Entretien avec Guillaume Sorel
De nos jours, une jeune femme se suicide dans son appartement… mais ce n’est que le début de son histoire. Sous le regard d’un chat complice, qui continue à la voir, elle se met à hanter l’immeuble où elle a vécu, témoin involontaire mais intéressé du quotidien intime de ses anciens voisins... Après le bel accueil des Derniers jours de Stefan Zweig sur un scénario de Laurent Seksik, Guillaume Sorel revient en solo à son amour du fantastique et nous offre avec Hôtel Particulier (Casterman) un des très beaux albums de ce premier semestre 2013. Un Hôtel Particulier dont l'auteur nous a ouvert la porte...
Effectivement. Au départ, c'était une proposition du maquettiste, et ça ne m'enchantait pas vraiment. Mais nous avons procédé à différents essais et j'ai été séduit. A la fois il y a cette idée de rejoindre le dessin, et ça apporte une forme de sobriété à l'ensemble qui me plaît bien.
Autre surprise, le traitement complet au lavis, une première pour vous ?
C'est la seconde fois que j'aborde une histoire de cette manière, en fait, ou plutôt que je le montre. La première, c'était pour un récit court, « Mort à outrance ». Mais concrètement, le lavis je l'utilise tout le temps...avant d'appliquer la couleur par-dessus ! C'est une étape de travail que personne ne voit habituellement. Pour Hôtel Particulier ça s'y prêtait bien, je trouve que ça participe à un climat assez intemporel qui correspond à l'histoire, et puis l'album possède quand même une pagination importante...
Vous êtes-vous inspiré d'un hôtel particulier existant ?
De plein de choses ! Les intérieurs sont imaginaires, mais il y a des souvenirs d'endroits que j'ai connus à Rennes et à Paris. A une époque, j'aimais beaucoup monter sur les toits et regarder les villes, les bâtiments. Il y a beaucoup de souvenirs, conscients et peut-être inconscients, de villes et d'endroits différents dans mon Hôtel Particulier.
Après les Derniers jours de Stefan Zweig, c'est aussi un retour vers le fantastique qui constitue le fil conducteur de votre carrière...
On m'a encouragé à continuer dans la veine de Zweig, on en avait discuté avec Laurent Seksik, mais oui, finalement je me suis empressé de revenir au fantastique. Je traînais cette envie d'histoire dans un lieu clos depuis longtemps. J'ai rassemblé des éléments, des anecdotes, des idées glanées ci et là pendant 25 ans, tout ça se trouve consigné dans de nombreux petits carnets. J'ai opéré un grand tri, procédé à des choix, et le projet d'Hôtel Particulier était là. C'est un projet très personnel que j'ai laissé mûrir, et puis j'avais vraiment envie de faire un truc tout seul, dans mon coin, en me disant aussi parfois que ce ne serait pas facile à placer chez un éditeur, mais c'était important pour moi, et j'étais peut-être arrivé aussi à un point de mon existence où je pouvais le faire.
Par rapport à d'autres de vos albums, peut-on parler d'une déclinaison douce du genre fantastique pour Hôtel Particulier ?
Oui, et cette forme de fantastique est la plus proche de moi. Le fantastique du 19ème siècle et ensuite le fantastique belge en littérature sont ceux que je préfère, même si j'ai abordé d'autres sous-genres avec bonheur et plaisir. Je trouve que quand, dans une histoire, un élément fantastique naît du quotidien, les personnages qui y sont confrontés sont amenés à s'interroger, à réfléchir sur eux-mêmes, sur ce qu'ils sont. Et ce mécanisme-là m'intéresse beaucoup. Mais je lis également énormément de poésie. L'étagère la plus proche de ma table à dessin est remplie de recueils de poésie, et j'ai essayé d'en introduire dans l'album.
En vous entendant évoquer l'élaboration d'Hôtel Particulier, j'entends un artiste mais aussi un artisan avec l'amour du « travail bien fait »...
Je n'ai pas envie de choisir entre les deux... Je me souviens d'ailleurs d'une conversation à ce sujet avec Pascal Rabaté, dont il était sorti un peu choqué. Ma définition d'artiste, ce n'est pas celle d'un fainéant qui regarde la télé, c'est quelqu'un qui bosse avec des techniques, ça c'est pour l'artisanat, mais qui fait le choix, à travers ces techniques, de travailler sur ses problématiques personnelles. Et c'est un travail qui peut être assez monstrueux. J'ai choisi de l'aborder par le dessin, la peinture, l'illustration et les histoires. Mais si j'avais choisi la musique, il y aurait eu la mélodie, les textes, le désir de maîtriser différents instruments...
C'est une belle forme, cette intégrale, et les deux albums initiaux étaient vraiment faits pour être réunis. La nouvelle couverture est également plus sereine...j'apprécie vraiment. Pour moi, j'ai aussi l'impression que c'était peut-être le premier scénario avec lequel j'ai vraiment recherché la cohérence. J'ai trop longtemps considéré, je l'avoue, le scénario comme étant, d'une certaine manière, accessoire... ce qui amenait pas mal de confusion. Et pour Typhaon, je me suis calmé côté égo. Mais il y a eu tout un cheminement personnel pour y arriver... Mother m'a permis de régler certains problèmes, Dieter en a bénéficié pour Typhaon. J'étais devenu plus respectueux...
Propos recueillis par Pierre Burssens le 16 mai 2013
Tous droits réservés. Reproduction interdite sans autorisation préalable © Pierre Burssens / Auracan.com Merci à Valentine Veron pour les visuels transmis visuels tirés d'Hôtel Particulier © Guilaume Sorel / Casterman Photo et Coordination rédactionnelle © Manuel Picaud |