Entretien avec Brüno
Brüno à Saint-Malo © Manuel Picaud / 2011 |
« Je me dis que l'herbe n'est pas forcement verte ailleurs »
Rencontré lors du festival des Utopiales 2012, Brüno évoque son travail, sa culture et ses rencontres faites au fil des albums en plus quinze de carrière. Si ses références sont aussi bien musicales que cinématographiques, il a collaboré avec plusieurs auteurs qui ont nourri son approche du dessin.
On dirait que vous aimez bien les hommages, référencés notamment à la bande dessinée, au cinéma et à la musique...
Ah, c’est vrai ! Je n'avais pas fait attention. En fait, ce sont des genres que j'aime bien. Et je les réintègre naturellement dans mes albums, sans que ce soit forcément conscient. Cela dit, Commando Colonial se voulait une aventure entre Gil Jourdan [de Maurice Tillieux, ndlr] et Les Scorpions du Désert [de Hugo Pratt, ndlr]. Inner City Blues était une bande dessinée qui se passait dans le milieu noir-américain des années 1970. Par contre, Lorna est un bouquin hommage, conçu comme tel. Hommage aux séries Z, B et à tous ces nanards que j'ai découverts grâce à Jean-Pierre Dionnet et ses fameuses émissions. Je le remercie encore pour la magnifique préface qu'il a écrite pour Lorna.
Sérigraphie pour BD Fugue |
Vos références cinématographiques vont du blockbuster à la série Z, en passant par les films oubliés. Êtes-vous un spectateur compulsif ?
Ca fait longtemps que je n'ai plus le temps d'être compulsif, mais je suis un cinéphile, dans le sens propre du terme. Je n'ai pas de genre ou de cinéaste qui me rebute. Mon panel va de Fritz Lang à Brigitte Lahaie en passant par Orson Wells. Enfin, j'aurais du mal à me faire une intégrale Max Pécas...
L'autre média semble être la musique. Cela vous sert-il dans votre travail ?
Je ne joue pas d'instrument de musique, mais je suis assez mélomane. Je suis très axé sur la musique noire américaine, jusqu'au début des années 1980, Ca va du jazz, du blues, de la soul à un peu de rock sixties. La musique influence mon travail inconsciemment. Je n'écoute pas un type de musique pour tel type d'album. C'est plus lié à l'émotion du moment qu'au travail en lui-même.
Vous avez d’ailleurs imaginé de fausses pochettes de disques vinyles...
J'en fais moins. J'avais été invité à une exposition qui s'intitulait Musique et bande dessinée. Comme je n'avais pas beaucoup de dessin sous la main, je suis parti d'un concept un peu idiot mais récréatif. J'ai inventé un faux chanteur de soul et imaginé sa discographie. Ainsi est né Curtis Green, et dans sa discographie, il y a une bande originale qui est Shaft In Alaska (rires).
pochettes de disque série Curtis Green © Brüno |
Vos héros sont black pour la plupart. Une raison ?
C'est un peu le hasard des rencontres. Appollo, qui est réunionnais, a toujours été intéressé par l'Afrique, le métissage... Quand on a travaillé ensemble sur Biotope, il avait à cœur de mettre en scène des héros métisses ou noirs ou de couleurs, dans cet univers de science-fiction. Il s'amusait de l’absence de personnes de couleurs dans les récits technologiques... Ou alors c’étaient des personnages qui disparaissent au bout du cinq pages. Pour Commando Colonial, qui parlait des colonies de l'Océan Indien pendant la Seconde Guerre mondiale, il y avait des métisses aussi. Inner City Blues évoquaient les noirs-américains. Enfin, Atar-Gull, une histoire sur l'esclavage avec Fabien Nury... Je pars souvent d'une envie d'un livre, ensuite que les personnages soient noirs ou blancs, qu'importe. Mais c'est vrai qu'en regardant mon travail il ya des récurrences, même si Lorna n'a pas de personnage de couleur. Il n'y en a pas non plus dans le prochain avec Fabien Nury, un roman noir, "hard-boiled", qui se passe au Texas. Nos références étaient plus blanches. À savoir les romans noirs et les films de genres des années 40-50 où il y avait assez peu de personnages noirs.
extrait Tyler Cross © Nury - Brüno / Dargaud |
Il y a deux Brüno : avant et après Fabien Nury...
Oui, je pense qu'on peut dire ça. Je lui suis beaucoup redevable, notamment d'avoir fait progressé mon travail vers lequel je voulais aller depuis longtemps. Fabien m'a mis des coups de pied au cul en termes de mise en scène, de dessin, etc. Mon dessin a pris une nouvelle orientation. Même si ça reste le même style graphique, il s'est développé différemment.
Parlez-nous davantage de votre nouveau album avec Fabien Nury.
Tyler Cross est le nom du personnage principal. Fabien pense déjà au tome 2. On aimerait bien en faire une série d’au moins trois récits complets de 90 pages. Ils seront autonomes et fourniront au lecteur un petit roman noir très dense en terme de récit, très cynique comme peut les écrire Fabien... Quelque chose qui sera satisfaisant pour tout amateur de polar, de roman noir, voire de bande dessinée.
extrait Tyler Cross © Nury - Brüno / Dargaud |
extrait Tyler Cross |
Dans votre œuvre, on retrouve souvent mots orduriers, sexe, abondance de sang...
Pas tout le temps ! Dans Commando Colonial, ça reste assez soft. Atar Gull est effectivement plus violent que mes précédentes productions. Lorna aussi par certains aspects, puisque j'ai introduit des vraies séquences pornographiques. Mon prochain projet avec Appollo s'intéresse à une tragédie africaine. Ce sera assez violent aussi. Ma rencontre avec Fabien Nury m'a permis de rendre mon dessin plus adulte, plus réaliste. Le propos d'Atar Gull m'a permis de bifurquer vers cette voie graphique et Tyler Cross enfonce le clou dans le réalisme et le cynisme.
extrait Tyler Cross |
Pourquoi travaillez-vous toujours avec la même coloriste ?
Depuis le premier tome de Némo, je travaille avec Laurence Croix. On se connaît depuis longtemps. Elle est très disponible, très professionnelle... Je ne lui vois aucun défaut en tant que coloriste. J'avoue avoir eu la tentation d'aller travailler avec un autre coloriste, pour aller chercher de nouvelles expériences. Mais comme je venais de signer Biotope chez Poisson-Pilote dont elle était ravie, je me voyais mal aller chercher quelqu'un d'autre. Depuis, j'ai eu pas mal d'échos sur des collaborations entre dessinateur et coloriste qui se passe assez mal. Je me dis que l'herbe n'est pas forcement verte ailleurs.
Quoi de neuf professeur Brüno ?
Ah ! Par rapport au Professeur Cyclope ! C'est un projet de revue numérique monté avec Gwen de Bonneval, Fabien Vehlmann, Hervé Tanquerelle, Cyril Pedrosa. L'idée est de proposer un espace de création à tous les auteurs qu'on aime bien et à tous ceux qui nous proposeront des projets qu'on jugera digne du magazine. Nous avons comme référence Métal Hurlant, (À Suivre)... Ces grands magazines de la presse BD qui n'existent plus. Le concept est un magazine de fiction dans le sens large (du gag en un strip à du space-opéra feuilletonesque, en passant par de la chronique sociale ou intimiste). Pour renouer avec une expérience collective, on s'est dit que la presse papier serait compliquée, donc pourquoi ne pas tenter l'aventure sous forme numérique ?
extrait Tyler Cross © Nury - Brüno / Dargaud |
Les aventures peuvent-elles se retrouver dans des albums ?
On a pensé le projet comme étant bi-média, dans le sens où il y aura la version numérique du magazine et à côté certaines histoires qui mériteront une version papier. Par contre, une part de la production sera pensée pour le numérique, à l’image du space opera très difficilement adaptable en format papier.
Site de Brüno : http://www.brunocomix.fr
Propos recueillis par Hervé Beilvaire
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© Hervé Beilvaire / Auracan.com
Coordination éditoriale : Manuel Picaud
Visuels © Nury et Brüno / Dargaud
Photos © Manuel Picaud / 2011 / Auracan.com