Entretien avec Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault
« Écrire le livre que nous avions envie de lire »
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Parmi les nombreuses publications portant l'étiquette des 75 ans de Spirou, La véritable histoire de Spirou fait figure d'incontournable. Beau livre consacré à la BD, il s'agit aussi d'un ouvrage historique. L'histoire d'une famille et d'une entreprise au coeur d'une région. La véritable histoire de Spirou devait initialement se décliner sur 300 pages, or celles-ci ont à peine suffi à évoquer la genèse et les dix premières années de cette formidable aventure. Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, ses auteurs, travaillent aujourd'hui au deuxième volume de cette somme, comme ils nous l'ont expliqué, d'une seule voix, en interview.
Quelle a été votre méthode de travail pour réaliser un tel ouvrage ?
Il s'agit d'une enquête, nous voulions raconter l'histoire de Spirou via ses aspects humains. Plutôt que de partir des albums, nous nous sommes attachés aux personnes se trouvant dans le sillage du personnage, et nous avons recherché un maximum de témoins. Il en reste peu d'il y a 75 ans, mais nous avons eu la chance de bénéficier de l'aide de la famille Dupuis, retirée de l'édition depuis 1986 et la vente de la société. Pour les petits-enfants de Jean Dupuis, qui sont quasi nés dans l'imprimerie, qui ont couru dans ses couloirs et ont côtoyé les plus grands dessinateurs, c'était l'occasion de remettre tout un passé en lumière, et de nous sensibiliser à ce qu'était l'esprit de la maison Dupuis. Nous avons également utilisé tous les documents écrits que nous avons pu rassembler...
 Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault © Pierre Burssens / Auracan.com |
En lisant votre livre, on mesure qu'il s'agit d'un travail colossal. L'envisagiez-vous de cette manière dès le départ ?
Non, l'idée de départ, c'était un volume unique de 300 pages. On a commencé à y travailler voici 3 ans, et au bout de quelques mois on a réalisé que ce serait vraiment beaucoup trop limité. Pour ce premier tome, nous avons établi une liste de plus de 100 témoins. Il a fallu les retrouver, les contacter, les rencontrer... Nous avons lancé des appels dans la presse, nous nous sommes parfois retrouvés dans des impasses, alors qu'à d'autres moments, c'était comme tirer sur un fil, les contacts s'enchaînaient, les choses semblaient presque se mettre en place toutes seules. Ce sont les petits miracles de certaines rencontres... et nous travaillons de la même manière pour le tome 2. Si nous vous disons 10 000 mails échangés, 30 000 km parcourus, ça ressemble au générique d'Astérix et Cléopâtre, mais nous en sommes là, avec un énorme volume d'informations à gérer et un très important background non publié.
 Bertrand Pissavy-Yvernault |
Dans ces conditions, pouvez-vous définir un nombre de volumes à La véritable histoire de Spirou ?
Nous récoltons les informations au jour le jour et il est très difficile d'établir un plan. Ce deuxième volume devrait couvrir une période de 10 ou 12 années, mais actuellement nous travaillons sur le fameux voyage aux USA et au Mexique de Jijé, Franquin et Morris et cet épisode représente déjà de très nombreuses pages. Nous pensons que les choses devraient être un peu plus faciles en se rapprochant de l'époque actuelle, les témoins plus nombreux, les écrits aussi, mais on ne peut présager de rien. Nous devons aussi prendre en compte les impératifs éditoriaux. Le tome consacré à la période 1937-1946 rencontre un très bel écho public, même au-delà de nos espérances, mais cela reste un type d'ouvrage assez pointu et relativement onéreux...
 Christelle Pissavy-Yvernault |
Vous êtes des passionnés, des "Spiroulogues", une telle recherche vous a-t-elle malgré tout réservé des surprises ?
Énormément, une succession de bonnes surprises et d'informations inattendues, et croyez bien qu'à côté de la masse de travail, il y a surtout le plaisir de défricher, de découvrir... C'est ce qui nous a permis d'écrire le livre que nous avions envie de... lire. On peut y ajouter une dimension affective forte, des rencontres, des destins, et grâce à l'apport de tous ces acteurs, leur travail, leurs idées, leurs talents, on comprend qu'une part de Spirou est faite de chair et de sang.
Vous évoquez vos recherches, vos rencontres, mais qu'en est-il des archives Dupuis ?
Les archives de l'entreprise sont essentiellement composées de ses publications. De plus, le siège de Dupuis a déménagé plusieurs fois, et des documents ont certainement été perdus ou éparpillés lors de ces déménagements. Beaucoup de choses manquent. De manière beaucoup plus large, et non limitée au monde de l'édition, il faut aussi souligner que la perception de l'intérêt pour le patrimoine est assez récente.
Quand vous parlez d'esprit Dupuis, comment le caractériser ?
Il a plusieurs aspects. Jean Dupuis, le fondateur, a donné une dimension humaniste à la gestion de l'entreprise, alors que Charles Dupuis a insufflé l'esprit familial de Spirou. Ces valeurs sont restées très présentes, et quand la famille a dû vendre la société, c'était dans la douleur. L'image qui en a été donnée dans la presse était caricaturale, on y parlait de fric alors qu'on aurait dû y parler d'amour. Ces aspects-là nous ont beaucoup touchés. Nous avons travaillé avec d'autres éditeurs, mais à Marcinelle [siège historique et... actuel des éditions Dupuis, ndlr] il y a une âme, un réel attachement à la maison et à ses racines. Et dans la région de Charleroi (B) on a été surpris par les liens affectifs qui existent avec Dupuis, pas seulement parce que beaucoup de gens ont lu Spirou, mais chacun ou presque connaît quelqu'un qui travaille ou a travaillé chez Dupuis.
Avez-vous percé le secret de la longévité de Spirou ?
Sa capacité à se renouveler ! Spirou n'est pas la création d'un seul artiste. Dès le départ, il est composé de l'apport de différentes personnes, et au cours de son histoire, chaque équipe qui l'a animé lui a apporté quelque chose de différent, jusqu'à la collection Le Spirou de... qui dévoile des signatures différentes et autant de facettes du personnage.
Propos recueillis par Pierre Burssens en septembre 2013
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