Auracan » Interviews » Entretien avec Sergio Salma

Entretien avec Sergio Salma

Sergio Salma © Pierre Bursens

Sergio Salma
© Pierre Burssens / Auracan.com

« On a la chance de faire ce métier… »

Organisateur des voyages (imaginaires) de la petite Nathalie au long de 20 albums, Sergio Salma nous a dévoilé une autre facette de son talent avec le remarquable Marcinelle 1956  (Casterman, collection Écritures).

Chaque semaine, on le retrouve également dans Spirou où il nous livre sa vision de la BD à travers le petit bout de la lorgnette de la BD Boutik d’Animal Lecteur et de son libraire désabusé, mis en images par Libon. C’est à l’occasion de la sortie de Le jour, le pilon (Dupuis), quatrième recueil de ces strips verticaux, que nous avons rencontré Sergio Salma.

Comment est né cet étrange spécimen d’Animal Lecteur ?
C’est parti d’une conversation avec Olivier Van Vaerenbergh, le précédent rédacteur en chef de Spirou. L’envie était de faire quelque chose axé sur les lecteurs, dans lequel ils parleraient de ce qu’ils aimaient. J’ai commencé à écrire des strips sur le sujet, et progressivement je me suis rendu compte que 2/3 des discussions que je mettais en scène se déroulaient dans la librairie, la BD Boutik. Le personnage du libraire s’est donc imposé. Côté dessin, je pensais à Libon, j’en avais parlé mais sans trop insister, et quelques semaines plus tard on m’apprenait que Libon avait eu le même genre d’idée, et donc c’était OK ! Pour la publication dans Spirou, on a adopté cette présentation en strips, mais verticaux, et après la parution d’environ 200 gags, on a commencé à envisager une sortie en albums. Mais Libon et moi voulions absolument conserver ce format vertical très allongé. Frédéric Niffle, rédacteur en chef actuel, a tout de suite marqué son accord et les solutions techniques ont été trouvées… C’est assez incroyable mais tout le monde était d’accord et finalement tout s’est mis en place très facilement pour aboutir à ces bouquins plutôt hors normes.

Animal Lecteur page 23 © Salma - Libon / Dupois

Animal Lecteur page 23
© Salma - Libon / Dupuis

Et au fil du temps, c’est le libraire qui est devenu le personnage principal…
Oui, parce que c’est un témoin privilégié, à la fois des comportements et lubies de certains lecteurs pittoresques, de certaines tendances plus larges du monde de la BD, et de l’envers du décor d’une librairie. En associant les trois, ça ouvre beaucoup de pistes. Et puis, une librairie spécialisée, c’est un endroit où se retrouvent généralement ceux qui aiment la BD, non ?

Vous vous êtes inspiré d’une librairie particulière ?
Sans la caractériser, mais oui, en plus de 25 ans d’amitié avec Christian Bernard, de chez Tropica BD à Charleroi (B), j’ai passé bien des heures dans sa librairie. Mais rassurez-vous, ni  lui ni ses clients ne ressemblent physiquement aux personnages dessinés par Libon… heureusement (rires) ! Ceci dit, en observant vraiment ce qui se passe, les habitudes des clients, les interactions avec le libraire, tout ça, on mesure que c’est un petit théâtre, une librairie dans ce cas précis, mais probablement, de manière plus large, un petit magasin…

Animal Lecteur page 30 © Salma - Libon / Dupois

Animal Lecteur page 30
© Salma - Libon / Dupuis

Les problématiques qui agitent le monde de la BD ont, en filigrane, gagné progressivement  plus de place dans les thématiques d’Animal Lecteur
Il y avait, dès le départ, l’envie d’inclure une forme de réflexion sur ce que je pense de la BD, mais avec pour objectif de faire rigoler. Mais depuis le démarrage d’Animal Lecteur, certains phénomènes se sont amplifiés. Il n’y avait pas autant de librairies qui fermaient à l’époque. Le domaine s’est considérablement fragilisé, et aujourd’hui, même des gros acteurs du secteur se cassent la gueule… On parle de « crise de la BD », il y a un resserrement du tableau qui effraye les libraires, et je les comprends, mais on doit aussi se rendre compte que cette « crise de la BD » s’inscrit surtout dans une crise bien plus large… Et puis, côté BD, quel est le rôle véritablement joué par chacun des acteurs du secteur dans celle-ci ? Cela mérite d’être observé… On parle de surproduction aujourd’hui, mais on en parlait déjà il y a 10 ans, et puis à travers ça, il faut aussi reconnaître que 250 ou 300 albums exceptionnels sortent chaque année et méritent d’être suivis. Il y a beaucoup de tout, mais une forme d’abondance dans la qualité aussi. Le lectorat existe, mais, des tris doivent être effectués. L’humeur est au marasme général, mais celui-ci est malheureusement plus fondamental que simplement artistique.

Animal Lecteur page 42 © Salma - Libon / Dupois

Animal Lecteur page 42
© Salma - Libon / Dupuis

C’est le genre de débat qui agite pas mal certains forums, dans lesquels on retrouve parfois un Sergio Salma modéré et… modeste !
Parce que les choses méritent d’être remises en perspective et qu’à mon sens il est plus intéressant de tempérer certains avis très tranchés et forcément subjectifs si ça peut conduire à un vrai débat. Or, sur nombre de forums, et je le regrette, on découvre surtout  beaucoup de commentaires débiles ou de fausses prises de position qui ressemblent presque à des slogans. Théoriquement, c’est le genre d’espace qui est ouvert à des amateurs de BD. Dans le mot amateur il y a « amour », mais souvent on ne le ressent plus très fort…

Mais d’autres auteurs sont parfois nettement moins modérés…
Parce que, clairement, ce n’est pas un métier facile et que chacun a ses factures à payer à la fin du mois, hein…  Mais on a la chance de faire ce métier ! Il y a le débat du prix à la planche, qui est sans doute appelé à disparaître. On m’a même dit que je m’étais « fait avoir » avec un forfait pour Marcinelle 1956. Mais quel est le sens du prix à la planche pour un roman graphique ? Pour moi, il s’agit là d’un vestige des magazines BD. Les 25-30 ans n’ont pas connu cette période « presse », mais les 40-50 ans devraient avoir compris… Et ça a été une mutation dont on ne tient pas assez compte. Albin Michel, Dupuis, Casterman, Le Lombard, c’était de la presse, des magazines qui ont révélé des générations d’auteurs. Et puis, les pages ont été réunies en albums, avec d’autres ambitions, mais à côté du magazine. Ensuite, la finalité n’a plus été le magazine. Et aujourd’hui, la revue, à l’exception de Spirou, n’existe pratiquement plus… Il faut penser plus souvent à ce glissement, qui remet aussi pas mal d’éléments en perspective ! Personnellement, je suis très attaché au magazine, parce que c’est à travers ça que j’ai découvert la BD, et je suis heureux de continuer à collaborer à Spirou avec Animal Lecteur et d’autres récits, mais j’ai exploré d’autres choses sur d’autres terrains,  comme avec Marcinelle 1956 qui me tenait profondément à cœur…

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
30/07/2013