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Entretien avec Achdé

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Achdé © Brieg Haslé
Achdé © Brieg Haslé

Hervé Darmenton, tout gamin, était fan de Lucky Luke. De quoi lui donner envie de devenir auteur de BD sous le pseudonyme d'Achdé et d'enchaîner les créations : CRS = Détresse avec Raoul Cauvin, Les Damnés de la route avec Michel Rodrigue, Doc Véto avec Christian Godard, Woker avec Roger Widenlocher, La Esméralda avec Jean-Marie Stalner… En compagnie de l'humoriste Laurent Gerra, il anime depuis 2004 le célèbre personnage de Morris. Après La Belle Province, et à l'occasion de la parution de La Corde au cou (Lucky Comics), deuxième album de leur excellente reprise, rencontre avec un dessinateur comblé…

Est-ce exact qu'enfant, la première bande dessinée que tu as reçue, était un album de Lucky Luke  ?

Très exactement, Phil de Fer de la série Lucky Luke est le premier album que je me suis acheté. À l'âge de six ans, j'en ai eu assez de devoir supporter les lectures de mes frères et sœurs (nous lisions notamment Spirou à la maison) et j'ai décidé de m'acheter mon premier album ! J'ai donc piqué l'argent de la quête : le Bon Dieu n'était pas trop méchant, il me laissait prendre une pièce sur deux ! Il m'a fallu sept semaines pour réunir les 6,75 Frs que coûtait l'album… Déjà enfant, j'avais l'envie d'être dessinateur, je trouvais cela assez fabuleux de pouvoir vivre de ça.

Comment t'es-tu retrouvé à assurer la reprise de Lucky Luke après le décès de Morris ?…

Tout a commencé il y a quelques années, lorsque j'avais participé à un album collectif paru en 1999 : Hommage à Morris. Morris avait bien aimé mon boulot sur les quelques pages que j'avais dessinées. Bien évidemment, je ne l'ai su que bien plus tard… Un jour, Dargaud m'a appelé pour me demander ce que je pensais de la série : on m'a posé plusieurs questions qui tournaient un peu autour du pot, jusqu'au moment où l'on m'a demandé si cela me plairait de m'occuper de Rantanplan. Je devais reprendre les aventures de Rantanplan mais sous la forme de strips et non de planches, afin de les passer dans la presse généraliste. J'ai commencé à en faire, mais fort malheureusement, entre temps, Morris est décédé. Même si cela n'allait pas plus loin, j'étais très heureux de l'avoir fait, j'avais en quelque sorte fait un pas dans l'univers Lucky Luke, mais cela s'arrêtait là avec la mort de Morris. Je me sentais un peu orphelin : Franquin et Morris, deux de mes idoles avec Uderzo, étaient partis. Je pensais que Morris avait prévu de faire comme Hergé, à savoir que son héros ne lui survivrait pas. Six mois plus tard, curieusement, l'éditeur m'a appelé pour me proposer de faire un essai sur Lucky Luke. Sincèrement, je suis tombé des nues.

Plusieurs dessinateurs ont-ils été testés à ce moment-là ?

À ma connaissance, je ne sais pas. Je pense que plusieurs équipes ont dû travailler sur ce projet de reprise… Pour ma part, j'ai fait un essai de sept planches en inventant une petite histoire. Je me suis absolument régalé en me disant que j'aurai, au moins une fois dans ma vie, fait une histoire de Lucky Luke  ! J'ai donné ces planches à Philippe Ostermann et Jacques Pessis, éditeurs chez Dargaud, et j'ai attendu. Rien ne se passant, j'ai fini par ne plus attendre de réponse. Mais six mois plus tard, j'ai reçu un nouveau coup de fil m'annonçant qu'ils me confiaient la reprise de la série de Morris. J'ai posé le téléphone les yeux hagards, j'ai annoncé à ma femme que je reprenais Lucky Luke et je suis parti aux toilettes ! J'ai mis énormément de temps pour me rendre compte de la chose. Il a fallu que j'ai entièrement terminé l'album La Belle Province pour accepter l'idée que c'était moi qui l'avais dessiné. Quand j'ai dessiné Le Cuisinier français, j'étais vraiment dans une situation totalement schizophrénique…

Qu'elle est l'histoire éditoriale du Cuisinier français  ? Était-ce un album-test ?

Il s'agissait d'un vieux scénario que Morris n'avait pas eu le temps de réaliser. Elle était destinée au magazine Lucky Luke, un support qui a disparu depuis un bon moment. D'où le format du Cuisinier français, grosso modo seize pages. Morris n'ayant pas pu le dessiner, l'éditeur m'a demandé de faire cet album : ça a été dur pour moi car l'un des coscénaristes de cette histoire, Guy Vidal, est décédé durant la réalisation de ce petit récit (signé Claude Guylouis, alias Claude Klotz, Guy Vidal et Jean-Louis Robert). Cet album, adoptant un format à l'italienne, était joint au sein d'une opération commerciale avec un album scénarisé par Goscinny. Cela m'a permis de m'entraîner, cela a permis à l'éditeur de voir la réaction du public. Par définition, les albums de Goscinny sont assez anciens : on pouvait se douter que la plupart des lecteurs de la série les avaient déjà. Néanmoins, le tirage du pack de l'album réédité vendu avec Le Cuisinier français a été liquidé en un mois ! C'était de bon augure pour la suite, et fort indicateur que la série Lucky Luke était toujours très présente dans l'esprit des amateurs. En définitive, et c'est très bien, c'est le personnage, et non le dessinateur, qui compte le plus pour les lecteurs. On ne dit pas « je vais acheter un Achdé » mais « un CRS = Détresse ou un album de Lucky Luke  ». Et honnêtement, je préfère me planquer derrière mes personnages !

Laurent Gerra et Achdé (c) Marc Carlot
Laurent Gerra et Achdé

Comment est arrivé Laurent Gerra sur cette reprise ?

C'est assez amusant de se souvenir comment les éditeurs ont tâté le terrain. Du moins, c'est ainsi que je l'interprète… Pour ma part, j'avais tout de suite pensé à mon ami Raoul Cauvin. On pouvait aussi penser à Bob De Groot qui est l'un des très grands scénaristes de la bande dessinée tout public et qui avait déjà écrit pour Morris ( Le Bandit manchot, 1981 ; Marcel Dalton, 1998). Il ne faut pas oublier Xavier Fauche et Jean Léturgie qui ont signé de très bons scénarios après la disparition de Goscinny ( Sarah Bernhardt, 1982 ; Le Daily Star, 1984 ; Le Ranch maudit, 1986 ; Le Pony Express, 1988 ; L'Amnésie des Dalton, 1991 ; Les Dalton à la noce, 1993 ; Le Pont sur le Mississipi, 1994 ; OK Corral, 1997). D'un autre côté, Raoul Cauvin était déjà l'auteur de la série Les Tuniques bleues et il ne voulait plus entendre parler de reprise après sa mésaventure sur Spirou et Fantasio. L'idée est venue à l'éditeur d'appeler quelqu'un d'étranger au monde de la bande dessinée, mais qui connaisse et apprécie la série de Morris, et surtout qui est envie de raconter d'une façon ou d'une autre des histoires. Le nom de Claude Klotz, qui signe des polars sous le nom de Patrick Cauvin, a été envisagé, d'autant plus qu'il s'était déjà penché sur l'univers de Lucky Luke en compagnie de Guy Vidal. En parlant de confier la chose à des humoristes, je ne voyais pas Jean-Marie Bigard dans le rôle pour la bonne raison que j'imaginais mal Lucky Luke avec un slip sur la tête, ni Muriel Robin, mais pour d'autres raisons… J'avais aussi pensé à Alain Chabat que l'on sait fan de bande dessinée, qui sait découper un récit (il l'a fort bien fait pour le film Astérix & Obélix : Mission Cléopâtre )… Puis l'éditeur m'a annoncé qu'il avait choisi Laurent Gerra.

Réaction ?

J'ai été surpris. Mais, très vite, j'ai pensé à plusieurs des qualités de Laurent Gerra : il s'agit d'un très bon imitateur, il est le roi du jeu de mots (ce qui aurait bien énervé Morris… mais pas Goscinny !), il sait écrire des spectacles et des sketchs… Et l'on sait moins que c'est un grand mordu de bande dessinée franco-belge. Une anecdote : la première fois que je vais chez de nouvelles connaissances, je trouve très mauvais signe si je ne vois pas de livres ! Lorsque Laurent Gerra m'a reçu pour la première fois dans son appartement parisien, j'ai découvert chez lui une vraie bibliothèque avec une quantité invraisemblable de bouquins, et surtout, de bouquins usagés, lus et relus. Il possède notamment de nombreux albums de bandes dessinées, dont beaucoup d'exemplaires brochés offerts par les stations services, à l'époque où l'essence coûtait tellement peu chère que les pétroliers offraient des BD pour que l'on aille chez eux ! Bref, ça m'a rassuré. Seconde chose à me rassurer, le pastis qu'il m'a servi !… En discutant avec lui de notre éventuelle collaboration, je me suis rendu compte, vraiment très rapidement, qu'il connaissait tout de Lucky Luke. Il sait ce qu'il veut, il sait où il va. Ça m'a totalement rassuré. Nous pouvions donc nous atteler sérieusement aux Aventures de Lucky Luke d'après Morris

Et de fort belle façon !

Propos recueillis par Brieg Haslé et Gilles Ratier, en octobre 2006
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Visuels © Achdé - Laurent Gerra d'après Morris / Lucky Comics
Photo Achdé © Brieg Haslé 2006 / Tous droits réservés
Photo Laurent Gerra et Achdé © Marc Carlot 2004 / Tous droits réservés
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Brieg F. Haslé
20/10/2006