Entretien avec Jean-Claude Bauer
« Ce concours de circonstances me remettait au pied du mur »
Jean-Claude Bauer © Jean-Marc Pau |
Illustrateur touche-à-tout, Jean-Claude Bauer possède un parcours aussi atypique que varié, avec un étonnant épisode de dix ans en tant qu’illustrateur judiciaire. Une expérience mise à profit pour la réalisation d’Otaku, premier volet de Spyware, sur un scénario de Didier Quella-Guyot, tout récemment publié chez l’éditeur participatif Sandawe. Un premier album réaliste autant qu’un défi, comme nous l’a expliqué le dessinateur.
Jean-Claude, en parcourant votre blog, on découvre des choses extrêmement variées… En quelques mots, quel est votre parcours ?
Il est assez différent de celui de pas mal de copains. J’ai commencé chez Pif, où j’ai rencontré Jean César (Cézard) dont j’ai été l’assistant, avant de reprendre la série Léo pendant un an et demi. Ça se passait assez bien, c’était un boulot un peu mieux payé que maintenant. Ensuite je me suis marié, j’ai recherché quelque chose de plus sécurisant et j’ai travaillé, en illustration, dans la prévention des accidents de travail, tout en continuant, en parallèle, à fournir des illustrations dans la presse pour enfants (Mikado) et à différents éditeurs, Fleurus, Nathan… J’ai un jour croisé le chroniqueur judiciaire d’Antenne 2, qui m’a indiqué que la chaîne recherchait un illustrateur judiciaire. Ma candidature a été acceptée, et cette aventure a représenté une tranche de vie de dix années. J’ai démarré avec un procès de terroristes, puis celui de Klaus Barbie… C’est quelque chose auquel on ne peut rester insensible, et, d’un point de vue graphique, à la fois un défi et un excellent exercice. On n’a pas le temps de réfléchir, on travaille sur le vif, avec les contraintes horaires du procès mais aussi des infos à la télé.
Panorama © Jean-Claude Bauer / Sandawe |
Esquisse de personnage © Jean-Claude Bauer |
Est-ce cette expérience qui explique le côté souple et spontané de votre dessin pour Spyware ? Et la justesse des expressions sur un scénario qui laisse beaucoup de place aux doutes, aux interrogations des personnages ?
Probablement, oui… Je voulais essayer de restituer cet esprit « croqué » ou « croquis », et ce après avoir beaucoup hésité. Les éditeurs traditionnels sont très à cheval sur l’aspect fini, regardez les standards de XIII ou Largo Winch, mais je voulais faire quelque chose de différent, je tiens à le préciser car il semble que certains critiques ne l’ont pas compris… Quant aux expressions, sans doute aussi. En illustration judiciaire, on fonctionne comme un photographe. On doit sélectionner l’instant où la personne que l’on dessine présente justement une expression marquante, qui veut dire quelque chose et qui sera ressentie comme telle par celui qui verra le dessin, téléspectateur ou lecteur.
Recherche personnage © Jean-Claude Bauer |
Mais là on a sauté une étape, qui vous conduit justement à ce projet, Spyware, sur un scénario de Didier Quella-Guyot…
Oui, parallèlement à mon travail d’illustrateur judiciaire, j’ai continué à toucher un peu à tout, graphiquement, avec des illustrations pour enfants, parfois oniriques aussi, mais tous mes confrères m’encourageaient à pousser mon dessin réaliste pour aborder à nouveau la BD. J’ai trouvé un tas d’excuses pour reculer, puis j’ai essayé de faire mûrir cette idée pour aller vers un rendu précis. J’ai démarré quelques dessins que j’ai affichés sur mon blog, puis 3 ou 4 planches qui pouvaient constituer le début d’une histoire policière… Ça a interpellé un copain, Luc Turlan, qui m’a mis en contact avec Didier Quella-Guyot qui a beaucoup aimé et avec qui le courant a tout de suite bien passé. On a travaillé sur Spyware qu’ont refusé les éditeurs traditionnels, mais qui a reçu un bel accueil de Patrick Pinchart chez Sandawe.
Le hasard a bien fait les choses, non ?
On peut dire ça, c’est un concours de circonstances, mais qui me remettait, en quelque sorte, au pied du mur. Patrick Pinchart nous a beaucoup aidés, je sais qu’il y a des imperfections dans Otaku, le premier tome de Spyware, mais globalement le résultat me plaît et correspond à ce vers quoi je voulais aller.
Recherche personnage © Jean-Claude Bauer |
Esquisse © Jean-Claude Bauer |
Pour parler technique, comment procédez-vous ? Vous conservez énormément du crayonné ?
À la base, il y a beaucoup de documentation pour les décors, des photos, je joue le jeu comme au cinéma, avec des plans, des lieux précis. Puis, oui, il y a le crayonné et j’en conserve beaucoup d’éléments tels quels. D’ailleurs, si je pouvais le faire, je travaillerais uniquement comme ça. Pour moi, le crayonné donne vraiment de la force, et parfois l’encrage fait perdre celle-ci… Et puis, crayons de couleur, aquarelle… Mon but est réellement de me démarquer. C’est peut-être très premier degré dit comme ça, mais je veux que l’on voie que c’est moi qui l’ai fait (rires). Et puis, il faut tenir sur la longueur…
extrait de la planche 36 © Jean-Claude Bauer |
Comment avez-vous vécu le système d’édition participative de Sandawe ?
Ce n’est pas facile. C’est très long, et il y a des périodes de questionnement. Ça représente aussi beaucoup de travail, car il y a une relation qui se noue avec les édinautes, et pour les encourager, on produit pas mal de choses annexes à l’album (illustrations, ex-libris…) qui demandent forcément du temps pour leur réalisation. Aujourd’hui, le second tome est en financement. J’ai l’impression que ça traîne un peu, mais certains autres projets sont encore bien plus lents, donc Didier Quella-Guyot et moi essayons d’être patients. Mais je ne peux qu’inviter les édinautes à aller le découvrir et à nous soutenir !
story-board de la planche 1 |
Peut-on évoquer d’autres projets ?
On me sollicite pour certaines choses depuis la sortie d’Otaku, mais je dois m’organiser afin de les mener à bien parallèlement à un projet d’aussi grande envergure. J’ai des factures à payer, comme tout le monde ! Il y a différents projets, mais on verra. Par contre, il y a un truc, oui… J’ai travaillé avec François Dimberton sur une BD enfantine qui a été publiée dans Bugs Bunny Magazine, aujourd’hui disparu. Couin Couin le Canard est sorti au Canada sous forme de livres pour enfants, mais rencontre des problèmes de diffusion en France. Donc, voilà, on recherche un éditeur qui serait intéressé et qui nous assurerait une meilleure représentation ici !
Propos recueillis par Pierre Burssens le 12 juillet 2013
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© Pierre Burssens / Auracan.com
Visuels © Jean-Claude Bauer / Sandawe
Photos © Jean-Marc Pau