Auracan » Interviews » Entretien avec Alexandre Chenet et Renaud Garreta

Entretien avec Alexandre Chenet et Renaud Garreta

Alexandre Chenet et Renaud Garreta photo © Brieg F. Haslé / Auracan.com
Renaud Garreta et Alexandre Chenet © Brieg F. Haslé / Auracan.com

Avec Seul autour du monde, une histoire du Vendée Globe, Alexandre Chenet et Renaud Garreta confronte un skipper imaginaire à l’immensité des océans et à ses propres angoisses. Rencontre au bord de l’Atlantique…

Comment vous est venu l'idée de nous raconter le parcours d'un skipper imaginaire qui se confie au lecteur ?
Renaud Garreta 
: J'ai été élevé dans le monde de la voile. Mon grand-père était architecte naval et j'ai navigué ici à Saint-Malo pendant 25 ans. J'adore la mer, je fais du bateau, je pratique le surf, le kite. Dès que je le peux, je vais dans l'eau. Le Vendée Globe est la plus grande course de voile et ça me paraissait une bonne idée comme cadre. Graphiquement, il y avait quelque chose à faire et humainement quelque chose à raconter.

Comment vous-êtes vous connu ?
RG : On s'est croisé au studio Dargaud quand Alexandre en était le chef. Lors d'un salon, on s'est rendu compte qu'on avait une passion commune pour la voile et pour le Vendée Globe en particulier. À son retour d’un raid en Patagonie, on s'est dit pourquoi ne pas faire une bande dessinée ensemble ?


Alexandre Chenet
: Ce qui est intéressant sur la course au large et sur le Vendée Globe en particulier c'est le diptyque compétition/aventure. Ce diptyque nous intéressait. Je suis plus tourné vers l'aventure que vers la compétition. En plus c'est dans le milieu marin. Renaud a présenté sa filiation marine, moi aussi je viens d'une famille de marins. Tout gamin, j'étais déjà sur les habitables, il y a donc cet aspect grand large. Il y a aussi l'aspect aventure. Je suis graphiste, scénariste, j'ai quelques autres casquettes... cet ensemble s'enrichit par les voyages que je fais. Quand en montagne, vous êtes pendu au bout d'une corde, on se retrouve dans la même situation que dans les tempêtes des mers du sud. C'est intéressant de mélanger tout ça et de se demander ce que signifie l'aventure, quelle est sa place et le lien aventure/compétition. Les deux ne sont pas antinomiques. À chaque édition du Vendée Globe, on voit le public s'enflammer pour l'aventure. Les skippers, au début, disent qu'ils sont là pour être sur le podium. À l'arrivée, quasiment tous les skippers disent : « Que je sois sur le podium ou pas, ça a été une sacrée aventure ». Tandis que le public se dit : « Quelle régate ! ». En fait, c'est un mélange des deux. Ça nous intéressait de questionner ce mélange aventure/compétition.

Votre album est construit de façon atypique. Au début, la compétition est lancée depuis 27 jours. L'histoire est un long monologue avec les pensées, les joies, les doutes de votre skipper... Comment avez-vous eu l'idée de cette construction ? N'aviez-vous pas peur de lasser le lecteur ?
RG : C'était la gageure, mais c'est Alexandre qui a trouvé un bon point de vue sur le sujet. C'était plus intéressant de prendre le skipper tout seul sur son bateau, parce que finalement c'est le thème de la course. Un homme, un bateau et les océans. Se focaliser là-dessus en se demandant ce qu'il peut vivre intérieurement. On ne montre pas tous les préparatifs, ni toute la technologie. Les skippers se préparent pendant 4 ans, les navires sont vraiment des monstres de technologie, de vitesse et il y a beaucoup de gens pour s’occuper de ça. Nous, ce qui nous intéressait, c'était le côté humain. Une fois qu'il est en mer, le skipper affronte les éléments, ses propres doutes, ses changements d'humeurs. Il se dit dans un premier temps arriver au bout, mais le mieux placé possible parce que ça reste une course.

Nous avons été séduit par ce contraste lenteur (monologue) - vitesse (course)…
RG : Ces bateaux marchent régulièrement à 20 nœuds. On a eu la chance d'aller naviguer avec Arnaud Boissières qui a terminé 7ème lors du Vendée Globe 2008. Ce sont des bateaux puissants, des bêtes de courses, et c'est incroyable qu'ils partent tout seuls là-dessus. Ça n'a rien à voir avec les bateaux sur lesquels on peut naviguer nous. C'est inconfortable, il n'y a rien pour se tenir. Nous, on est resté deux jours, on a eu du mal à dormir. À l'intérieur, il n'y a aucun confort…

Bien que connaisseurs de ces grandes courses, vous vous êtes entourés de spécialistes, mais aussi de différents skippers. Votre récit n'est pas un biopic, mais une fiction…
AC : Nous aurions aimé rencontrer
Christophe Agnus et Pierre-Yves Lautrou, les auteurs du Roman du Vendée Globe, mais ce ne fut pas le cas. Par contre, leur livre trône en haut de la pile de notre documentation. C'est la bible du Vendée Globe. Même s’il date de quelques éditions maintenant, c'est un bouquin de référence. À la fin de notre album, il y a aussi une interview de Guillaume Le Fur (directeur de l'équipe d'Arnaud Boissières), de Denis Horeau (directeur de course du Vendée Globe). C'était une manière de leur rendre hommage. On ne les voit pas dans l'album, mais il faut qu'ils soient là pour que l'album existe. On a été proche de toute l'équipe Akena et des gens de la revue Voiles et Voiliers. Ils nous ont ouvert leurs archives, ils nous ont aidés dans la relecture. Le rédacteur en chef a été le premier lecteur de la première version du scénario. Denis Horeau nous a également pas mal aidé. On a lu tout ce qui s'écrit sur le Vendée Globe. On a consulté les écrans d'analyse météo de Jean-Yves Bernot sur son blog. Même s'il faut tout lire, s’il y a une phrase qui est à peu près juste, c'est déjà ça.

Quel parti pris graphique pour réaliser cet album ?
RG : Je suis revenu à une technique que j'avais employée sur ma première série, Fox One. Ici, je dessine essentiellement la mer et le ciel. Les mers du sud, paraît-il, sont assez grises, plombées, ventées. Pour faire vivre ces éléments, j'emploie la technique de la couleur directe. Ça me paraissait être la bonne approche, différente d’une technique plus traditionnelle, avec un encrage classique et une colorisation par dessus.
AC : Sur le côté graphique, il y a beaucoup de photos de films qui existent mais ça écrase la perspective. On n'a pas le rendu réel. Ce qui est intéressant avec le dessin, c'est qu'on peut se rapprocher plus de la réalité, on peut aussi jouer avec les sensations. Pour le skipper, les vagues paraissent plus grosses, ou plus petites. À l'opposé des autres médias, ici on peut jouer avec. Quand Renaud parle des gris des mers du sud, j'ai des photos prises avec une bonne chromie et malgré cela, il y a un aplat de gris avec quelqu'un qui est au milieu. Le dessin permet de faire ressortir ce gris. J'ai des photos où vous ne savez pas où est la mer, le ciel... C'est du gris partout. Le dessin exprime la réalité et le ressenti, bien plus que la photo.

Malgré toute cette solitude, on sent que les skippers sont solidaires entre eux…
RG : Évidemment, ils sont tellement loin des terres habitées que ce sont les skippers qui vont au secours de ceux qui sont en difficulté. Durant toutes ces éditions, il y a eu des drames : bateaux retournés, avaries, fractures diverses, etc. Le plus important est de sauver les gars en difficulté, ça prime sur la course.
AC : Les anecdotes de l'album sont toujours inspirées d'histoires vraies qui se sont passées sur les six dernières éditions. On a eu quelques retours qui trouvaient qu'il se passait beaucoup de choses dans cette histoire. Pour avoir étudié chaque course, on oublie pas mal de faits de courses, on retient les plus importants. Il y a eu plein de faits qui ont disparu de notre mémoire, soit parce qu'il y avait moins de communication, soit, aujourd'hui, parce que les skippers ne communiquent pas tout, pour ne pas donner un avantage psychologique aux autres... Au final, la densité des événements me semble être assez similaire à une vraie course. L'autre chose, c'est qu'on a créé un personnage qui est entier. Il est pro-aventure, d'une façon presque caricaturale. Cela nous a permis de le faire évoluer. Au niveau de l'aventure, on peut faire un choix. On peut utiliser, ou pas, les moyens de communication. Notre personnage décide à un moment de les utiliser entre autre parce que c'est une bonne aide psychologique et qu'il en a chié. Mais après on se retrouve dans le sens inverse : la communication devient une arme. On en arrive à raconter des bobards, à donner de fausses informations météo. Ça aussi, on a essayé de le montrer.

On parle de course, mais une course de bateaux, c'est une régate, non ?
AC : Oui, c'est vrai. Dans les premières éditions, les skippers allaient plus à l'aventure, maintenant ils sont au taquet dès le départ. On voit qu'ils essaient déjà de se bloquer. Ils ont le tour du monde à faire, alors ils ne vont pas grappiller ... Mais tout est important et je pense qu'ils vont au maximum de leurs possibilités, d'entrée. C'est vrai que c'est une régate. Une très longue régate, mais une régate tout de même.
RG : L'intérêt, c'est de parler au grand public. Un des travails de l'organisation du Vendée Globe, c'est de rendre intelligible ce qui se passe en mer. On a essayé de faire pareil. Ceci explique la présence d’un lexique à la fin de notre album. Mais ce n'est pas évident de monter un projet où grand public et spécialistes se retrouvent.

Fort de cette expérience réussie, avez-vous envie de rebosser ensemble ?
AC : On sera le premier équipage en double sur le prochain Vendée Globe !
RG : On s'est très bien entendu et on discute de faire quelque chose d’autre. Peut-être pas dans l'immédiat parce que j'ai quelques albums à faire, mais on aimerait bien retravailler ensemble.

Toujours dans le monde de la voile ?
RG : Non, pas forcément.

AC : Ce qu'on espère, c'est que le lecteur pense que le vrai sujet c'est la mer, la voile, pas uniquement un support, un prétexte à raconter une histoire.
Propos recueillis par Brieg F. Haslé et Hervé Beilvaire en octobre 2012
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable
© Brieg F. Haslé - Hervé Beilvaire / Auracan.com
visuels © Chenet - Garreta / Dargaud

Pour en savoir plus :

Partager sur FacebookPartager
Brieg F. Haslé
28/03/2013