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Entretien avec Didier Conrad et Jean-Yves Ferri

Didier Conrad

Didier Conrad
© Albert-René 2013

Jean-Yves Ferri

Jean-Yves Ferri
© Albert-René 2013

« La difficulté est de respecter l'œuvre et de lui donner vie tout à la fois. » 

Événement ! Le 24 octobre prochain paraît Astérix chez les Pictes : avant de découvrir vendredi prochain une interview d’Albert Uderzo, Brieg F. Haslé, éditeur délégué d'Auracan.com, a proposé aux repreneurs de la série de composer leur « Abécédaire Astérix ». La parole est à Jean-Yves Ferri et Didier Conrad…

A comme Astérix et Obélix et comme Albert (Uderzo)…
Jean-Yves Ferri 
: Astérix est une série que j'ai toujours connue. Enfant, le dessin des sandales des Romains qui se dévissent m'impressionnait beaucoup... Lors de notre premier rendez-vous, j'ai apporté à Albert Uderzo mon Astérix légionnaire d'époque, celle où j’avais huit ans. C’est un cadeau précieux que l’on m’avait fait parce que j’avais certainement dû être très sage ! Aujourd’hui, l’album est rescotché de partout, et il a bien voulu le signer. De précieux, il est devenu inestimable à présent !
Didier Conrad 
: J'ai rencontré Albert Uderzo alors que le projet était déjà bien avancé. J'avais réalisé l'entièreté de l'album en crayonnés. En fait, j'ai rencontré toute l'équipe à ce moment-là. Je ne connaissais pas non plus Jean-Yves Ferri. Les échanges professionnels et techniques ont toujours été relayés par l'éditeur responsable chez Albert-René. Il n'y a pas eu de contacts privés à proprement parler entre Uderzo et moi, même si je fréquente ce Monsieur depuis mes plus jeunes années de dessinateur car j’ai toujours apprécié le style de son dessin, très humoristique. En fait, je l’ai rencontré en mars 2013. À peine débarqué de Los Angeles où je réside, nous nous sommes rendus chez lui avec Jean-Yves. En toute sincérité, j’avais le trac, j’étais un peu béat et tout timide, et ce, toute la soirée. De cette rencontre, je puis seulement dire qu'Uderzo est un artiste d'une grande intégrité et d'une très grande gentillesse. 

Extrait d'Astérix chez les Pictes

Extrait d'Astérix chez les Pictes © Albert-René 2013

S comme Scénario…
Jean-Yves Ferri 
: Pour rigoler, j’aime bien dire que pour écrire un Astérix, il suffit de partir de la scène du banquet, d’imaginer la case qui précède et ainsi de suite sur 44 planches pour arriver au début. Rien de plus facile ! Plus sérieusement, la méthode pour scénariser un Astérix n'existe pas vraiment. On essaie de retrouver ce qu'on aimait dans la série, et d'imaginer l'album inconnu, celui qu'on n'avait pas dans sa collection. Astérix est allé partout, il a tout fait ! Ce n’est pas facile de trouver des intrigues qui intéressent les lecteurs. Et les histoires d’Astérix sont finalement très techniques, c’est très compliqué d’imaginer une intrigue qui se déroule naturellement sur l’ensemble des pages de l’album et créer beaucoup de gags au fur et à mesure des cases. Non, ce n’est pas facile !

© Albert-René 2013

Astérix ches les Pictes
couverture provisoire
© Albert-René 2013

Astérix chez les Pictes, la couverture dévoilée le 2 octobre dernier

couverture d'Astérix
chez les Pictes
dévoilée
le 2 octobre dernier
© Albert-René 2013

Didier Conrad : Je réalise au fur et à mesure ce que cela représente. Astérix est un mythe, c’est la série française la plus connue dans le monde. C’est une pression. Je suis extrêmement fier que mes tests aient plu à Albert Uderzo. Au début, l'exigence pratique des délais, et les attentes artistiques d'Albert et de Jean-Yves, m'ont conduit à me concentrer sur la faisabilité et la réalisation du livre. L'album fini, je m'applique à récupérer de l'effort fourni. Et je constate à quel point il est attendu par les lecteurs, des mois avant sa sortie. C'est très surprenant dans le contexte d'aujourd'hui, avec le nombre de nouveautés qui se bousculent en BD, romans, films, jeux vidéos et j'en passe.

T comme Technique et Trame narrative…
Didier Conrad 
: Chaque fois que je change de style, la plus grande difficulté est de mettre les réflexes du style précédent en "veilleuse". Une façon d'y arriver est de trouver une nouvelle routine de travail, une autre est de changer d'outils... Puis viennent l'entraînement, la pratique, acquérir de nouveaux gestes. Il faut aussi former son "œil" pour sentir le style. Il est pratiquement impossible de construire un style image par image si on ne l'intériorise pas. La clé est d'aimer dessiner un style. Dans le cas d'Astérix, comme j'ai toujours beaucoup aimé le style d'Uderzo, ça a été un vrai plaisir de l'étudier en profondeur.
Jean-Yves Ferri 
Astérix chez les Pictes est une sorte de conte nordique. Astérix et Obélix vont chez les Pictes, les ancêtres des Écossais. La destination est importante car l’Écosse est un pays riche de traditions, et de clichés bien sûr. Je suis vraiment tombé amoureux de ce pays lorsque j’y suis allé. Les gens sont de bons vivants, sympathiques, cultivant les plaisirs simples comme la nourriture. Une culture pas très éloignée de nos Gaulois. Pour l’histoire, Astérix et Obélix vont aider un Picte et vont donc devoir voyager jusque chez lui. Et là, que des surprises inattendues ! Ah oui, un scoop quand même : il y aura aussi des baffes et des calembours... 

Extrait d'Astérix chez les Pictes

Extrait d'Astérix chez les Pictes
© Albert-René 2013

É comme Émotion
Didier Conrad 
: Avant d'être auteurs, Jean-Yves et moi étions des lecteurs de BD. C'est l'idée qui nous a portés tout au long des pages : retrouver l'émotion ressentie en tant que lecteurs d'Astérix. J’ai le souvenir d’avoir eu, petit, un album des aventures d’Astérix en cadeau par ma mère parce que j’étais malade et qu’elle savait comment me réconforter. Astérix a bercé mon enfance. Il est évident que notre motivation était de n’oublier aucun des ingrédients qui nous plaisaient et qui nous plaisent encore dans la série.
Jean-Yves Ferri 
: On éprouve une sorte de responsabilité à reprendre Astérix. On songe aux nombreux lecteurs qui comptent sur nous, mais surtout au plaisir qu'on a éprouvé soi-même, enfant, en le lisant. Va t-on être à la hauteur ? On dort peu, on a mal à l'estomac, on se relève la nuit pour cueillir du gui, on se laisse pousser des tresses... 

R comme René (Goscinny) et Reprise…
Jean-Yves Ferri 
: On se sent tout petit à côté de René Goscinny, surtout quand on relit d'un œil neuf ses albums. Il est rare d'allier, comme lui, le sens de l'aventure et celui du gag millimétré. Ses personnages "existent" pour de bon. Prenez Obélix dans Le Chaudron et regardez son trac au moment d'interpréter un rôle au théâtre. C'est parfaitement juste et ça nous fait rire parce que ça nous touche...
Didier Conrad 
: J'aborde l'univers d'un artiste avec respect. Dans le cas particulier d'Astérix, la responsabilité est écrasante et il ne s'agit pas d'abimer quoi que ce soit, les lecteurs ne le tolèreraient pas. La difficulté est de respecter l'œuvre et de lui donner vie tout à la fois. 

© Albert-René 2013

© Albert-René 2013

I comme Innovation et Inspiration…
Didier Conrad 
: Quoi que je fasse, il ressort toujours quelque chose de personnel. La réalisation d'une page passe par plusieurs étapes et la mise en scène, les attitudes des personnages, les enchaînements d'une case à l'autre sont personnels. Albert Uderzo n'est intervenu que très rarement dans ces choix.
Jean-Yves Ferri 
: Évoluer vers des thèmes contemporains sera certainement le lot des futurs albums. Ma tentative pour celui-ci était plutôt d'écrire un vrai album et non une parodie. En espérant que la surprise sera de retrouver un peu de l'esprit de cette BD mythique... c'est ma façon de dire merci à Goscinny et Uderzo, les deux auteurs de mon Astérix légionnaire tout rescotché.

X comme le mot de la fin…
Didier Conrad 
: Je suis ravi d'avoir tenté l'aventure. L'avenir dira si j'aurai la chance de la continuer, mais c'est une expérience sans précédent pour moi.
Jean-Yves Ferri 
: Ce fut une fatigante mais bonne expérience. D'ailleurs, depuis j'incite tous mes voisins et amis à faire comme moi. Je pense que tout le monde devrait écrire un Astérix. Ça développe la concision, le sens de l'observation, l'autodérision... Et puis, il n'y a pas de raison pour que je sois le seul dans le quartier à porter des tresses !

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Brieg F. Haslé
07/10/2013