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Entretien avec Rodolphe

Entretien avec le scénariste Rodolphe, auteur avec le dessinateur Louis Alloing de La Marque Jacobs, une vie en bande dessinée, biographie bédessinée du créateur de la saga Blake et Mortimer. Un ouvrage qui a failli être interdit…

Rodolphe, que représente pour vous Edgar P. Jacobs ? Comment avez-vous découvert son œuvre ?
Jacobs est pour moi, avec Hergé et Franquin, un des trois grands de la bande dessinée belge. Je l'ai découvert au tout début des années 1960, vers l’âge de dix ans, via un camarade de classe qui transportait illicitement un exemplaire de La Marque jaune dans son cartable. En échange de quelques carambars, j'ai pu lui emprunter l'album pour un soir. Waah ! Quelle nuit j'ai passé ! Ensuite, je me suis mis à acheter chaque semaine le Journal de Tintin et j'ai suivi en direct la parution des nouveaux Blake et Mortimer.

Rodolphe et Louis Alloing © Olivier Roller / Delcourt

Comment a germé l'idée de lui consacrer un biopic bédessiné ?
J'aime bien parler des œuvres qui me touchent et de leurs auteurs. J'ai fait un album avec Georges Van Linthout sur la vie du chanteur Gene Vincent, je prépare avec René Follet une biographie dessinée de l'écrivain Robert Louis Stevenson… Ma démarche concernant Jacobs relève des mêmes motivations : rendre hommage, remercier quelqu'un pour le plaisir qu'il vous a donné, et essayer de transmettre à d'autres ce plaisir, leur donner envie d'aller à leur tour y voir de plus près ! En ce qui concerne Jacobs, il y avait pas mal de choses à raconter. Certains dessinateurs passent l'essentiel de leur vie derrière leur planche à dessin, ce ne fut pas son cas. Savez-vous qu'avant d'être le créateur de Blake et Mortimer, il fut pendant plus de quinze ans, artiste lyrique, chanteur baryton ?

Extrait en noir et blanc de La Marque Jacobs © Alloing - Rodolphe / Delcourt

Pourquoi vous associer le dessinateur Louis Alloing pour cet atypique projet ?
Avec Louis Alloing, nous avons animé pendant plus de dix ans Les Aventures des Moineaux. Les anciens lecteurs de la revue Astrapi doivent s'en souvenir (huit albums ont été publiés). Et son trait façon « ligne claire » me semblait convenir particulièrement à une évocation de la vie et de l'univers d'Edgar P. Jacobs. Comme il était lui aussi un inconditionnel de son œuvre, le convaincre ne fut pas trop difficile...

Extrait en noir et blanc de La Marque Jacobs © Alloing - Rodolphe / Delcourt

Quelles ont été vos sources pour mettre en forme cette biographie en bande dessinée ?
Avant tout la propre autobiographie de Jacobs, Un Opéra de papier (Éditions Gallimard), hélas introuvable depuis longtemps. Je me suis également servi de l'indispensable ouvrage de François Rivière et Benoît Mouchart La Damnation d'Edgar P. Jacobs (Éditions Seuil-Archimbaud), et de celui de Mouchart, seul cette fois, intitulé À l'ombre de la ligne claire (Éditions Vertige Graphic) consacré à Jacques Van Melkebeke, le grand ami d'Edgar. Ce sont ceux qui m'ont été les plus utiles. J'ai également lu ou relu beaucoup d'autres essais ou témoignages. Sans oublier les innombrables ouvrages sur Hergé et Tintin qui tous sont amenés à évoquer Jacobs.

Avez-vous dû faire des choix et des coupes dans les grandes étapes de la vie de Jacobs ?
Je ne pense avoir écarté de grands événements ou des moments particuliers de sa vie. Je ne m'en serais du reste pas senti le droit ! Ce d'autant que dans une vie, il y a souvent des effets de miroir, de ricochet, des formes de télescopage ou de correspondance entre telle et telle chose. On peut par exemple penser que sa carrière d'acteur-chanteur a influé son travail ultérieur de dessinateur, via une forme de théâtralité, de lyrisme qu'on ne retrouve pas chez Hergé. Toutefois, il est vrai qu'on n'a pas pu tout raconter ! Mettre en scène une vie de plus de 80 ans en 100 petites pages de bande dessinée amène nécessairement des perspectives cavalières et des raccourcis.

Extrait en noir et blanc de La Marque Jacobs © Alloing - Rodolphe / Delcourt

Évoquons la polémique qui a accompagné la sortie de votre album, les ayants droit de Jacobs (à savoir le Studio Jacobs et les Éditions Blake et Mortimer) ayant tenté, sans succès, de faire interdire La Marque Jacobs
Le reproche que Dargaud et les ayants droit de Jacobs ont adressé par voie judiciaire à notre éditeur Guy Delcourt ne concerne finalement que la couverture sur laquelle figurent (en tout petit) quelques clins d'œil à l'univers et aux personnages de Jacobs. Comme j'ai cru comprendre que Delcourt va faire modifier cette couverture pour les prochaines éditions, on peut espérer que le jeu finira par se calmer. Pour ma part, j'ai particulièrement souffert de cette situation, l'attaquant (les Éditions Dargaud) étant par ailleurs mon éditeur principal... Mais, bon, n'en rajoutons pas !

Extrait couleurs planche 1 de La Marque Jacobs © Alloing - Rodolphe / Delcourt

Au final, que retenez-vous du parcours du Maître du Bois-des-Pauvres ?
Une vie et un destin bien remplis. À quinze ans, ses parents, voulaient en faire un fonctionnaire, un employé aux écritures, un gratte-papier... Et lui voulait être artiste, dessiner, peindre, jouer la comédie, chanter. Savez-vous en final qui a gagné ? Une belle leçon de vie, je trouve...

Propos recueillis par Brieg F. Haslé le 30 novembre 2012
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Coordination rédactionnelle Manuel F. Picaud
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Le site de Louis Alloing : http://louis-alloing.fr
Le blog de Rodolphe : http://rodolphe-scenariste-bd.blogs.midilibre.com
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Brieg F. Haslé
03/12/2012