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Entretien avec Marie Moinard

Photo de Marie Moinard lors de la conférence de presse chez Amnesty International le 7 mars 2011 © Manuel F. Picaud / Auracan.com
 Marie Moinard © Manuel F. Picaud / Auracan.com
«nous travaillions pour que la honte change de camp»


Lundi 7 mars 2011, la veille de la journée mondiale de la Femme, l’association Amnesty International accueille dans ses locaux parisiens près de Belleville, une exposition éphémère, une conférence de presse et un tour de chant à l’occasion de la sortie du second collectif En Chemin elle rencontre… Édité par Des Ronds dans l’O, cet ouvrage très bien fait apporte une solide pierre à un débat trop souvent tabou sur les violences faites aux femmes dans des sociétés trop machistes. Deux douzaines d’auteurs – à parité parfaite – ont collaboré à son élaboration. Marie Moinard, la dynamique éditrice explique la réalisation de ce projet.


S’il était encore besoin de justifier l’intérêt de la bande dessinée, l’album En Chemin elle rencontre… pourrait l’illustrer parfaitement. Se saisir d’un sujet fort – les violences de toutes sortes faites aux femmes -, le traiter en profondeur mais avec tact et pudeur sans perdre son impact. Voilà en quelques mots l’équation de l’éditrice Marie Moinard, à l’origine de ce projet ambitieux. Et effectivement elle l’a résolue. Elle en explique le genèse : « Ce qui m'a poussé à dénoncer les violences faites aux femmes, toutes les violences sur toutes les femmes et partout dans le monde, c'est mon incompréhension totale face à ce fléau. J'ai mis de nombreuses années avant de trouver l'angle qui pouvait me permettre de dénoncer tout en même temps et de m'adresser au plus grand nombre. » 

Photo de Agnès BIhl, Muriel de Gaudemont et Marie  Moinard lors de la conférence de presse chez Amnesty International le 7  mars 2011 © Manuel F. Picaud / Auracan.com
Photo de Agnès BIhl, Muriel de Gaudemont et Marie Moinard lors de la conférence de presse chez Amnesty International le 7 mars 2011 © Manuel F. Picaud / Auracan.com

Pourquoi le support de la bande dessinée ? « C'est un merveilleux médium avec lequel on peut raconter toutes sortes d'histoires, réelles ou inventées, et qui permet d'emmener les lecteurs à peu près où on le souhaite. C'est l'art de l'ellipse, qui caractérise la bande dessinée, qui va permettre à tous les lecteurs de lire avec sa sensibilité, avec sa capacité à entendre vite ou pas les choses un peu difficiles, qui va laisser libre court à l'imaginaire de chacun tout en montrant le chemin à suivre. C'est pour ça qu'on peut tout dire. Parce que les choses les plus difficiles ne sont pas écrites mais elles sont sous-entendues, entre les cases, et chacun y mettra ses propres mots. Tout est une question de dosage personnel, et c'est cette interprétation qui permet à chacun de s'approprier les personnages, d'investir le récit et pour certains, d'y superposer facilement leur vécu. »

extrait d'En Chemin elle rencontre...© Damien Vanders - Marie Moinard / Des Ronds dans l'O
extrait d'En Chemin elle rencontre...© Damien Vanders - Marie Moinard / Des Ronds dans l'O

Le résultat est en effet des histoires courtes accessibles à tous
. Et il est nécessaire de toucher simplement tous les publics notamment les jeunes. L’album s’adresse aux hommes qui doivent comprendre et prendre conscience de leur responsabilité et aux femmes qui peuvent aussi trouver des solutions pour mettre fin aux violences. Le seul handicap de l’album est peut-être son prix – 18,50 € - qui risque de nuire à une diffusion suffisante. Marie Moinard n’a pas pu réunir de soutien ni de financement public malgré l’approche d’utilité publique. Même l’Education nationale n’a pas fait de commande massive qui serait pourtant bien utile pour sensibiliser les jeunes et casser ce cycle de violences.

extrait d'En Chemin elle rencontre...© Kkrist Mirror / Des Ronds dans l'O
extrait d'En Chemin elle rencontre...© Kkrist Mirror / Des Ronds dans l'O

Quels sont les grands thèmes de ces deux volumes de En Chemin elle rencontre… ?
« Bien sûr des choses dont on parle de plus en plus aujourd'hui : le viol, la violence conjugale, le harcèlement, mais aussi des choses méconnues, taboues, comme l'excision, le crime dit d'honneur, la lapidation, le mariage forcé, le viol correctif des lesbiennes (500 000 par an en Afrique du Sud !), la violence conjugale dans le milieu rural, de la de plus en plus grande difficulté d'accès à l'IVG, ce qui permet d'affirmer aujourd'hui qu'on est face à une réelle régression des droits des femmes, du stress post-traumatique qui sont les conséquences vécues au quotidien par les victimes et qui restent très souvent inexpliquées. Dans le deuxième volume, et grâce à la participation de Muriel Salmona, on apporte de réelles révélations. On parle du lynchage des femmes de Hassi Messaoud en Algérie. Et là, je remercie Jacques Ferrandez, un auteur que l'on ne présente plus, qui s'engage très ouvertement avec son récit sur la condition des femmes en Algérie. On aborde également ce qui nous semble essentiel, la relation garçons filles en commençant par le milieu scolaire. C'est Florence Cestac qui s'y est collée ! »

extrait d'En Chemin elle rencontre...© Pat Masioni / Des Ronds dans l'O
extrait d'En Chemin elle rencontre...© Pat Masioni / Des Ronds dans l'O

Pourquoi ce titre
, En chemin elle rencontre... ? « Il est tiré d'une célèbre chanson : Jeanneton prend sa faucille. C'est une chanson populaire reprise à tue-tête dans les colonies de vacances par exemple sans que personne ne réalise vraiment alors que si on écoute bien les paroles, il s'agit de la description d'un viol collectif. » 

Qui vous a soutenu dans ce projet ? « Je n'aurais rien pu faire toute seule et c'est grâce à cet élan solidaire qui s'est formé autour de cette action que nous en sommes là aujourd'hui avec deux livres. Pour le premier volume, nous étions 34 auteurs, 24 hommes et 10 femmes ; et nous avons publié avec Amnesty International. Nous avons travaillé avec la presse et avec les représentants d'associations : le Gams, la Fondation Scelles, Le planning familial. Pour le deuxième volume, nous avons poursuivi dans la même idée et nous voilà réunis avec 24 auteurs, toujours avec Amnesty International, mais nous ont également rejoints deux éditeurs. Les éditions Casterman grâce à la participation de Catel Muller et José-Louis Bocquet. Nous publions 3 planches d'un ouvrage à paraître en mars 2012 concernant Olympe De Gouges – notre fil rouge depuis le premier volume - , et les éditions Raoul Breton, éditions musicales dont le président Monsieur Gérard Davoust qui nous ont offert deux chansons du répertoire d'Agnès Bihl. » 

Photo d'auteurs présents lors de la conférence de presse chez Amnesty International le 7 mars 2011 © Manuel F. Picaud / Auracan.com - de gauche à droite et de haut en bas:Kkrist Mirror, Agnès Bihl, Claire Bouilhac, Marie Moinard, Catel, Dr. Muriel Salmona,Jacques Ferrandez, Laetitia Coryn, Muriel de Gaudemont, Damien Roudeau et Pat Masioni
Photo d'auteurs présents lors de la conférence de presse chez Amnesty International le 7 mars 2011 © Manuel F. Picaud / Auracan.com - de gauche à droite et de haut en bas:Kkrist Mirror, Agnès Bihl, Claire Bouilhac, Marie Moinard, Catel, Dr. Muriel Salmona,Jacques Ferrandez, Laetitia Coryn, Muriel de Gaudemont, Damien Roudeau et Pat Masioni

De fait, la mobilisation autour de cet album aurait mérité une attention plus grande. A Public Sénat, Jean-Philippe Lefèvre a tout de même consacré deux numéros d’Un monde de Bulles. Le mensuel [dBD] a offert une page de publicité. Mais l’éditrice n’a obtenu aucun soutien ni du Centre National du Livre ni de la DRAC. Heureusement pour l’équilibre du projet, les auteurs ont travaillé sans avance sur droit…


Le combat continue « Ce travail que nous réalisons avec tant de monde est essentiel. Il a permis des retours chez des victimes. Il a permis des déclics, des compréhensions, et nous n'allons pas nous arrêter là, en tout cas pas tant que les femmes subiront des violences, pas tant que ces sujets resteront tabous et qu'il sera toujours aussi dur d'en parler. Dans mon avant propos dans le premier volume en 2009, je disais que nous travaillions pour que la honte change de camp, c'est ce que je continue d'espérer. »

Propos recueillis par Manuel F. Picaud en mars 2011
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© Manuel F. Picaud / Auracan.com
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Manuel F. Picaud
16/03/2011