Auracan » Interviews » Entretien avec Olivier Grenson

Entretien avec Olivier Grenson

Olivier Grenson © Pierre Burssens

Olivier Grenson
© Pierre Burssens / Auracan.com

« Mettre mon dessin au service de l'histoire... »

Le Centre Belge de la Bande Dessinée entame les festivités de son 25e anniversaire. Il met à l’honneur Olivier Grenson, un auteur de BD dont l’œuvre, créée à Bruxelles, a aussi débuté en 1989 (premier album des aventures de Carland Cross, sur un scénario de Michel Oleffe).

Depuis, parallèlement à la série Niklos Koda scénarisée par Jean Dufaux (Le Lombard, coll. Troisième Vague), Olivier Grenson a développé une œuvre plus intimiste et personnelle avec La Femme accident écrit par Denis Lapière (Dupuis, coll. Aire libre) et La Douceur de l'Enfer (Le Lombard, coll. Signé), premier projet dont l'auteur a signé dessin et scénario.

L'auteur évoque son cheminement, au CBBD, sur les lieux mêmes de cette vaste exposition à venir, du 22 octobre 2013 au 19 janvier 2014.

Quel effet vous fait la prochaine exposition sur vos 25 ans de carrière ?
Quand on me l'a annoncé, j'ai été totalement surpris. Il m'a fallu un certain temps pour prendre la pleine mesure de cette nouvelle. Au début, j'imaginais une exposition collective, et puis non, c'était moi ! C'est un grand honneur d'avoir été désigné et de pouvoir profiter d'un très bel espace. Ça représente aussi pas mal de travail mais ça me procure l'occasion de prendre un certain recul par rapport au chemin parcouru. Recul qui m'a permis de définir la structure de l'exposition en six étapes, parfois consacrées à une série, ou à un album en particulier, ou à d'autres travaux...

 extrait Niklos Koda © Grenson - Dufaux / Le Lombard

extrait Niklos Koda © Dufaux - Grenson / Le Lombard

© Grenson / Le Lombard

Cela vous rendrait-il nostalgique ?
Pas du tout ! Au contraire, je préfère toujours regarder en avant. Mais ce projet m'a forcément démontré que le temps passe... J'ai retrouvé certaines planches jaunies, même un peu moisies, rangées dans ma cave, et c'était une sensation particulière. Mais en travaillant à la conception de l'exposition, j'ai également compris le pourquoi de telle ou telle direction prise plutôt que telle autre, un peu à la manière dont les pièces d'un puzzle peuvent s'ajuster. Il y a des éléments de mon travail qui étaient posés dès le départ et qui y sont restés ou y sont revenus à certains moments, et qui, inconsciemment, sont liés à ma personnalité. Je ne pense pas que j'aurais exploré ces aspects si l'exposition ne s'était pas présentée.

Carland Cross, Niklos Koda, La Femme accident, La Douceur de l'Enfer...  autant d'étapes d'une évolution que vous pourriez qualifier de logique ?
C'est difficile de répondre à cela, car chaque titre représente un univers particulier et une manière de travailler spécifique en collaboration avec un scénariste... ou pas dans le cas de La Douceur de l'Enfer. Le point commun prioritaire par rapport à cette diversité est de mettre mon dessin au service de l'histoire...

© Olivier Grenson / Le Lombard

© Dufaux - Grenson / Le Lombard

Et d'un point de vue purement graphique ?
Je me suis peut-être un peu forcé sur Cross. Rien ne me prédestinait à aborder cette période, ce style, et je n'aurais sans doute pas pris cette direction seul. Mais, à l'époque, j'avais présenté différents projets chez différents éditeurs, et peu de choses me laissaient espérer un contrat pour un album. Quand Claude Lefrancq m'a proposé Carland Cross, le déclic s'est produit. Cet univers était complètement nouveau pour moi et finalement, j'ai été séduit par les couvertures des fascicules d’Harry Dickson, qui m'ont influencé, et j'ai suivi cette voie. Mais je savais que d'autres choses pouvaient se présenter. J'avais notamment entamé un projet humoristique dans le style de l'école Spirou. Qui sait si je n'y reviendrai pas un jour ?

© Dufaux - Grenson / Le Lombard

© Dufaux - Grenson / Le Lombard

Et puis vient Niklos Koda, avec à nouveau du fantastique, abordé d'une autre manière, et un dessin plus réaliste et... très différent !
Oui, un autre univers et une autre atmosphère visuelle, beaucoup plus détaillée aussi. En fait, dans un dessin, j'essaye de donner un maximum d'informations au lecteur, mais pour cela, je dois aussi tenir compte en permanence de la lisibilité, de la fluidité de la lecture. J'aime bien pousser les détails, mais cet équilibre doit être respecté. Peut-être est-ce un élément qui caractérise mon travail... La lecture doit être fluide, mais le dessin doit aussi procurer le plaisir de la découverte et, idéalement, de la redécouverte lors d'une relecture ultérieure.

Olivier Grenson au CBBD © Pierre Burssens

Olivier Grenson au CBBD © Pierre Burssens / Auracan.com

© Dufaux - Grenson / Le Lombard

© Dufaux - Grenson / Le Lombard

L'exposition du CBBD s’ouvre en même temps que sort La Danse du Diable, le retour de Niklos Koda après quelques années d'absence. Un personnage qui, lui aussi a évolué...
Je m'efforce le plus possible de rendre mes personnages vivants et de traduire, par le dessin, leur psychologie. C'est une partie de ping-pong entre le scénario et le dessin. Pour Koda, j'ai suivi les indications de Jean Dufaux. Au départ de la série, c'est LE héros, l'archétype du beau mâle infaillible, mais sur la durée, on mesure que c'est pour permettre au scénariste de mieux installer ses failles... Koda est progressivement happé par l'ombre. Il a plusieurs ennemis, mais le plus difficile à combattre, c'est lui-même, et ce changement progressif devait aussi se transmettre et se faire ressentir graphiquement. J'imagine que le redémarrage de Niklos Koda surprendra ceux qui se sont attachés à mes diptyques plus personnels. J'ai besoin d'un tel personnage récurrent, parce que ma passion pour le dessin et la BD est née et s'est développée avec des séries classiques. 

© Dufaux - Grenson / Le Lombard

© Dufaux - Grenson
Le Lombard

Justement, entre temps, vous avez développé des côtés plus intimistes ou personnels dans les diptyques La Femme accident et La Douceur de l'Enfer...
Ils ont surpris de nombreux lecteurs ! Certains ont demandé pourquoi un auteur mettait en veilleuse une série qui fonctionne plutôt bien pour se tourner vers ces univers très différents. Je pense que c'était le bon moment pour moi. Et j'aime bien me trouver là où on ne m'attend pas. J’ai de nombreux autres projets dans mes tiroirs... J'ai parfois l'impression de devoir me mettre en difficulté pour continuer à évoluer. Ce sera aussi un des aspects importants de cette exposition et qui mérite réflexion. Qu'on le veuille ou non, nous avons un métier physique, et quand on vieillit, généralement la qualité du dessin s'en ressent. Moebius avait mis  cet aspect des choses en lumière. Le dessin exige une bonne forme physique et mentale. Il y a aussi des surdoués, des génies qui atteignent leur meilleur niveau très jeunes. Mais la répétition les guette souvent. J'espère que les visiteurs de l'exposition percevront un souci de recherche, d'évolution...

On peut parler de poursuite de la perfection ?
Ah non, c'est prétentieux, ça... Plutôt de maturité, oui, de recherche de maturité... La perfection, oui, on la cherche toujours et on recommence sans cesse pour pouvoir l'approcher. Mais on sait qu'on ne l'atteint jamais. D'ailleurs, existe-t-elle ? Mais plutôt que la perfection, je dirai l'envie d'atteindre la maturité...

Crayonné © Olivier Grenson / Le Lombard

crayonné © Olivier Grenson / Le Lombard

Croquis © Olivier Grenson

croquis © Olivier Grenson

Lors d'une récente interview au sujet du diptyque Le Convoi (Dupuis), le scénariste Denis Lapière, questionné quant à la notion de "roman graphique", disait ne pas accepter un dessin de type croquis ou storyboard, et avoir besoin d'un beau dessin, de belles couleurs, en vous citant en particulier...
Je pense que nous partageons le besoin d'une émotion transmise par le dessin, et qu'un "beau dessin" est probablement davantage à même de la traduire qu'un petit croquis vite fait, mais un dessin rapide et concis peut être chargé d'émotions et d'énergies bien plus qu'un dessin réalisé pendant des heures... Un dessin, qu'il soit détaillé ou jeté, en couleur ou en noir et blanc, doit aller à l'essentiel et être "riche" de narration. La Femme accident comme La Douceur de l'Enfer peuvent être considérés comme des romans graphiques, par leurs thèmes mais surtout dans une forme qui tente réellement d'associer la rencontre et l'équilibre de deux genres particuliers : le texte et le dessin. "Émotion" est d'ailleurs, à mon sens, le mot le plus important qui doit guider un auteur de BD dans la manière d'aborder son travail et dans son évolution.

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
09/09/2013