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Entretien avec Stéphan Agosto

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Stéphan Agosto © Auracan.com
« Ce métier m'impressionnait beaucoup trop... »

Né en 1968, le dessinateur Stéphan Agosto a signé son premier contrat chez un grand éditeur de bandes dessinées le jour de ses 40 ans. Son album l’Alternative T1 écrit par Édouard Chevais-Deighton est paru en fin d’année 2009 en même temps que le second volet dessiné par Philhoo. Une histoire parallèle sur fonds de Seconde Guerre mondiale.

Après des études secondaires et une école de communication visuelle, Stéphan Agosto a démarré sa carrière dans une agence de publicité. Mais sa passion pour le dessin l’a emporté. Ayant quitté la capitale, il s’est installé à Chartres où il exerce le métier d’illustrateur tout en construisant prudemment un virage de carrière vers le neuvième art.

Pour Auracan.com, il se découvre, parle de son album et de ses projets...


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l'Alternative © Agosto - Philhoo - Chevais-Deighton / Glénat
Vos premiers albums Schpountz et Clodomir publiés chez Berso datent de 1995. Pourquoi avoir choisi l’illustration plutôt que la BD ?
Je n’avais jamais vraiment mis les pieds dans le petit monde de la BD ! Mon incursion en 1995 a suivi une annonce dans Libération, mon projet sélectionné et deux albums pourris à la clé (futurs collectors bien sûr !). Lorsque j’ai décidé de faire du dessin mon métier, c’était en tant qu’illustrateur, et certainement pas de faire de la BD. Ce métier m’impressionnait beaucoup trop – et c’est d’ailleurs toujours le cas ! Il y a tant à gérer dans une planche…

Votre expérience dans l’Alternative vous a-t-elle fait changer d’avis ?
Cela a confirmé mes appréhensions ! En même temps, j‘ai pris beaucoup de plaisir à faire cet album. Conscient de mon inexpérience, j’ai beaucoup travaillé et j’ai aimé cette année durant laquelle il m’a fallu apprendre beaucoup de choses, tant au niveau du dessin que de la mise en scène. Aujourd’hui, je mesure que j’ai encore beaucoup d’efforts à fournir pour atteindre un niveau acceptable ; bien des planches de cet album me paraissent faiblardes, mais pour une première expérience, je crois que je ne me suis pas complètement vautré. C’est plutôt motivant et, même si les doutes et les appréhensions sont toujours présents, j’ai bien envie de poursuivre mon apprentissage de la BD via de nouveaux projets !

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l'Alternative T1, étapes de la mise en couleurs de la couverture © Agosto - Chevais-Deighton / Glénat

Quel est votre rapport à la bande dessinée ?
Mon rapport à la BD est assez curieux. J’ai lu beaucoup de BD dans ma jeunesse – les journaux Spirou, Tintin, puis, Métal Hurlant, (À suivre), etc. Par la suite, j’ai arrêté d’en lire. J’achetais encore des albums, mais uniquement pour le plaisir de regarder les dessins ! Car ce que j’aime avant tout dans la BD… c’est le dessin, le trait.

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l'Alternative T1, recherche de personnages
© Agosto - Chevais-Deighton / Glénat
Quels sont les auteurs qui vous ont marqué et construit ?
Il y a un paquet de dessinateurs qui, dans des registres différents et chacun à leur manière, m’impressionnent : Franquin et Loisel pour leur dynamisme incroyable, Tardi et Pratt pour la force de leur trait, Gibrat pour ses couleurs, Bourgeon pour sa rigueur, Manara pour ses femmes ! La liste complète serait longue… Mais ma « culture BD » est mince ; c’est un univers que je connais très mal. Beaucoup de peintres également m’ont marqué pour leur trait comme Mathurin Méheut, Gustav Klimt, Egon Schiele, Alfons Mucha, Norman Rockwell et un tas d’artistes, peintres ou illustrateurs ayant bossé entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Mais tout cela est bien loin de mes petites vignettes de l’Alternative !

Comment avez-vous rencontré Édouard Chevais-Deighton?
Par le biais d’un forum dédié à la guerre 14-18, une autre de mes passions. Il m’a parlé de son projet. Ayant, à ce moment-là, un peu de temps, j’ai dit banco. J’ai vu dans cette opportunité l’occasion de renouveler un peu un boulot dans lequel je commençais à tourner un peu en rond. Mais je l’ai mis en garde : je suis un bleu en BD, et j’ai posé une petite condition technique : pas d’encrage de mon dessin et couleurs directes car l’encrage est une étape que je ne maîtrise pas du tout et qui, d’ailleurs, ne m’intéresse pas vraiment… Dans l’idéal, j’aimerais aller un peu plus loin dans cette logique : un crayonné et la couleur. Point. La vérité du trait et de la lumière, sans repentir, sans retouche, sans bidouille.

Comment avez-vous travaillé à distance ?
Cela ne m’a posé aucun problème même si je pense qu’il doit être plus sympa de pouvoir se rencontrer de temps à autre au fur et à mesure de l’avancement du travail. Mais entre Tahiti et Chartres, évidemment, ce n’est pas simple… Édouard et moi avons eu des échanges réguliers et très utiles par téléphone et Internet.

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l'Alternative T1, crayonné de la planche 11 © Agosto - Chevais-Deighton / Glénat

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le projet l’Alternative ?
Avant même l’histoire développée par Édouard, c’est le challenge de me lancer dans un album de bande dessinée ! Et son idée de faire travailler conjointement un dessinateur différent par album me convenait bien car je comptais ainsi pouvoir bénéficier, outre du soutien d’Édouard, de l’expérience de Philippe qui avait une bien meilleure connaissance de la BD que moi. Au-delà de ces aspects un peu techniques, le projet d’Édouard m’a enthousiasmé. Je trouvais son idée originale et elle me plaisait. C’est, je crois, un préalable lorsque l’on s’embarque dans ce genre d’aventure !

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l'Alternative T1, recherche de personnage
© Agosto - Chevais-Deighton / Glénat
Qu’est ce qui vous a paru le plus difficile à réaliser ?
Tout ! Mais ce fut un plaisir. J’ai découvert et appris beaucoup et je suis assez excité à l’idée d’en apprendre encore d’autres sur de nouveaux projets. Mon idée fixe était de ne pas me laisser trop envahir par les doutes, qui sont inévitables. Alors, après la signature, j’ai foncé sans me poser trop de questions, en essayant simplement de résoudre, au fur et à mesure, les problèmes nombreux et variés auxquels me confrontait chaque planche ! Pour une prochaine BD, cette première expérience me sera très utile pour aborder plus sereinement le travail à fournir, tant dans la méthode que dans la technique.

Comment avez-vous travaillé les personnages ?
Sans trop y réfléchir. Je les ai créés au moment où l’on montait le dossier sans savoir si le projet irait au bout. Je ne me doutais vraiment pas que j’aurais ensuite à les faire vivre sur une cinquantaine de planches. À vrai dire, ce travail méritera à l’avenir beaucoup plus d’attention de ma part. Non que je sois mécontent de leurs trombines (j’aime bien Pierre et Nicole), mais certains – surtout les personnages secondaires – manquent un peu de caractère.

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l'Alternative T1, planche 8 en cours de réalisation © Agosto - Chevais-Deighton / Glénat

Avez-vous aujourd’hui d’autres projets d’albums ?
Je continue à travailler pour différents éditeurs en tant qu’illustrateur. Mais j’ai aussi quelques projets BD. Actuellement, je suis sur une petite histoire à paraître dans un album collectif à paraitre chez Zéphyr. Il s’agit de huit planches relatant une mission argentine lors de la guerre des Malouines. Ensuite, j’ai un autre projet avec Édouard qu’il me faut monter en vitesse : Faux Semblants. À côté, j’ai l’envie – mais pas le temps actuellement – de faire une BD sur la Grande Guerre. 14-18 a été souvent abordé dans la BD ces dernières années. Mais, à de rares exceptions près, et même si ces albums ont fait de belles audiences, ça reste toujours à côté du vrai sujet… Sujet qu’il reste donc à traiter !

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l'Alternative T1, recherche de personnage © Agosto - Chevais-Deighton / Glénat

Quel est ce « vrai sujet » ?
Votre vie, ma vie, si on nous avait demandé de quitter, du jour au lendemain, nos métiers et nos foyers pour aller mettre nos poitrines face aux morceaux de ferrailles. La guerre nue, sans artifice. Sans regard décalé. Pas d'alibi, de politique, de règlement de compte. Pas de relecture avec notre recul d'un siècle. Pas de prétexte du genre enquête policière dans les tranchées. De même, pas de ces sujets à la mode comme les mutinés, les fusillés, les déserteurs, les fraternisations. La guerre fut tout ça, bien sûr, mais pas seulement ça. Loin de là. Ce fut beaucoup plus simple et bien plus méchant. Pas de scénario (ça risque d’être dur à vendre !), si ce n'est la vie, réelle, basée sur les faits réels, d'une unité d'infanterie durant la guerre. Tel jour, tel fait. Et croyez-moi, la réalité dépasse bien souvent notre imagination, bien pauvre, et qui en est réduite à aborder ces sujets de travers, par des chemins détournés. Il est temps de regarder toute cette misère en face, sans filtre, et dans les yeux. Ça fait quinze ans que je potasse le sujet... J'ai 2000 bouquins là-dessus dans mon atelier... Il est grand temps que j'en fasse quelque chose ! Je me dis qu'il est possible de traiter le sujet en BD. Il me reste à trouver le temps... et le trait !

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en janvier 2010
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
Coordination rédactionnelle : Brieg F. Haslé
© Manuel F. Picaud / Auracan.com

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Manuel F. Picaud
25/01/2010