Auracan » Interviews » Entretien avec Olivier Jouvray

Entretien avec Olivier Jouvray

Olivier Jouvray © DR

Olivier Jouvray © DR

« Écrire des histoires différentes
de différentes manières »

Un pied en 1917 avec Lincoln (Paquet), l'autre en 2060 Au royaume des aveugles (Le Lombard), la tête sur les épaules et au présent dans La Revue dessinée... voilà la gymnastique à laquelle se livre le scénariste Olivier Jouvray à l'occasion de sa copieuse rentrée. Ça vous paraît compliqué ? L'auteur explique à Auracan comment s'y mettre... et avec le sourire s'il vous plaît !

Lincoln, avec Le Démon des tranchées (Paquet), atteint son huitième tome. 8 albums, à l'heure actuelle, c'est presque une série fleuve...

Quand on a commencé Lincoln avec mon frère Jérôme, voici dix ans, on n'imaginait pas une telle longévité. On est assez admiratifs de voir que certaines séries perdurent en conservant leur qualité, et pour Lincoln et nous, même si on en est qu'à un petit fleuve, oui, c'est plutôt réjouissant.

En faisant débarquer Lincoln en France pendant la Première Guerre mondiale, ne craigniez-vous pas d'être assimilé à une "vague du centenaire" que l'on commence à percevoir chez les éditeurs ?

Lincoln : Le démon des tranchées © Jouvray & Jouvray / Paquet

extrait de Lincoln T8 : Le Démon des tranchées
© Jouvray - Jouvray / Paquet

Franchement, on n'y a pas pensé du tout, et si on avait voulu être opportunistes, on aurait attendu 2014 pour que l'album sorte (rires). Depuis le début, on a voulu conserver une vraie liberté dans Lincoln, et on s'est fixé très peu de limites afin d'expérimenter pas mal de choses. On en profite au mieux.

Mais dans un contexte historique précis, un aspect relativement peu connu de la Grande Guerre...

Oui, et qui chronologiquement pouvait convenir pour succéder au tome précédent. Les Américains ont débarqué à Saint-Nazaire en juin 1917, une "opération secrète" pour laquelle les arrivants avaient prévu d'entrer en ville... après la fermeture des usines afin d'être vus par un maximum de population

CNN n'était pourtant pas présent...

Non, mais ils soignaient déjà beaucoup leur communication ! Ensuite, ils ont préparé leur matériel et toute une infrastructure afin d'accueillir ceux qui les suivaient, et il a fallu un délai de plusieurs mois avant qu'une réelle présence américaine se remarque sur le front des combats !

Lincoln n'est pas à proprement parler une série historique. Quelle marge de manœuvre vous accordez-vous par rapport aux événements authentiques ?

On a pris dès le départ l'option de ne pas lui faire rencontrer de grandes figures historiques. Mais je me suis beaucoup documenté sur la période, afin d'enrichir le scénario. À l'époque, les soldats américains étaient très avantagés par rapport aux français, mieux équipés, mieux habillés et nettement mieux payés. Leur rapport avec les habitants était totalement différent, et ça a généré un tas de trucs que l'on retrouve dans l'album. Par contre, il existait une forte ségrégation raciale dans l'armée américaine, et de nombreux soldats US de couleur ont préféré rejoindre les troupes françaises. J’ai profité de tous ces éléments pour développer mon histoire.

Le bureau du scénariste... © Olivier Jouvray

Le bureau du scénariste... © Olivier Jouvray

Autre album tout récent, avec Fred et Greg Salsedo, Trompeuses apparences, tome 2 d'Au royaume des Aveugles (Le Lombard), dans un univers complètement différent. On avait découvert votre association à travers l'intimiste et très beau Nous ne serons jamais des héros (Le Lombard), qu'est-ce qui vous a amené à aborder ce mélange de SF et de thriller ?

L'envie de changer et, peut-être, pour moi, d'une certaine manière, de me mettre en difficulté. Quand nous avons entrepris Nous ne serons jamais des héros, Fred Salsedo désirait sortir de Ratafia et se diriger vers quelque chose de plus... épais. Avec Au royaume des aveugles, je profite de mon côté un peu geek pour imaginer, à partir de certaines recherches technologiques bien réelles, ce que pourrait nous proposer demain. C'est un exercice difficile mais très intéressant d'imaginer le monde dans 50 ou 60 ans. L'aspect thriller, justement,  je ne l'avais jamais testé, mais c'est un genre très codifié et complexe. Je ne peux pas me louper là-dessus ! Ca rejoint une démarche personnelle générale. Je n'ai pas envie de faire toujours la même chose et varier les genres me permet d'écrire des histoires différentes de différentes manières.

Extrait de Au Royaume des Aveugles T2 © Salsedo & Jouvray / Le Lombard

extrait de
Au Royaume des aveugles T2
© Salsedo - Jouvray
/ Le Lombard

Au royaume des aveugles se limitera-t-il à un triptyque, ou s'agit-il d'un premier cycle d'une série plus vaste ?

Il s'agit d'un triptyque, défini dès le départ. L'histoire se terminera avec le tome 3.

Vous signez Lincoln avec votre frère Jérôme Jouvray au dessin et des couleurs réalisées par son épouse Anne-Claire Jouvray. Vous travaillez avec les frères Salsedo sur Au royaume des aveugles. Dans cette série, on s'attache à un noyau familial et aux relations entre un père, sa fille et son fils. Dans Nous ne serons jamais des héros, vous aviez également exploré les relations entre un père et son fils. Peut-on dire que pour vous la famille est une constante ?

Elle est super-importante, c'est évident. J'ai la chance d'avoir une famille très stable, un père qui pète la forme, que tout le monde s'entende bien, alors que je connais beaucoup gens qui ont des relations familiales très complexes ou même très tendues. Et j'essaye parfois de comprendre le sens de ces frictions. J'ai une fille, et donc il y a une relation père-fille qui s'entretient, qui évolue. Et puis j'enseigne à l'école Émile Cohl, à Lyon, à près de 180 élèves âgés de 18 à 22 ans. Ça fait aussi beaucoup de relations qui m'amènent régulièrement à essayer de comprendre... Et ça m'intéresse beaucoup !

Vos dialogues sonnent très justes et semblent très naturels. N'est-ce pas, paradoxalement un naturel difficile à atteindre ?

Je vous remercie pour ce compliment. Mais j'ai une grande gue... et c'est sans doute plus facile à obtenir quand on est bavard (rires) ! Mon épouse est écrivain, je lui laisse la forme plus littéraire... Non, plus sérieusement, j'essaye le plus possible de me mettre à la place de mes personnages, de voir comment agir, comment répondre à une situation donnée, et comment ils pourraient s'exprimer. Ça se rapproche également d'une partie de mon travail, voisine du théâtre, avec mes élèves. Je leur demande d'imaginer complètement une ambiance, un endroit, ses odeurs, sa météo, le moment de la journée où ils s'y trouvent, et j'essaye de fonctionner de cette manière quand je scénarise.

La Revue Dessinée et Olivier Jouvray

La Revue Dessinée et Olivier Jouvray © DR

Le démarrage de La Revue Dessinée complète ausi votre rentrée, déjà bien remplie...

Le premier numéro est bouclé dans sa version papier, mais les deux suivants sont en cours d'élaboration. J'y assurerai une chronique d'anticipation ainsi qu'un reportage sur l'histoire de la démocratie. Et, encore mon côté geek, je travaille beaucoup sur la version numérique, l'application Ipad... ces aspects-là. Encore une nouvelle expérience, différente des précédentes, mais j'aime ça !

Chronique de Au Royaume des Aveugles T2 Lincoln T8
Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
17/09/2013