Entretien avec Fabien Nury
Fabien Nury |
« La bande dessinée est un métier de plaisir »
En à peine dix ans, Fabien Nury est devenu un scénariste reconnu. Comme il le dit lui-même, il est un consommateur d'histoires. S'il les consomme, il en produit aussi (35 albums parus à ce jour). Voici le portrait d'un amoureux de bandes dessinées, qui se régale à en écrire.
Robert Louis Stevenson, Michael Mann, Eugène Sue, Philip K. Dick... Cinéma et littérature vous inspirent. Dévoreur de ces arts ?
Oui, je suis un gros consommateur d'histoires. Que ce soit en romans, films, bandes dessinées, livres de non-fiction, j'adore ça ! Perpétuellement dans la confiserie, je suis un homme heureux. On peut rajouter bien des noms à votre liste, ça reste des sources d'inspirations intarissables.
J'ai lu que vous essayez de faire le pont entre cinéma et littérature...
Au cinéma, la plupart des films ont été adaptés d'œuvres venant d'autres supports. Je pense que c'est une constitutive du cinéma que de prendre des sujets issus d'autres arts et des histoires issues d'autres formes pour les retransformer. Si vous prenez Kubrick, il n'y a que des adaptations dans sa filmographie. Quant à John Huston : il y a 35 adaptations sur 40 films... D'autres grands réalisateurs n'ont fait que des sujets originaux. Il y a le sujet et le point de vue du réalisateur sur le sujet. Si on a les deux qui sont bien, on va commencer à avoir un bon récit.
Avez-vous envie d'adapter des récits ? Que ce soit les vôtres ou ceux des autres ?
M'auto-adapter, je l'ai fait sur Je suis Légion, je suis censé le faire sur Il était une fois en France. Maintenant je ne sais pas si le film va se concrétiser. À l'inverse, j'ai écrit des scénarios en me demandant s'ils étaient plutôt faits pour le cinéma ou la bande dessinée. Je les ai transformés en bande dessinée. Le média s'y prêtait mieux. Au début, une histoire est intangible. Un récit est une histoire plus le support de l'histoire. Vous devez aimer ce support pour faire quelque chose de bien. Pour ma part, je pense être devenu un meilleur scénariste de bandes dessinées après avoir écrit un film. Mes premières bandes dessinées étaient limitées par le fait qu'elles rêvaient d'être des films sur papier. Quelque part, il y avait un refus du média dans lequel j'œuvrais. J'avais beaucoup à apprendre et c'est encore le cas ! Mais je m'amuse parfois beaucoup plus à essayer d'utiliser une forme purement bande dessinée parce que ça permet des choses qu'on ne pourrait pas faire ailleurs.
extrait Necromancy © Nury - Manini / Dargaud |
Vous avez débuté dans la publicité après vos études dans une grande école de commerce. Est-ce que ça vous a servi dans vos rapports avec les éditeurs ?
Ça m'a d'abord servi à rencontrer des gens intéressants : des créatifs, des graphistes, des monteurs, des dessinateurs... Mais le jour où j'ai vendu mon premier album, je suis devenu un mauvais publicitaire. Ça m'amusait toujours de trouver un slogan, d'écrire une voix-off de spot radio ou de faire une bande-annonce avec le monteur. Ça ne m'amusait plus de la vendre. Ce qui m'intéressait, c'était de vendre mes histoires, pas celles des autres ! Après, j'ai essayé d'appliquer certaines techniques apprises à la commercialisation de mes propres histoires. En bande dessinée, on m'a laissé faire puisque j'essayais plutôt d'apporter des idées que de critiquer celles qu'on m'amenait... Ça facilitait la vie de l'éditeur et du service marketing. Ils voyaient que j'avais souvent les idées claires sur la manière de présenter les choses.
Pouvez-vous donner quelques exemples ?
Le fait de donner un titre et un sous-titre : La Mort de Staline, une histoire vraie…. soviétique. Ça me paraissait une bonne blague ! C'est plus intéressant de mettre ça sur la couverture que "Tome 1 : Agonie", qui n'avait aucun intérêt. Autre exemple : Atar Gull ou le destin d'un esclave modèle c'est pareil. Je trouve intéressant de rajouter le sous-titre. On travaille longtemps l'emballage. Si vous avez une boutique, il faut travailler la vitrine, ou le paquet-cadeau, pour donner aux gens l'envie de l'ouvrir. Je vois les choses comme ça.
Votre bibliographie commence à être imposante avec bientôt une quarantaine d'albums en à peine dix ans. Mais d'une année sur l'autre, le nombre de sorties est différent...
Ce n'est pas ma faute ! En 2010, j'ai sorti trois bouquins, en 2011, sept. Ca ne veut pas dire que je bâcle mes bouquins, ni que je prends moins de temps pour les écrire qu'avant. Il se trouve que des livres sont décalés d'une année sur l'autre. Ça fait partie des choses que je ne maîtrise pas. Certains de ses albums ont été écrits en 2007-2008, d'autres ont été écrits il y a moins d'un an. Le planning du dessinateur, qui est la personne qui passe un an ou plus à faire l'album, c'est la chose la plus importante. L'autre chose non-négligeable est le planning de l'éditeur. À partir de là, le dessinateur ne peut décaler les livres que dans un sens.
extrait Il était une fois en France © Nury - Vallée / Glénat |
Par rapport à votre écriture, y a-t-il un avant et un après Il était une fois en France ?
Oui, complètement. West, Légion, Les Chroniques de Légion ou Le Maître de Benson Gate sont mes « séries de jeunesse ». Je les aime beaucoup, les ai continué, mais il y a énormément d'intrigues imbriquées. Ces histoires sont complexes à produire et le développement des personnages s'en ressent. Pour Il était une fois en France, le personnage m'est tombé dessus. Il est hors-norme, il produit lui-même de l'intrigue, de l'émotion et ça m'a permis d'évoluer. Je me suis aperçu qu'on me suivrait tout au bout de mes intrigues pour peu qu'on ressente ces émotions pour les personnages. Avant mes intrigues faisaient le personnage, maintenant c'est le contraire. Dans L'Or et le sang, dans Atar Gull, dans La Mort de Staline, il est question de tension et d’émotion immédiates.
extrait Il était une fois en France © Nury - Vallée / Glénat |
Après tous ces albums, comment appréhendez-vous la bande dessinée ?
Je prends un pied pas possible ! J'ai beaucoup de chance, parce que j'ai des albums qui ont bien marché. On m'autorise, voire on m'encourage, à en faire d'autres et c'est déjà une grande chance ! La deuxième grande chance est la rencontre avec des artistes incroyables. On a pris beaucoup de plaisir à travailler ensemble et raconter des histoires... Et on prend toujours du plaisir à le faire. Il y a aussi une liberté, une sorte de laboratoire dans un milieu où on a le droit à l'échec. On a le droit d'essayer des nouvelles choses, de faire des choses qui ne sont pas vouées à être des grands succès, d'être audacieux, de prendre des risques.
extrait Tyler Cross © Nury - Brüno / Dargaud |
Pourriez-vous l’illustrer par un exemple parmi vos albums ?
Atar Gull contient, en 80 pages, tout ce que vous ne pouvez pas mettre dans un film, dans la production française actuelle. Ce serait un film d'époque cher, avec des bateaux. Même le Noir est méchant. Des enfants meurent et la fin est sans espoir. Essayer d'aller vendre votre film, je vous souhaite bonne chance !... Par contre, vous pouvez faire un bouquin. Ce n'est pas plus petit qu'un film, c'est un autre type de rêves. Et si vous tombez sur un dessinateur aussi doué et intelligent que Brüno, avec lequel vous vous entendez aussi bien... C'est un pied pas possible de voir pages après pages, de refaire le bord, de dire ce serait mieux en plan rapproché, ou ne faut-il pas s'éloigner un peu ? On prend beaucoup de plaisir, sans cesse renouvelé.
extrait L'Or et le sang © Defrance - Nury - Bedouel - Merwan / 12 bis |
Dans votre œuvre, il y a un point commun : l'ambiance y est noire.
Oui, c'est vrai. J'ai eu une gourmandise pour la noirceur. Déjà gamin, je n'ai pas aimé La Guerre des Etoiles, je préférais Alien. Je n'ai jamais aimé La Petite Maison dans la prairie, je préfère Il était une fois dans L'Ouest. J'ai toujours aimé les histoires dures, âpres, avec des émotions violentes au premier degré. C'est un goût d'enfant qui ne m'a jamais quitté. J'ai aussi beaucoup de mal à créer des héros. J'ai toujours l'impression qu'on me ment quand on me présente un héros. Un antihéros, je peux le comprendre. Il fait le bien, le mal et il s'en veut. Ça, j'aime beaucoup. Peut-être ira-t-il vers sa damnation ou sa rédemption, mais je peux le suivre. J'ai l'impression qu'il est comme moi. Je ne vais pas dire que je suis le héros de mon propre film. Je fais des choses bien, d'autres moins bien, etc. Je trouve que les personnages sont plus intéressants si on admet qu'ils ont une part de noirceur. Je déteste quand on a l'impression que le personnage cherche à plaire au lecteur.
Est-ce pour cela que vous créez des histoires sombres, âpres et violentes ?
Oui, parce que mes rêves sont ainsi. J'ai lu Ellroy, ses livres m'ont rendu insomniaque. L'ambiance est très noire, mais les rédemptions des personnages sont sublimes. On retrouve ces histoires chez Sergio Leone, Francis Ford Coppola, Sam Peckinpah, etc. C'est aussi le genre qui veut ça. Le polar tout entier explore la lisière de la moralité. On montre qu'aimer quelqu'un n'a rien à voir avec le jugement moral. On représente ce qu'on voit, et peut-être que je vois les choses de façon noire. Quand j'écris l'histoire ou quand elle m’apparaît, je la perçois comme ça. Je l'aime et la déteste à la fois. Je ne pourrais pas raconter une histoire en niant la part de noirceur, voire d'horreur du personnage. Quand je lis des détails sur la mort de Staline, ça me fait rire ! Je n'y peux rien, je sais que c'est horrible mais ça me fait rire ! C'est horriblement drôle et j'essaie juste de retranscrire l'émotion que j'ai ressentie.
Durant cette interview, les mots friandises, gourmandises sont revenus. Êtes-vous gourmand ?
Oui, je suis assez gourmand. Les métaphores culinaires sont souvent utiles pour traduire les notions de plaisir. La bande dessinée est un métier de plaisir qui ne fait pas mal aux dents !
Propos recueillis par Hervé Beilvaire
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