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Entretien avec Régis Hautière

« J’écris des histoire sur mesure pour le dessinateur »

Régis Hautière devant le Familistère de Guise © Manuel F. Picaud / Auracan.com – octobre 2010
Régis Hautière devant le Familistère de Guise © Manuel F. Picaud / Auracan.com – octobre 2010
Né en 1969, Régis Hautière est scénariste de bande dessinée à temps plein depuis 2005. L’année 2010 témoigne de son dynamisme et son éclectisme. Plusieurs projets aboutissent en effet chez plusieurs éditeurs. Après une vingtaine d’albums chez Paquet, il confirme son talent chez Quadrants (Soleil), Kstr (Casterman), Glénat, Delcourt, Dargaud ou Ankama. Il vient de publier le premier tome d’une nouvelle série chez Delcourt : la Guerre secrète de l’Espace, occasion de le rencontrer et connaître ses projets. Auracan.com l’a également accompagné sur la scène d’un autre album De Briques et de Sang paru chez KSTR, le Familistère de Guise. Cela constitue l’autre partie de cet entretien.

Quelle est la genèse de la nouvelle série la Guerre secrète de l’Espace ?
Au départ, cette série est une commande de Delcourt pour la collection Histoires et Histoire créée l’an passé. Grégoire Seguin mon éditeur m’a contacté pour écrire une intrigue autour des premiers pas de l'homme sur la lune, dont c’était l’an passé le 40e anniversaire. Je lui ai proposé un synopsis qui s’est transformé progressivement en série. On raconte tout l’âge d’or de la conquête spatiale de Spoutnik jusqu’à Apollo 11. Ce cycle prévoit 5 tomes. Dès le début, j’ai perçu les limites de raconter le vol d’Apollo 11, un vol qui s’est bien passé avec une fin heureuse que tout le monde connaît. Difficile de construire une intrigue palpitante sur trois astronautes bloqués pendant cinq jours dans une capsule qui doit faire 2 ou 3 m². J’ai donc bâti une intrigue qui se passe à Cap Canaveral pendant les cinq jours du vol. On est partis là-dessus et ensuite ils m’ont demandé de réutiliser l’un des personnages, pour en faire un héros récurrent.

La Guerre secrète de l’Espace – extrait exclusif du T2 © Régis Hautière – Damien Cuvillier / Delcourt, collection Histoire et Histoires
La Guerre secrète de l’Espace – extrait exclusif du T2 © Régis Hautière – Damien Cuvillier / Delcourt, collection Histoire et Histoires
Quelle est la part de réalité et de fiction de la Guerre secrète de l’Espace ?

Je commence moi-même à me le demander… Je suis parti de la vraie histoire. J’ai recherché des anecdotes. Mais j’ai d’abord écrit l’intrigue et ensuite mené les recherches. Et petit à petit, je me suis aperçu que des anecdotes recoupaient des moments de l’intrigue. J’ai notamment imaginé un chercheur juif allemand obligé par les nazis à travailler dans l’équipe de Wernher van Braun sur le V2 et ensuite pour les Russes. Or cet été, en lisant la biographie d'un écrivain américain, j'ai découvert que son père avait eu exactement ce parcours. De même, la présence d'un espion américain à Baïkonour dans les années 1960, que les Russes ont longtemps soupçonné sans en avoir la preuve, a été confirmée il y a quelques années par des membres de la NASA.

La Guerre secrète de l’Espace – extrait exclusif du T2 – planche 9 © Régis Hautière – Damien Cuvillier / Delcourt, collection Histoire et Histoires
La Guerre secrète de l’Espace – extrait exclusif du T2 – planche 9 © Régis Hautière – Damien Cuvillier / Delcourt, collection Histoire et Histoires
Au-delà du travail de commande, êtes vous passionné par ce sujet ?
Très jeune, mon père m’avait confié un livre d’astronomie sur la conquête de l’espace. J’étais fasciné par les illustrations qu’il contenait. Datant de la fin des années 50, il était en effet entièrement dessiné. A l’époque on n’avait pas encore de photos de la lune. Donc quand Delcourt m’a parlé de ce projet, cela a fait immédiatement écho avec mes souvenirs d’enfance. J’ai dit donc oui immédiatement.

Quelles ont été les plus importantes difficultés pour réaliser cet album ?
Ce sont en fait les difficultés qu’on retrouve dans toutes les séries avec une base historique très forte. Il faut réussir à raconter une intrigue dans un format relativement court tout en introduisant des données historiques mais en évitant de faire quelque chose de trop didactique, avec des récitatifs indigestes. Par ailleurs, sur cette première période du côté russe, on dispose de très peu de documentations. Ce qui deviendra en 1961 le Cosmodrome de Baïkonour était en 1957 une base militaire ultra-secrète. Pas question de filmer ou de photographier le lieu ! Les Russes n’envisageaient pas à l'époque d'utiliser ce polygone nucléaire pour leur propagande. Les documents iconographique sur cette période sont donc très peu nombreux. La plupart des photographies ou les films utilisés par la propagande russe après le vol de Spoutnik sont des reconstitutions où on ne voit presque rien de Baïkonour.

Comment avez-vous rencontré le dessinateur ?

J’ai en fait d’abord rédigé un synopsis qui a été validé par l’éditeur. Sur cette base-là nous avons commencé à rechercher un dessinateur. Grégoire Seguin et Guy Delcourt ont cherché de leur côté. Plusieurs essais ont été faits. Il y avait de belles planches mais le type de dessin ou la mise en scène ne correspondaient pas exactement à ce que nous cherchions. Finalement j’ai trouvé le dessinateur sans vraiment chercher. Cela s’est passé à un anniversaire. J’y ai retrouvé Damien Cuvillier. Je le connais depuis qu’il a intégré une association d’auteurs amateurs et professionnels de BD que je fréquente. Nous avons discuté de nos projets respectifs et j’ai évoqué la Guerre secrète de l’Espace. Il s’est proposé de faire un essai. Et il l’a réussi !

Accords sensibles - extrait exclusif story board planche 4 © Régis Hautière – Antonio Lapone / Glénat, label Treize Etrange
Accords sensibles - extrait exclusif story board planche 4 © Régis Hautière – Antonio Lapone / Glénat, label Treize Etrange

Comment êtes vous arrivé à ce titre ?

Nous avons eu beaucoup de mal à le trouver. Il fallait trouver un titre qui à la fois parle aux amateurs du domaine en question et souligne le côté fiction de la série. Il fallait éviter "l’histoire de la conquête spatiale en bande dessinée". J’ai proposé plein de titres et aucun ne convenait. Finalement Guy Delcourt a trouvé ce titre. Au départ cela devait être la Guerre de l’Espace, mais je trouvais que c’était trop connoté science-fiction du genre de la Guerre des Etoiles, la Guerre des mondes etc. Ils ont alors eu l’idée de rajouter "secrète" au titre.

Dog Fights !– extrait exclusif du T3 – planche 11 © Régis Hautière – Fraco / Paquet
Dog Fights !– extrait exclusif du T3 – planche 11 © Régis Hautière – Fraco / Paquet
Comment va s’étalonner la série ?
Après le Spoutnik, la deuxième histoire abordera le vol de Gagarine et ses à côtés. Le troisième tome évoquera le vol d’Alekseï Leonov qui est moins connu mais qui est le premier homme à être sorti dans l’espace, en 1965. Ce vol-là est particulièrement intéressant car le cosmonaute a failli y laisser sa peau à plusieurs reprises, un peu comme le vol d’Apollo 13 dont les Américains ont fait un film. Et les deux derniers tomes se passent en 1969 pendant les cinq jours qui vont emmener Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins sur la lune. En fait, à partir du tome 3, l’histoire sera racontée du côté américain.

Abelard – extrait exclusif © Régis  Hautière – Antonio Lapone / Dargaud
Abelard – extrait exclusif © Régis Hautière – Renaud Dillies / Dargaud
Vous allez lancer prochainement trois nouveaux projets
Trois prochains albums vont paraître d’ici début 2011 :

  • Accords sensibles Chez Glénat – label Treize Etrange - avec Antonio Lapone - ce gros volume de 120 pages sera composé de 4 histoires avec des personnages dont les destins s’entrecroisent. Il évoque les rendez-vous manqués, des rencontres qui devraient se faire et qui ne se font pas à cause de non-dits, parce qu’on ose pas parler ;
  • Abélard chez Dargaud avec Renaud Dillies – ce sera le premier tome d’un diptyque. Ce conte philosophique raconte l’itinéraire d’un petit personnage qui va quitter son marais pour partir à la découverte du monde. Et finalement ce sera moins une découverte géographique qu’une découverte psychologique. Ce personnage est extrêmement naïf, une sorte de Caliméro. Il a une vision du monde presque idyllique et se retrouve confronté à une réalité qui va peu à peu le détruire. Il va rencontrer un autre personnage qui est son opposé, bien ancré dans le réel. Progressivement leurs deux visions vont s’interpénétrer…
  • Pour tout l'or du monde dessiné par Alain Grand et publié chez Quadrants – Cette nouvelle série se passe au milieu du 19e siècle. L'histoire commence en France et se terminera aux Etats-Unis. Elle a pour toile de fond à la fois la ruée vers l’or en Californie, la loterie des lingots d’or, mise en place par Louis-Napoléon Bonaparte, et le Phalanstère de Victor Considerant. L'un des trois principaux protagonistes est une prostituée, Fanny Loviot, qui a réellement existé. Elle a d’ailleurs relaté son voyage jusqu’en Chine à l’époque de la ruée vers l’or dans un livre, les Pirates chinois.

 Le Marin, l’Actrice et la Croisiere Jaune– extrait exclusif du T2 – planche 6 © Régis Hautière – Arnaud Poitevin / Quadrants
Le Marin, l’Actrice et la Croisiere Jaune– extrait exclusif du T2 – planche 6 © Régis Hautière – Arnaud Poitevin / Quadrants

Et vous continuez les séries en cours
Oui, il y a trois séries en cours dont les prochains tomes paraîtront sans doute au deuxième semestre 2011 :

  • La saga historique sur la Croisière jaune, dessiné par Arnaud Poitevin chez Quadrants,
  • la fin du thriller contemporain Vents Contraires, un diptyque dessiné et mis en couleurs par Ullcer (Johann Leroux) chez Delcourt
  • le dernier tome de Dog Fights ! dessiné par Fraco et à paraître chez Paquet.

Pour tout l’Or du Monde - extrait exclusif du T2 – planche 8 © Régis Hautière – Alain Grand / Quadrants
Pour tout l’Or du Monde - extrait exclusif du T2 – planche 8 © Régis Hautière – Alain Grand / Quadrants

On a oublié un autre projet ?
Oui, je prépare encore un autre projet chez Delcourt avec le dessinateur espagnol Efa aux influences mixtes franco-belges, comics et manga. Le premier tome est presque terminé mais sa date de parution n'est pas encore fixée en fonction du programme de l’éditeur. La série s'intitulera Yerzhan. Efa avait publié chez Paquet (âme du vin, les Icariades et Rodriguez) et chez Vents d’Ouest (Kia Ora). Il s’agit là d’une série d’anticipation qui débute à Baïkonour vers 2030 à 2050, dans l’esprit de la trilogie Jason Bourne.

Yerzhan – extrait exclusif – planche 2 T2 © Régis Hautière – Efa / Delcourt
Yerzhan – extrait exclusif – planche 2 © Régis Hautière – Efa / Delcourt

Comment faites vous pour gérer autant d’éditeurs ?
C’était une volonté de ma part après avoir quitté Paquet chez qui j’ai fait une vingtaine d’albums. Quand une relation avec un éditeur s’arrête, le rebond est souvent difficile. J’ai pu signer assez rapidement chez un autre éditeur mais je me suis dit que je mettrai désormais mes œufs dans plusieurs paniers. J’ai donc monté plusieurs projets que j’ai présenté à différents éditeurs. Et j’ai eu a chance de pouvoir placer des albums un peu partout. Maintenant quand je monte un nouveau projet, je sais quel éditeur est le plus susceptible d’être intéressé et surtout j’ai un retour rapide et direct des éditeurs.

Vents contraires – extrait exclusif du T2 © Régis Hautière – Ullcer / Delcourt
Vents contraires – extrait exclusif du T2 © Régis Hautière – Ullcer / Delcourt

Est-ce difficile de trouver des dessinateurs pour les projets ?
Non, en fait je cherche rarement un dessinateur pour un projet sauf cas particulier comme pour la Guerre secrète de l’espace qui était une commande de l’éditeur. Un projet naît toujours d’une rencontre, notamment au cours d’un festival, et d’une envie de travailler ensemble. A partir de là, je pars du style de dessin du dessinateur et de ses envies dans tel ou tel registre, à telle ou telle époque. Et je lui écris une histoire sur mesure. Si j’écrivais une histoire et cherchais ensuite un dessinateur ce serait beaucoup plus difficile. Spontanément, j’imaginerais une histoire avec un style de dessin et une mise en scène précis et j’aurais du mal à trouver le dessinateur qui collerait exactement à ce que j’aurais imaginé. En partant du dessinateur, j’imagine mon histoire, quand je l'écris, avec son dessin. Et là ça colle mieux tout de suite.

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en octobre 2010
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
© Manuel F. Picaud / Auracan.com
Remerciements à Emmanuel Klein et Maud Beaumont, éditions Delcourt

Site de l’auteur : http://aspirine.canalblog.com

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Manuel F. Picaud
09/11/2010