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Entretien avec Frédéric Richaud

« La principale difficulté a été de rendre l'extraordinaire vivacité de La Bataille sans perdre le lecteur. »

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Frédéric Richaud © Bruno Charoy
Principalement connu comme romancier (Monsieur le Jardinier, La Ménagerie de Versailles, Jean-Jacques...), mais également biographe et essayiste (Boris Vian, Luc Dietrich...), Frédéric Richaud est aussi scénariste de bande dessinée, souvent en coécriture avec ses complices Pierre Makyo et Frank Giroud : Le Maître de peinture, Jean-Jacques, Destins T12…

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La Bataille T1
© Gil - Richaud - Rambaud / Dupuis
Aujourd’hui, chez Dupuis, il adapte avec Ivan Gil le fameux roman de Patrick Rambaud, La Bataille, Prix Goncourt 1997.

Frédéric Richaud, comment êtes-vous venu à la bande dessinée ?
J'ai toujours aimé la bande dessinée. Gamin, mon rêve était d'être auteur de BD. Avec un copain, nous passions des heures à dessiner et à écrire des scénarios en rêvant de devenir les égaux d'Edika ou de Gotlib. Nous faisions le tour des festivals avec nos planches sous le bras… et en repartions avec nos planches sur les bras ! J'ai même envisagé un moment de faire une école de BD. Et puis le temps a passé, la vie m'a pris ailleurs, je me suis lancé dans l'écriture de romans. Mais j'ai toujours été un passionné de bandes dessinées.

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La Bataille T2, extrait du storyboard de la planche 19
© Gil - Richaud - Rambaud / Dupuis
Comment s’est fait le déclic ?
Un jour, j'ai fait la connaissance d'Anne Sibran, la compagne de Didier Tronchet. Anne m'a proposé de rejoindre un groupe d'écrivains, de dessinateurs et de romanciers qui se réunissait une fois par mois dans un petit restaurant du XVIIIe arrondissement. C'est là que j'ai rencontré, entre autres, Frank Giroud et Pierre Makyo. Je garde un souvenir ému de ces soirées enfumées et passablement arrosées où nous nous retrouvions parfois à trente. Ça gueulait, ça commentait, ça riait. Ça vivait, quoi ! Et puis, Pierre Makyo m'a proposé qu'on écrive un scénario ensemble (Le Maître de peinture, chez Glénat). Je n'ai pas hésité une seconde. Je dois beaucoup à Pierre. C'est grâce à lui que j'ai enfin pu renouer avec mon amour de jeunesse.

Comment appréhendez-vous ces différents médias en terme d'écriture, de narration, de construction ? Qu'est-ce que la BD vous apporte, et inversement ?
J'aime bien passer d'un genre à l'autre. Ça évite la monotonie. J'aime bien le roman pour les libertés qu'il offre. Avec lui, on peut flâner, prendre son temps, se perdre parfois… Pas avec la bande dessinée ! Il faut faire entrer une histoire en un nombre de planches et de cases très précis et, surtout, que ça avance. Un vrai jeu de construction qui vous oblige, à chaque page, à redoubler d'efficacité et d'imagination.

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La Bataille T2, extrait de la planche 2 © Gil - Richaud - Rambaud / Dupuis

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La Bataille T1, extrait de la planche 26
mise en couleurs d'Albertine Ralenti
© Gil - Richaud - Rambaud / Dupuis
Pourquoi adapter certains de vos récits ? Je pense notamment à Jean-Jacques ou Le Peuple des endormis, version BD de La Ménagerie de Versailles...
Pour avoir le plaisir de travailler avec mes amis Tronchet et Makyo ! Et pour voir la tête qu'ils allaient donner à mes personnages. Plus sérieusement, ce que j'aime dans l'idée de l'adaptation, c'est le prolongement des imaginaires. Je ne suis pas jaloux de mes histoires. Dans Jean-Jacques par exemple (dessins Bruno Rocco, Delcourt), Pierre a choisi de développer un personnage auquel je n'avais accordé que quelques lignes dans le roman. C'était très amusant de découvrir tout un pan de sa vie que j'ignorais. Pareil pour Le Peuple des endormis où Didier a ajouté des scènes qui n'apparaissent pas dans le roman.

Pourquoi aujourd'hui vous emparez-vous du roman La Bataille de Patrick Rambaud ?
C'est mon éditeur chez Grasset, Christophe Bataille (le bien nommé !), qui a lancé l'idée le premier. Au sortir d'un déjeuner, il m'a lancé de but en blanc : « Pourquoi n'adapterais-tu pas La Bataille de Rambaud ? ». Je n'ai pas hésité longtemps. Mettre en images un tel livre était un véritable défi. Pour tout dire, j'étais d'autant plus motivé qu'on m'avait dit que Roman Polanski avait, en son temps, tenté en vain d'adapter le roman pour le cinéma. Loin de moi l'idée de vouloir comparer une BD à un film ; loin de moi, aussi, de vouloir me comparer à Polanski ! Autant mettre une 2 cv pilotée par un amateur sur la même ligne de départ qu'une Ferrari conduite par un professionnel. Mais j'étais bien décidé à réussir dans mon humble domaine ce que le grand Polanski n'était pas arrivé à faire dans le sien.

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La Bataille T2, extrait de la planche 2 © Gil - Richaud - Rambaud / Dupuis

Quelle est l'histoire de La Bataille d'Essling ?
Une méga baston entre les Autrichiens et les Français au début du XIXème siècle dans les environs de Vienne. Une boucherie sans nom qui, en deux jours de combats, va laisser 45000 morts couchés dans les blés.

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La Bataille T2, extrait du storyboard de la planche 20
© Gil - Richaud - Rambaud / Dupuis
Comment abordez-vous cet univers historique riche de références à l'époque napoléonienne ?
En marchant sur des œufs. Les admirateurs de cette époque sont très exigeants. Si tu te trompes sur un uniforme ou si tu cafouilles sur le déroulé d'un événement, les lecteurs ne te le pardonnent pas ! Avec Ivan Gil, le dessinateur, on a passé des mois à éplucher de la doc. Heureusement, les bouquins sur cette période ne manquent pas.

Quels parti-pris avez-vous dû prendre pour adapter le roman de Rambaud et le transcrire au format d'une trilogie bédessinée ?
J'ai pris le parti de coller le plus possible au roman. Le scénario était parfait. Et puis Patrick, qui a une véritable culture de l'image, a travaillé son livre de façon très visuelle, empruntant au cinéma et à la BD un grand nombre de leurs codes : ellipses, travellings, gros plans, plongées... Le gros du travail était déjà fait ! La principale difficulté a été de rendre l'extraordinaire vivacité du livre sans perdre le lecteur. Dans le roman, on est pris dans un véritable tourbillon d'images et d'actions. Cette impression est due au fait que Patrick a choisi de montrer la bataille sous tous ses angles : on est tantôt au cœur du combat avec le cuirassier Fayolle, tantôt à l'arrière avec Napoléon qui dicte ses ordres, tantôt à Vienne avec Beyle, tantôt entre les lignes avec Lejeune. Il a donc fallu beaucoup travailler sur l'enchaînement des actions pour que l'ensemble reste très cohérent, compréhensible. L'autre difficulté – et non des moindres – a été de rester dans le cadre strict d'un projet de 150 pages. Il y a tellement de détails dans le roman, tellement de personnages et de scènes intéressantes qu'on a envie de tout montrer. Il a fallu faire des choix. Je regrette, par exemple, de n'avoir pu garder la première scène du roman où l'on voit le carrosse de Napoléon traverser la campagne avant de s'arrêter devant le Danube ; je trouvais ce travelling très beau. Mais je dois dire que dans l'ensemble, l'adaptation n'a pas présenté de problèmes majeurs. Finalement, j'ai l'impression qu'elle n'est qu'un prolongement naturel du roman.

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La Bataille T2, extrait de la planche 26
© Gil - Richaud - Rambaud / Dupuis
De quelle manière avez-vous été « marié » avec le dessinateur espagnol Ivan Gil qui signe ici son premier album ?
Par l'entremise de José-Louis Bocquet, éditeur chez Dupuis, à qui Ivan avait présenté ses planches lors d'un festival d'Angoulême. José-Louis est notre témoin de mariage. J'espère bien qu'après La Bataille, nous ferons, Ivan et moi, d'autres enfants !

Avez-vous travaillé de concert avec Patrick Rambaud ? Quel a été son regard vis-à-vis de votre travail d'adaptation, et donc inévitablement d'appropriation de son œuvre ?
Au début, nous devions travailler ensemble à l'adaptation du livre. Malheureusement, son emploi du temps surchargé l'a forcé à jeter l'éponge. Je me suis retrouvé assez vite seul aux commandes, muni de la bénédiction de Patrick qui m'a dit : « Je te fais confiance ». J'espère ne pas avoir trop démérité.... Je lui montrais les planches de temps en temps. Je ne crois pas trahir sa pensée en disant qu'il a été impressionné par le travail d'Ivan. Il faut dire qu'Ivan a fait un boulot formidable. Précis, dynamique. J'ai eu beaucoup de plaisir à travailler avec lui. Pour l'anecdote et pour donner une petite idée de son enthousiasme et de son abnégation, je lui ai demandé, un jour, de faire un dessin pleine page montrant 30000 soldats de Napoléon traversant le Danube sur un pont de bois. Rien que ça... Je n'ai pas compté le nombre de bonshommes qu'il a dessinés mais c'est impressionnant !

Est-il stressant de travailler à la version BD d'un ouvrage lauréat en 1997 du Grand Prix du roman de l'Académie française et du Prix Goncourt ?
Très honnêtement non. Je crois que j'aurais eu le même stress à m'occuper d'un livre qui n'aurait eu aucun prix. Les titres honorifiques ne changent rien. La seule question qui revient toujours est : ai-je au mieux servi l'histoire que l'auteur m'a confiée ?

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La Bataille T2, extrait du storyboard de la planche 24 © Gil - Richaud - Rambaud / Dupuis

Pour conclure, quels sont vos prochains projets, en BD ou dans d'autres registres ?
Je vais faire paraître, avec Pierre Makyo, une bande dessinée consacrée à Voltaire en juin, chez Glénat. Je suis aussi sur un roman, une biographie et un petit recueil de nouvelles. Et puis le printemps approche. Il va falloir que je descende dans le sud pour m'occuper de mon jardin.
Propos recueillis par Brieg F. Haslé le 12 mars 2012
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable.
Remerciements à Ivan Gil pour les extraits du T2 présentés en exclusivité et à Mathieu Poulhalec.
© Brieg F. Haslé / Auracan.com

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La Bataille T2, planche 1 © Gil - Richaud - Rambaud / Dupuis

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La Bataille T2, planche 29 © Gil - Richaud - Rambaud / Dupuis

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Brieg F. Haslé
13/03/2012