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Entretien avec Benoît Feroumont

Benoît Feroumont © Pierre Burssens

Benoît Feroumont
© Pierre Burssens / Auracan.com

« Ne pas attiser la curiosité
du consommateur de porno »

« Contenu coquin pour adulte coquin » : qui aurait parié voir un jour apparaître un autocollant portant cette mention sur un album Dupuis ? Elle s'avère pourtant nécessaire pour Gisèle et Béatrice, d'autant plus que ce petit bouquin, signé Benoît Feroumont, explore une thématique bien différente de celle de son très apprécié Royaume tous publics. Également responsable de la partie belge de l'animation du prochain Astérix, Benoît Feroumont a, malgré un planning très chargé, pris le temps de répondre aux questions d'Auracan.

Du Royaume à Gisèle et Béatricevous avez franchi un grand pas. Qu'est-ce qui vous a amené à le faire ?

Gisele alias Georges © Benoit Feroumont / Dupuis

Gisele alias Georges
© Benoit Feroumont / Dupuis

Comme je l'explique dans la postface de Gisèle et Béatrice, c'est un appel lancé par la sexologue québécoise Jocelyne Robert, en réaction aux dégâts causés par la pornographie auxquels elle était confrontée lors de ses consultations. Lors d'une émission radio, elle a lancé cet appel aux artistes pour qu'ils s'emparent de l'érotisme et le représentent, afin de ne pas laisser la sexualité livrée aux pornographes. Comme, de mon côté, et de celui de nombreux confrères, il m'arrive de réaliser de temps en temps un dessin de nu ou érotique et que j'apprécie cela, l'idée a fait son chemin progressivement. Il y a eu des petites histoires sur mon blog, des conversations autour de cela avec ma compagne, et finalement l'idée du bouquin a été lancée, soutenue avec enthousiasme par Sergio Honorez [directeur éditorial de Dupuis, ndlr]. Au départ, on imaginait plusieurs histoires, puis j'en suis revenu aux 20 premières planches, avec une histoire centrée sur deux personnes, à la fois histoire d'amour et critique sociale. À cette période, on parlait beaucoup des parachutes dorés, des scandales des traders, il y avait ces discours arrogants de représentants de ce que l'on a nommé la droite décomplexée et qui comportaient régulièrement des vannes au sujet des femmes... J'ai eu envie de mettre un de ces bonshommes face à une femme, Béatrice.

Béatrice et  Georges © Benoit Feroumont / Dupuis

Béatrice et Georges © Benoit Feroumont / Dupuis

Pour l'amener à un changement de point de vue ?

D'abord à une prise de conscience de la disparité hommes-femmes, des inégalités qui existent toujours dans de nombreux domaines, même si je ne suis pas convaincu qu'une femme en position de pouvoir se comporterait de manière très différente d'un homme.

émoi au bureau © Benoit Feroumont / Dupuis

émoi au bureau © Benoit Feroumont / Dupuis

Vous attribuez à Gisèle un accent "kholdave", est-ce pour évoquer l'exploitation des "filles de l'Est" ?

C'est un cliché, mais oui, il fallait installer Georges dans la peau de ce personnage, la fille à qui on a promis une carrière de danseuse en Europe, avec toutes les caractéristiques physiques correspondant à ce qui est recherché sur... le web porno !

croquis © Benoît Feroumont

croquis © Benoît Feroumont

couverture © Benoît Feroumont

 

Par rapport à cette volonté de sensibilisation ou de dénonciation, la mention « contenu coquin pour adulte coquin » n'est-elle pas réductrice ?

Elle ne me dérange vraiment pas. Il y a eu pas mal de débats, autour de ce projet, avec, en premier lieu, pour Dupuis et son image, la pertinence ou pas de le publier. Une fois le principe accepté, il fallait absolument le différencier du Royaume, tous publics et publié dans Spirou. On devait à tout prix éviter la confusion, et pour que ce soit vraiment clair, un gros travail a été effectué pour caractériser l'objet. Il s'agit bien d'un album Aire Libre, mais d'un petit format, sous étui, et dont la présentation a été étudiée avec le studio Spéculoos, des graphistes qui travaillent habituellement sur des livres d'art. On voulait éviter tout côté vulgaire ou grivois, et surtout ne pas attiser la curiosité du consommateur de porno. J'aime bien l'objet, il correspond à son contenu que j'espère amusant, pertinent et rigolo, et il peut facilement se glisser dans un sac à main !

Ce contenu coquin est une "première" chez Dupuis. Cela vous inspire-t-il un sentiment particulier ?

Franchement, non. Je ne me suis pas dit que je serais le premier à amener du sexe dans le catalogue Dupuis ou ce genre de chose. Le bouquin a convaincu l'éditeur, c'est l'essentiel, et je suis ravi du traitement dont il bénéficie et des réactions qu'il provoque.

Benoît Feroumont © Pierre Burssens

Benoît Feroumont © Pierre Burssens / Auracan.com

Vous nous avez fait découvrir un trailer animé du Royaume, or les bases de cette série ne viennent-elles pas, justement, d'un projet destiné à l'animation ?

Si, pour un court-métrage animé, mais qui n'a pas abouti à l'époque. Et une grande partie du travail préparatoire effectué a servi de base à la BD. Aujourd'hui, d'une certaine manière, la boucle est peut-être en train de se boucler. Il est possible que l'on aille plus loin que ces 45 secondes, mais dans ce type de projet, si une étape coince, généralement c'est l'ensemble qui meurt. Ce trailer représente déjà plusieurs étapes de franchies, il faut maintenant convaincre les chaînes de télé que ce beau, ce formidable projet médiéval manque cruellement à leurs grilles de programmes et... qu'elles devraient absolument investir dessus !

Projet d'animation © Benoît Feroumont

projet d'animation © Benoît Feroumont
photo © Pierre Burssens / Auracan.com

Gisèle et Béatrice, le projet d'animation du Royaume, votre responsabilité au niveau de la partie belge de l'animation sur le futur long métrage animé d'Astérix...  Comment parvenez-vous à combiner tout cela ?

Je parviens à déléguer un peu, mais depuis le début du travail sur Astérix, j'ai l'impression que ma vie a subi une fameuse accélération et que tout va très vite. Il y a six mois, je passais de longues journées dans mon atelier, à la maison... mais comment refuser de telles opportunités ? Ceci dit, le contenu de l'album Gisèle et Béatrice était bouclé début 2012, mais les débats que je vous ai évoqués ont pris du temps et la programmation de publication a été retardée une ou deux fois. Je tiens aussi à préciser que le rendez-vous de l'album annuel du Royaume sera honoré en mai, avec un recueil des gags en une page publiés dans Spirou, que je suis en train de compléter. Après Astérix, j’aimerais vraiment consacrer une année entière à la BD.

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Pierre Burssens
24/09/2013