Auracan » Interviews » Entretien avec Jacques Terpant et Jean Raspail

Entretien avec Jacques Terpant et Jean Raspail

terpant
Jacques Terpant et Jean Raspail © Manuel F. Picaud / Auracan.com - DR
« À cheval ! On s'en va.
Il est temps... »

Le célèbre romancier Jean Raspail, 84 ans, et le dessinateur réaliste Jacques Terpant, 52 ans, constitue un couple inattendu, a priori improbable, et qui pourtant fonctionne à merveille.

Jacques Terpant a en effet eu la bonne idée de se lancer comme auteur complet en adaptant en bande dessinée le roman de Jean Raspail au titre étonnant et plein de sens : Sept Cavaliers quittèrent la Ville au crépuscule par la porte de l'ouest qui n'était plus gardée édité par les éditions Robert Laffont en 1993.

7cavaliers1
Sept Cavaliers T1 : le Margrave héréditaire, nouvelle édition
© Terpant - Raspail / Delcourt
7cavaliers2
Sept Cavaliers
T2 : le Prix du Sang
© Terpant - Raspail / Delcourt
Le premier tome paru chez cet éditeur vient d’être réédité chez Delcourt avec une nouvelle couverture et un véritable complément graphique en même temps que paraît le deuxième tome.

On y retrouve une atmosphère et un parfum à la Corto Maltese d’Hugo Pratt. La référence n’est pas un hasard tant le parcours du romancier
notamment membre des Écrivains de Marine – s’en rapproche par ses voyages et son inspiration.

Rencontre exceptionnelle avec deux représentants du Royaume imaginaire de la Patagonie...



Y a-t-il eu d’autres propositions d’adapter Sept Cavaliers au cinéma, à la télévision ou en bande dessinée ?
Jean Raspail : J’ai eu trois ou quatre romans qui ont fait l’objet d’adaptations à la télévision. L’expérience n’a pas toujours été heureuse, sauf peut-être pour l’Ile Bleue de Nadine Trintignan et le Jeu du Roi, une adaptation par la télévision galloise. Il y a eu quelques touches pour le cinéma qui n‘ont jamais abouti, notamment pour le Camp des Saints. La bande dessinée jamais ! Maintenant que je connais un peu plus l’univers de la bande dessinée et qu’il y a l’album Sept Cavaliers, je m’y intéresse davantage et je découvre que certains de mes livres s’y prêtent. La BD a le don de rajouter des images qui n’existent pas. Et c’est à Marya Smirnoff (ex directrice de collection chez Robert Laffont BD, directrice éditorial chez Delcourt, ndlr) que je dois cette rencontre avec Jacques Terpant. Et je suis hyper satisfait de son adaptation !

7cavaliers
Sept Cavaliers T2, extrait de la planche 11 © Terpant - Raspail / Delcourt

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le projet que vous a soumis Jacques Terpant ?
JR : Au début, j’étais assez réticent. Je trouve beaucoup de bandes dessinées assez vulgaires. Marya m’a invité à venir voir les planches qu'avait préparé Jacques Terpant. Il devait y avoir 7 ou 10 planches, je ne sais plus. Je n’ai pas eu besoin de lire. J’ai juste regardé les dessins. Toutes mes représentations visuelles des Sept Cavaliers se retrouvaient dans ces premières planches de l’album. J’ai donc immédiatement adhéré sans aucune restriction. Après, je me suis aperçu que Jacques Terpant avait utilisé en grande partie le texte du livre. Et je suis content – je suis certain que Jacques aurait été capable de faire un très bon texte – mais j’ai souvent pensé que les textes qu’il y a dans les BD sont souvent navrants, c'est-à-dire un vocabulaire ordinaire, une syntaxe parfois hasardeuse. Je trouve que le langage de la BD manque souvent d’élégance alors que la langue française est très belle.

raspail
« Jean Raspail,
consul général de Patagonie »
dessin à l'aquarelle, 2008
© Jacques Terpant
Quels sont les auteurs et les bandes dessinées que vous lisez ?
JR : Il y a l’Épervier de Patrice Pellerin, Blake et Mortimer d’Edgar P. Jacobs. Et évidemment Hergé ! Mais il y en a bien d’autres…

Alors Jacques, comment avez-vous convaincu Jean Raspail d’accepter ?
Jacques Terpant : Je me doutais qu’il fallait le convaincre ! Donc, j'ai pensé que le plus simple était de lui montrer ce que ça allait donner. Il n’y avait pas à mon avis d’autre solution. Je ne me voyais pas venir avec un synopsis découpé. J’ai donc fait quatre pages – donc beaucoup moins que le souvenir de Jean ! Il n’y avait que le début avec la phrase de départ « Sept Cavaliers quittèrent la Ville au crépuscule par la porte de l'ouest qui n'était plus gardée », moment clé qui donne l’atmosphère du livre. J’ai soumis cela à Marya qui a ensuite fait le messager auprès de Jean Raspail et, ensuite, nous nous sommes rencontrés. Cela s’est fait très naturellement, je crois, parce que – sans fausse modestie – je connaissais assez bien l’œuvre de Jean Raspail.

Vous êtes d’ailleurs arrivé à Sept Cavaliers par élimination, non ?
JT : En fait, j’avais commencé par Qui se souvient des hommes ? dont j’avais un souvenir formidable et que j’aime beaucoup. J’avais découvert Jean Raspail encore étudiant quand je travaillais à Métal Hurlant. Jean-Pierre Dionnet, le patron du journal, en était un lecteur et critiquait très favorablement ses livres quand ils sortaient. J’avais ainsi entendu parler de Qui se souvient des hommes ?, lauréat du Prix du Livre Inter 1987. Et je m’en suis souvenu quand je cherchais une histoire. Je l’ai relu mais c’était tout sauf de la bande dessinée et j’ai donc laissé tomber complètement. J’ai alors pensé à Sept Cavaliers. Et là, j’étais vraiment dans de la BD, j’entrais dans un univers qui se structurait parfaitement en termes de bande dessinée. J’ai trouvé tout naturellement la parenté des BD dont parlait Jean. C’est aussi le même univers qu’Hugo Pratt, des militaires, des aristocrates, des gens qui ont une existence, qui sont dans l’action tout en ayant de la distance avec elle.

7cavaliers
Sept Cavaliers T2, extrait de la planche 1 © Terpant - Raspail / Delcourt

7cavaliers
Sept Cavaliers T2, extrait de la planche 3
© Terpant - Raspail / Delcourt
Et vous avez effectivement suivi de près son roman…
JT : Je dirais que les gens de ma génération sont venus pendant longtemps de la comparaison BD et cinéma, avec la priorité à l’image. Et Jean a raison quand il dit qu’on a beaucoup oublié le dialogue. Quand j’ai attaqué Sept Cavaliers, je suis parti de l’autre côté en me disant que la vraie parenté est peut-être la littérature. J’ai donc vraiment voulu que ce soit une traduction du roman en bande dessinée. Il fallait alors que j’arrive à traduire l’atmosphère de ce roman. Pour cela, il fallait qu’on retrouve la qualité des dialogues du roman : je suis donc resté assez près du texte.

En fait, Jacques Terpant a eu carte blanche ?
JR : Totalement. Ça se voyait tout de suite. Et puis c’est l’œuvre de Terpant, certes sur mon récit. J’aurais eu mauvaise grâce à y mettre mon grain de sel. De toute façon, je n’ai rien à ajouter. Je trouve cela parfait.
JT : J’aime bien quand il en parle !
JR : En revanche, j’avais quand même demandé à ce qu’on me montre la totalité des planches avant qu’elles soient publiées mais pour le second, on ne me les a pas montrées. En fait, ça ne change rien parce que, voyez-vous, je les aurais toutes vues, j’aurais eu grand plaisir mais il n’y a pas un iota à changer. C’est une sorte de miracle ! Il y a maintenant des bandes dessinées qui ont une dimension littéraire. Ce genre d’œuvre entre dans cette catégorie-là.

7cavaliers
Sept Cavaliers T2, extrait de la planche 48 © Terpant - Raspail / Delcourt

Jean Raspail, quel est le message que vous souhaitez passer au travers de ce récit ?
JR : Mes livres sont bourrés de messages de tous genres mais quand je commence un livre je ne l’écris pas pour délivrer un message quelconque. Je l’écris parce que je me raconte une histoire. Et ce faisant, tout ce qui appartient à moi-même, à l’univers qui me plait entre dedans. On peut peut-être parler de messages subliminaux. On y trouve les sentiments, les postures, les tournures, les attitudes que j’aime.
JT : Ce n’est peut-être pas le bon mot. Il n’y a pas de démonstration en tout cas. C’est une histoire.
JR : Ces gens-là ont le sens de l’honneur, de la fidélité à certaines choses. Ils placent leur fierté dans des choses importantes mais aussi des détails comme par exemple l’habillement, l’attitude, le dialogue et la façon de se tenir. Mais en même temps je n’ai pas écrit le livre pour cela. Pour répondre plus brièvement à votre question, je vais vous dire ce que j’écris en dédicace : « À cheval ! On s’en va. Il est temps… ». C’est tout et ça vous donne le sens du livre.

7cavaliers
Sept Cavaliers T2, extrait de la planche 11
personnage empruntant les traits de J. Terpant
© Terpant - Raspail / Delcourt
Quelle a été l’inspiration graphique pour mettre en images ce monde imaginaire ?
JT : C’était relativement simple car le monde est parfaitement décrit dans le roman. C’est une architecte européenne du Nord, médiévale par moments, gothique pour d’autres. Pour faire la ville, j’ai pu m’inspirer de la ceinture de tours autour de Carcassonne, de l’église romane de Conques en Aveyron, du château de Prague... Pour les maisons, j’ai pris comme modèle l’architecture structurée par du bois qui va de la Normandie aux pays baltes, c'est-à-dire l’essence même de l’architecture européenne. Disney ne s’y est pas trompé : c’est l’architecture qu’il emploie dans tous ses dessins animés. L’idée était donc de faire une vieille Europe un peu finissante. Les costumes étaient très décrits. Il y avait le télégraphe, le train… Les armes correspondent à la période du western. Mon évêque a un côté cowboy par moment !
JR : En fait, c’est une quintessence d’Europe. C’est une autre dédicace que je fais : « À notre vieille Europe, notre mère ». Vous avez peut-être remarqué que les noms des personnages ne sont pas homogènes. Des consonances françaises, germaniques, slaves, même asiatiques, c’est ça la quintessence de l’Europe ! Ça fait partie du socle du livre. Ce n’est pas un message mais Jacques l’a tout de suite pigé.
JT : J’ai abondé dans ce sens. Dans le 2e tome, les cavaliers arrivent au sémaphore avec un fonctionnaire qui ne regarde surtout pas dehors ce qui se passe. Il a une petite famille idéale. Quand j’ai dessiné cela, j’ai pensé au peintre Carl Larsson : la famille est la sienne telle qu’il l’a peinte à la fin du 19e siècle (voir ci-dessous, ndlr).
JR : Il y a aussi Guillaume Apollinaire qui est un personnage inhérent à ce récit sous son vrai nom de Wilhelm Kostrowitsky et qui représente aussi notre vieille Europe. Il a été gazé en 1914, courageux, se battant pour la France alors qu’il n’est même pas français. Vous voyez que vos questions nous permettent d’éclairer pas mal de choses finalement, des choses auxquelles on n’aurait jamais pensé en fait !

7cavaliers
Sept Cavaliers T2, extrait de la planche 3, la « famille » de Carl Larsson © Terpant - Raspail / Delcourt

La mise en couleurs est toujours à l’aquarelle et renforce le côté tableau ancien…
JT : À vrai dire, je ne sais pas vraiment faire autrement. C’est une méthode par défaut ! Au départ, il y a dans cette ville une certaine pesanteur, un froid que je pouvais rendre par la lumière. Dans ce deuxième tome, c’est plus lumineux, plus aéré. Avec le retour de la nature, on a changé de couleurs, on est à l’extérieur, davantage dans l’aventure, dans des paysages. On retrouve la vie, certes d’une civilisation déclinante face à une autre qui reprend le dessus. Mais on est dans quelque chose d’assez vivant. À la fin, je bascule effectivement vers une autre base colorée. Ce sera plus sombre…

7cavaliers
Sept Cavaliers T3, extrait inédit du 3e tome à paraître en 2010 © Terpant - Raspail / Delcourt

Alors justement, ce troisième tome va nous entraîner dans quel voyage ?
JT : Les cavaliers vont quitter la montagne et se diriger vers leur but ultime, le Pont de Sépharée. Ce sera la fin du voyage. Ils vont dans la grande plaine à blé, la Beauce de ce Royaume. Ils arrivent par là et après on ne dit plus rien…

Le troisième tome de Sept Cavaliers sera achevé vers le mois de mars 2010 et sortira sans doute à la fin août. Avec une telle osmose entre les deux auteurs, on s’imagine que leur collaboration ne s’arrêtera pas là…

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en septembre 2009
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
Coordination rédactionnelle : Brieg F. Haslé © Manuel F. Picaud / Auracan.com
Remerciements à Anne Caisson et Marya Smirnoff

Aussi sur le site :

À visiter :

Partager sur FacebookPartager
Manuel F. Picaud
14/10/2009