Entretien avec Marc Jailloux
« Je ne me suis rien épargné ! »
Né en 1973, Marc Jailloux relance une série de l’univers Martin sur la Grèce classique. Le troisième et dernier épisode d’Orion était paru en 1998 chez Dargaud. Revenu chez Casterman, l’éditeur historique, le jeune héros originaire de l’Attique connaît une nouvelle jeunesse. Le nouvel épisode Les Oracles retrouve les canons de beauté et l’intérêt des meilleurs albums de Jacques Martin. Il n’en fallait pas davantage pour aller à la rencontre du premier auteur ayant signé dès début 2008 un album de la collection au scénario et au dessin. Interview complète en attendant de découvrir cet opus passionnant qui révèle un auteur très talentueux.
Que représente Jacques Martin pour vous ?
Jacques Martin a réinventé une Antiquité lumineuse totalement idéalisée qui continue de faire rêver, en employant une technique et une méthodologie rigoureuses et en s’appuyant sur une documentation poussée. Il a réussi à traduire la beauté tout en restant dans la sobriété avec son dessin élégant. Il a aussi été un fabuleux raconteur d’histoires au sein de décors archéologiques en suivant les principes classiques de la tragédie grecque, en mettant en scène des psychologies très travaillées. Au final il a remarquablement œuvré pour donner ses lettres de noblesse à la bande dessinée historique.
Comment avez-vous rencontré Jacques Martin ?
J’avais 13 ans quand il m’a dédicacé le Dernier Spartiate à Angoulême. Je l’ai revu en avril 2005 au Centre culturel Wallonie-Bruxelles à Paris à une conférence où j’ai filmé son intervention. Lors d’une vente aux enchères à Drouot, j’ai ensuite pu voir de près ses originaux. Ce fut un déclic totalement magique !
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C’était assez osé de proposer de reprendre la série Orion !
C’était une forme de rêve, peut-être un coup de poker mais en tout cas, je me sentais prêt. Après avoir contacté l’éditeur, j’ai eu très vite une réponse positive. Une vraie chance. J’encrais encore les planches de Vinci de Gilles Chaillet et Didier Convard. Je percevais le défi mais j’avais hâte de m’atteler au projet. J’ai mis trois mois à finir le scénario et un an à le dessiner. Nous avons vraiment pu réaliser l’album dans de bonnes conditions et tout soigner du début jusqu’à la fin !
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Pourquoi cet intérêt pour ce héros Orion ?
Je reste persuadé que ce personnage dispose d’un grand potentiel après seulement trois albums. L’époque de la Grèce classique offre des ressorts scénaristiques infinis. Elle permet de confronter de nombreuses civilisations de la Grèce à Carthage, en passant par la Perse ou l’Egypte, d’aborder une grande diversité culturelle, de l’architecture à la mythologie ou les régimes politiques. J’aime aussi le personnage avec son caractère, son histoire d’amour avec Hilona. Cette série se prête aux voyages de découverte sur fond de grave conflit, la Guerre du Péloponnèse.
Et pourtant cette période historique est moins exploitée que Rome en BD.
C’est exact. La Grèce est généralement abordée à une période soit antérieure, c’est-à-dire l’époque de Troie ou encore la bataille des Thermopiles, soit postérieure au temps d’Alexandre le Grand. La Grèce classique est très peu utilisée alors que c’est l’âge d’or de la civilisation grecque avec Périclès, Phidias, l’architecture, la philosophie, l’invention de la démocratie…
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Connaissez-vous bien la Grèce ?
J’ai appris à connaître ce pays merveilleux en allant en repérages. J’ai visité tous les lieux que parcourt Orion à l’exception de sa traversée de l’Epire pour rejoindre Athènes. Je me suis beaucoup documenté. J’ai lu la Guerre du Péloponnèse par Thucydide et relu L’Iliade et l’Odyssée d’Homère. Pour l’architecture, je me suis appuyé sur des ouvrages anglo-saxons. J’ai passé beaucoup de temps dans les bibliothèques, consulté de nombreuses revues, regardé beaucoup de documentaires.
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Etes vous un passionné d’Histoire ?
Oui je m’intéresse autant à la Grèce qu’à Rome ou à l’Egypte ancienne. Dans l’univers de Jacques Martin, il faut avoir envie de faire revivre une époque disparue et se passionner pour les reconstitutions. De la Grèce classique qui remonte à cinq siècles avant la Rome d’Alix, il ne reste souvent plus grand-chose à plus de quelques mètres du sol ,mise à part l’Acropole. La recherche de documentation est un vrai casse-tête et constitue un défi majeur.
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Mon scénario n’est pas basé sur un de ses synopsis. J’ai soumis un projet personnel. Il l’a lu et m’a encouragé. Il a pu voir mes dessins dans son atelier grâce à un agrandisseur et il me disait que je tenais parfaitement Orion. Il m’a transmis de l’énergie et j’apprécie cette chance. J’ai aussi bénéficié d’une partie de sa documentation et des photocopies des originaux du Lac Sacré. J’ai ainsi pu mieux comprendre son geste, la subtilité de son encrage, ce qui a complété les conseils de Gilles Chaillet.
Quelle importance avaient les oracles dans la Grèce antique ?
A l’époque on consultait les oracles pour toute décision importante. La mantique prenait le forme de la cléromancie (tirages de sorts), l’ornithomancie (examen des vols d’oiseaux), l’hydromancie (analyse de l’eau), l‘oniromancie (l’analyse des songes) ou encore comme ici la nécromancie, c’est-à-dire l’art d’entrer en contact avec l’esprit des morts. C’était très répandu. Il ne s’agissait pas de s’en remettre totalement aux oracles mais s’accorder les faveurs des Dieux.
Où se situe le Nécromantion ?
Ce sanctuaire ancestral se situe sur un petit mont dans l’Epire près du village de Mésopotamos. Aujourd’hui il y a une petite église sur ce mont et un petit labyrinthe qui date de la période hellénistique. Certaines cavités au sous-sol remontent sans doute à l’époque mycénienne, voire préhistorique ! En me documentant, je me suis rendu compte qu’il est déjà décrit au 8e siècle avant J.-C. par Homère dans l’Odyssée au confluent de l’Achéron et du Cocyte qui découle du Styx, devant le lac Achérousia aujourd’hui asséché. Quand Ulysse veut savoir comment rentrer chez lui à Ithaque, la magicienne Circé l’envoie à cet endroit consulter le devin Tirésias.
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Dans cet album, je voulais que le voyage entre l’Epire et Athènes ne soit pas un prétexte mais un véritable voyage initiatique pour cet enfant qui va traverser l’adolescence. D’où la légende du Mont Parnasse racontée par Orion. Il explique qu’après le déluge déclenché par Zeus il n’y avait plus qu’un homme Deucalion et une femme Pyrrha. En jetant une pierre derrière lui, Deucalion pouvait refaire vivre des hommes et Pyrrha des femmes. Et justement Panaïotis jette une pierre en arrière. Et le passage par différentes scènes climatiques symbolise les différentes étapes de la vie.
Faire cet album a-t-il été une souffrance ?
Non absolument pas. Le plus gros travail a été la reconstitution et la documentation historiques. Dans la réalisation, cela a été assez agréable. Je succède à un album de Jacques Martin où il était au top de ses moyens en terme de graphisme. Il l’appelait son « chant du cygne » car après le Lac sacré, sa vue l’a lâché. Du coup je sentais une exigence assez forte pour moi, une forte pression vis-à-vis du lecteur et de Jacques Martin. Je me sentais investi d’une mission dès qu’il m’a confié son personnage et encore plus quand il est décédé.
Côté dessin, vous ne vous êtes pas beaucoup économisé !
Pour moi, il faut être généreux pour ce type de BD. Chaque séquence, chaque page, chaque double page doivent apporter quelque chose. J’ai fait mon découpage sans me soucier si telle séquence serait longue à dessiner. Je ne me suis rien épargné sur cet album.
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Propos recueillis par Manuel F. Picaud enter août et décembre 2010
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