont réalisées ces transitions ?
C’est un peu les hasards de la vie à vrai dire. Ce sont des médias qui ont quand même une certaine transversalité. Plus jeune, j’avais très envie de faire du dessin. Mais je n’ai pas eu l’occasion d’apprendre à dessiner. Arrivé à l’adolescence, je me suis alors tourné vers la photographie. J’étais très intéressé par la photographie narrative. Après, j’ai effectivement assuré la gestion d’une salle de cinéma pendant six ans. C’est là que j’ai commencé à lancer des histoires sur le papier. Et puis tout doucement je suis arrivé à la bande dessinée.

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© Benevento - Galandon / Bamboo - © Monin - Galandon / Bamboo

Pourquoi plutôt la bande dessinée que le cinéma ?
Je crois que c’est plus directement lié à mon passé de photographe. J’arrive assez bien à visualiser ce que va se passer en image fixe mais quand il s’agit d’écrire pour la télévision ou le cinéma, j’ai encore du mal à faire le transfert dans ma tête. C’est pour cela que la BD s’est imposée d’elle-même.

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© A.Dan - Galandon / Bamboo
© Monin - Galandon / Bamboo
Une rencontre particulière vous a-t-elle mise le pied à l’étrier ?
Absolument, celle avec Philippe Bonifay qui est depuis devenu un ami. Il m’a donné de bons conseils pour bien démarrer.

Vous semblez apprécier particulièrement la bande dessinée réaliste moderne…
J’ai toujours été très sensible à la bande dessinée de Frank Giroud, de Joseph Béhé, d’Éric Stalner...  C’est ce type de BD là que je continue à lire. Cela dit, à force de découvrir des albums, je suis plus ouvert que je ne l’étais au départ. Je peux prendre du plaisir avec les Coupures irlandaises [de Kris et Vincent Bailly chez Futuropolis, ndlr] alors qu’il y a encore quelques années, cela ne m’aurait pas interpellé plus que cela. Maintenant, j’ai envie d’aller voir ailleurs et je prends plaisir à ce type de lecture.

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l'Enfant maudit T1, extrait inédit de la planche 32
© Monin - Galandon
Bamboo
Comment avez-vous connu l’Atelier BD ?
J’ai connu l’Atelier BD en faisant des recherches sur Internet. Quand j’ai commencé à écrire, je me suis dit qu’il fallait que j’aille plus loin côté technique. L’Atelier BD correspondait à mes besoins. À cette époque, j’étais encore salarié et le temps que je pouvais consacrer à la bande dessinée était assez réduit. Du coup, les cours à distance de l’Atelier BD me satisfaisaient beaucoup. J’ai fait cela pendant six mois. J’étais le premier étudiant « scénario » et j’ai été accompagné dans mes premiers exercices par Jean-David Morvan. Au bout de quelques mois, Jean-David m’a encouragé à me lancer, ce que j’ai fait.

Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
Des petits trucs, notamment sur le séquencié. Être plus vigilant sur le rythme. L’aspect découpage aussi : je ne savais pas quelle part du travail réalisait le scénariste. Finalement, ce sont là des questions assez basiques. Et puis, cela m’a aussi permis de prendre confiance, d’avoir le regard extérieur d’un professionnel qui m’a encouragé à aller présenter mes projets à des éditeurs.

Et vous exercez maintenant à plein temps comme scénariste…
J’exerce comme scénariste depuis bientôt quatre ans et à temps complet depuis août 2008. J’avais trop de projets sur les rails pour assumer à la fois une activité professionnelle à temps plein, une vie de famille et le métier de scénariste. Il a donc fallu faire des choix draconiens !

Où trouvez-vous votre inspiration ? Vous considérez-vous comme un auteur engagé ?
Dans les sujets de société ou dans l’Histoire. Je ne crois pas être un auteur engagé. Je ne milite nulle part et je ne prétends pas défendre de grandes causes. Mais j’ai envie d’écrire des histoires qui vont pouvoir interpeller, agacer ou poser des questions. Je prends le plus de plaisir à l’écriture sur des récits dramatiques. Par exemple sur Tahia-El-Djazaïr avec Daniel Alexandre [alias A.Dan, ndlr], je pointe sur un événement de la Guerre d’Algérie, mais ce n’est pas du militantisme...

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Tahia El-Djazaïr T1, extrait inédit de la planche 41 © A.Dan - Galandon / Bamboo

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l'Enfant maudit T1, extrait inédit de la planche 32
© Monin - Galandon / Bamboo
Avez-vous été surpris par le succès de l’Envolée sauvage ?
Oui, cela a été assez inattendu. On dit souvent qu’on arrive à analyser les causes d’un échec mais moins bien à comprendre les raisons d’un succès. Cela dit, le succès est tout à fait relatif : entre 13.000 et 15.000 exemplaires vendus. Pas trop mal dans le marché actuel, d’autant que c’était pour Arno Monin et moi notre premier album. On était un peu inquiets, compte tenu du sujet pas vraiment drôle, et assez souvent traité. C’était un challenge.

Comment en êtes-vous venus à écrire une histoire aussi attachante ?
Je n’en sais trop rien. En fait, je ne traite que d’histoires dont le sujet va me bousculer. Tout ce que je ne comprends pas. Je n’arrive pas à comprendre comment on a pu en arriver à la Shoah ou comment la France a pu être aussi aveugle pendant la Guerre d’Algérie. Il y a des explications à tout cela, mais quand on en est à de la folie meurtrière, il y a un truc qui m’échappe. Cela dit, tous mes sujets ne sont pas aussi lourds émotionnellement. Sur le nouvel album que je signe avec Cyril Bonin, Quand souffle le vent, le thème s’intéresse certes au racisme à l’égard des gens du voyage, mais en même temps, c’est une histoire plus romanesque, une histoire d’amour, avec une once de fantastique…

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© Bonin - Galandon / Dargaud
Parlons justement de Quand souffle le vent
Cet album vient de sortir dans la collection Long Courrier des éditions Dargaud. Une rencontre dans le Nord de la France, dans une région minière, entre des mineurs en situation difficile avec le patronat de l’époque, et une caravane de tziganes qui vient de s’implanter à proximité de cette petite ville. Cela génère une situation un peu électrique entre ces deux catégories sociales.

Avez-vous une ambition particulière pour cet album ?
Le projet était plus large au départ. Je l’ai abandonné provisoirement. Il s’agissait de réaliser une saga familiale en 3 tomes autour de l’univers des gens du voyage. Cette première histoire devait s’appeler Kheshalya. Chaque histoire devait porter le nom d’un personnage. Une deuxième histoire aurait évoqué la participation des tziganes à la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, épisode moins connu et non reconnu après la guerre. Et le dernier volet se serait déroulé dans les années 1980 en s’intéressant aux gens du voyage aujourd’hui. Finalement, il s’agit d’un one-shot. Mais il est très probable que je traiterai un jour de ces deux autres thèmes, sauf que ce ne sera pas dans le triptyque imaginé au départ.

Comment avez-vous rencontré Cyril Bonin ?
Étant depuis peu de temps dans le monde de la BD, j’y vais un peu au culot. J’envoie des mèls où je me présente et propose un scénario. J’essuie beaucoup de refus, polis la plupart du temps, et souvent parce que les dessinateurs sont surbookés. Là, coup de chance monumental, je suis vraiment tombé au bon moment. Cyril avait décidé de faire un temps d’arrêt sur la série Fog [scénario de Roger Seiter, 8 tomes parus chez Casterman, ndlr], il n’avait pas encore lancé ses projets personnels et cette histoire l’a tout de suite séduit. Il s’avère que c’est un garçon charmant, talentueux et que j’ai rencontré pour la première fois en octobre 2008 au festival BD d’Audincourt !

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Tahia El-Djazaïr T1, extrait inédit de la planche 41
© A.Dan - Galandon / Bamboo
Ensuite viendra Tahia El-Djazaïr. Quel en sera le sujet?
La thématique s’intéresse à ces quelques Français qui un moment donné ont décidé de rejoindre le FLN, qui ont pris parti pour que les Algériens obtiennent leur autonomie. Je voulais traiter de la Guerre d’Algérie à un moment ou à un autre. Un jour, en surfant sur Internet, je tombe sur une information dont je n’avais jamais entendu parler : « Le président Bouteflika inaugure en 2002 un monument aux morts en hommage aux Français qui ont rejoint le FLN. » Depuis, j’ai appris qu’un seul magazine d’histoire en a parlé en France, mais sinon rien. J’ai donc commencé à creuser et cela m’a donné le terreau pour construire cette histoire.

Comment s’est faite la rencontre avec A.Dan ?
Il avait déjà fait des essais sur une autre histoire. Et ça n’avait pas abouti. Son dessin n’était peut-être pas encore prêt pour aller sur un terrain trop réaliste. Il a fait entre temps Jo-Bo, un album paru chez Joker un autre album qui lui a donné confiance en lui. Et son dessin a évolué. Je lui ai suggéré de faire des essais sur Tahia El-Djazaïr. Il était un peu réticent au départ car on était dans un univers réaliste. Il s’est bousculé un peu et il fait un beau travail. Je crois que ce sera un bel album.

Ce sera à nouveau un diptyque comme l’Envolée Sauvage et Gemelos dans la collection Grand Angle chez Bamboo ?
Oui, pour commencer, sachant que ce diptyque se termine en 1956. S’il rencontre un accueil raisonnable, je prolongerai probablement avec un nouveau diptyque jusqu’à la fin des événements ou de la Guerre d’Algérie, mais plutôt sur le versant français. Que se passait-il en France pendant la Guerre d’Algérie, avec l’O.A.S., les différents attentats, la présence des Algériens du FLN, la confrontation avec les Algériens de France, etc. ?...

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Tahia El-Djazaïr T2, crayonné inédit
© A.Dan - Galandon / Bamboo
Quelles sont vos sources ?
Les films d’abord : comme Avoir 20 ans dans les Aurès de René Vautier, la Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo ou plus récemment l’Ennemi intime de Florent Emilio Siri. Et beaucoup d’ouvrages et de documentaires. Je me suis aussi tourné vers Henry Alleg qui a écrit la Question : qui a été torturé en Algérie, qui est une référence sur le sujet... et à qui j’ai demandé quelques conseils. Il a lu le scénario. J’espère que ce sera une bonne histoire.

Votre éditeur Hervé Richez chez Bamboo avait envie d’une suite pour l’Envolée sauvage
J’avais lancé une boutade de vraie fausse suite aléatoire de l’Envolée sauvage. Hervé Richez avait en effet très envie d’une suite et ce n’était pas mûr. L’Enfant maudit n’est pas la suite de l’Envolée sauvage mais pourrait l’être. Avec Arno, on n’avait pas envie de retravailler cette histoire pour en faire une suite. On l’a donc laissé telle qu’elle. Cela démarre en 1968. Un jeune homme, d’une vingtaine d’années, va mener une espèce d’enquête qui va devenir une quête initiatique sur ses origines. Ses parents ont connu la guerre et la Libération. Il va, en quelque sorte, nager en eaux troubles et découvrir des choses surprenantes. Je ne peux difficilement en dire plus sans en dévoiler l’histoire…

Ce sera là aussi traité en un diptyque ?
Oui. D’une part, la collection Grand Angle chez Bamboo aime bien les récits traités en diptyques ou en triptyques. D’autre part, je suis très à l’aise avec ce format. Sur 46 planches, je me sens trop à l’étroit.

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le Cahier à fleurs T1, crayonné inédit © Nicaise - Galandon / Bamboo

Pouvons-nous évoquer les autres projets acceptés par les éditeurs ?
J’ai deux autres diptyques en route chez Bamboo. D’une part, le Cahier à fleurs sur le génocide arménien. Viviane Nicaise met en images cette histoire assez sombre. D’autre part, Shahidas sur les femmes kamikazes. « Shahidas » est le féminin de « Shahids », les martyrs… Frédéric Volante en réalise le dessin.
Je développe aussi un autre diptyque : la Vénus de Dahomey. Il s’agit de la destinée relativement dramatique de la dernière Amazone du dernier roi du Dahomey. Le roi Béhanzin Ier avait une garde rapprochée qu’on appelait les Amazones, exclusivement des femmes guerrières kamikazes. Il a voulu s’opposer à la présence coloniale française, mais l’armée française a massacré les mutins, en particulier les Amazones. Dans mon histoire romanesque, il reste une amazone emprisonnée au Dahomey. Elle est libérée à condition d’aller à Paris au Jardin d’Acclimatation. Et elle se retrouve en 1895 dans ce zoo humain…
Et enfin, tout récemment, Bamboo a accepté mon dernier projet, les Innocents coupables, l’histoire de quatre jeunes garçons envoyés dans une colonie pénitentiaire agricole perdue dans la campagne française. Plus tard, on parlera de ces lieux comme des bagnes d’enfants…

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le Cahier à fleurs T1, extrait inédit © Nicaise - Galandon / Bamboo

Vous avez noué de très bonnes relations avec Bamboo et Dargaud. Qu’attendez-vous de vos éditeurs ?
Chez Bamboo, comme chez Dargaud, je suis bien accueilli et je sais que j’aurai réponse à mon mail ou mon coup de téléphone rapidement. J’attends qu’un éditeur soit un partenaire. Pour moi, un album BD, c’est un dessinateur, un scénariste, éventuellement un coloriste, et l’éditeur. Cela ne me gêne pas que l’éditeur ait un regard sur mon histoire. Son boulot ne consiste pas seulement à imprimer et promouvoir des livres. Quand ils sont bons, ils savent pointer un truc qui déconne, et le dire avec subtilité. Hervé Richez pour Bamboo et Christel Hoolans chez Dargaud le font très bien. Que ce soit donc un partenariat à trois pour la conception et qu’ensuite ils défendent au mieux nos livres.

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Shahidas T1, extrait inédit © Volante - Galandon / Bamboo

Pour finir, avez-vous des envies pour le cinéma ou la télévision ?
J’aimerais bien dans l’absolu, sauf qu’il y a beaucoup de monde sur ce terrain-là. Beaucoup plus encore que dans la bande dessinée. Je serais plutôt à la recherche d’un partenariat dans ce domaine. J’aimerais bien travailler sur une série, un film en binôme. J’aime beaucoup l’idée d’apprendre en faisant. Aujourd’hui, je n’ai pas envie d’écrire quelque chose exclusivement pour la télévision ou le cinéma. J’aurais trop peur de perdre mon temps. Et il existe de nombreuses personnes qui savent faire cent fois mieux que moi !

Propos recueillis par Manuel F. Picaud entre octobre 2008 et avril 2009
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
Coordination rédactionnelle : Brieg F. Haslé © Manuel F. Picaud / Auracan.com
Tous nos remerciements à Anne Caisson

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Manuel F. Picaud
20/04/2009