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Entretien avec David Sala

« Chaque projet demande un temps de maturation »

Avec Cauchemar dans la rue, adaptation d'un roman de Robin Cook* dans la collection Rivages/Casterman/Noir, David Sala nous immergeait - mais de très belle manière - dans un univers particulièrement sombre et désespéré. Nicolas Eymerich inquisiteur (adaptation des livres de Valerio Evangelisti scénarisée par Jorge Zentner, Delcourt) et Replay (avec le même scénariste, Casterman) ne respiraient pas, eux non plus, la légèreté et l'optimisme.

Pourtant, c'est au cours d'un récent salon du livre jeunesse que nous avons rencontré David Sala. Le dessinateur a, en effet, plus d'une corde à son arc et la noirceur de ses cases BD contraste avec la luminosité de ses illustrations jeunesse. David Sala appelle cela son grand écart et l'évoque pour Auracan.

Robin Cook disait que pour écrire ses romans, dont certains qu'il nommait ses « romans de deuil », il fallait qu'il les vive, qu'il se plonge dedans, et qu'après il avait beaucoup de difficultés à sortir de cet univers...

Peut-être parce que cet univers fait aussi partie de nous. Dans Cauchemar dans la rue, il y a des éléments à première vue quasi antinomiques qui se côtoient, et c'est cette cohabitation qui leur donne de l'intérêt. Ce contraste est présent dans tout le livre, la violence, le sexe le plus cru et, à côté, un amour absolu proche de la poésie. On est tous relativement habités par des choses extrêmes, c'est humain et ça participe à la richesse des êtres.

Et vous, comment vous en êtes-vous sorti ?

Je reconnais que c'est une réalisation qui a été un peu éprouvante, mais ça a été un plaisir également, parce que c'est une atmosphère qui me parle. Mon travail sur Cauchemar dans la rue a été interrompu par plusieurs albums jeunesse et ça ai fait du bien aussi...

Justement, on vous retrouve ici à l'occasion d'un salon du livre jeunesse, avec une belle série de titres en présentation. Qu'est-ce qui vous a amené à aborder ce domaine ?

J'avais l'impresssion de tourner un peu en rond graphiquement à ce moment-là. Refaire ce que je savais faire ne me paraissait plus aussi enthousiasmant. J'avais envie de tenter autre chose, et un auteur jeunesse m'a sollicité il y a un peu plus de 3 ans... Je voulais évoluer, mais je ne sais pas si je mesurais complètement le chamboulement graphique par lequel j'allais passer.

Est-ce compliqué de faire simple ?

On peut dire ça. Il faut épurer, se débarrasser d'habitudes bien installées, apprendre à travailler en fonction de stuctures nouvelles. En littérature jeunesse, les ressorts sont différents de ceux de la BD. C'est un processus qui a pris plusieurs mois. Quand je mesure tout ce changement, je trouve qu'il y a quelque chose d'un peu effrayant, mais pour moi c'était une prise de risque nécessaire pour évoluer.

Comment travaillez-vous aujourd'hui ? Alternez-vous un projet BD et un projet jeunesse ?

Non, je n'ai pas de schéma préétabli. Le volume de travail est différent et généralement un projet BD est nettement plus long à mettre en place qu'un projet jeunesse. Pour moi, il est nécessaire de créer un sas d'un projet à l'autre, car la manière même d'aborder l'un ou l'autre domaine est complètement différente. L'imaginaire jeunesse me laisse beaucoup plus de liberté par rapport au texte, par exemple, qu'en BD. Mais en jeunesse, je tente d'adapter mon dessin, mon trait, à chaque univers. De plus, l'auteur du texte me laisse une entière liberté. En BD, si on travaille sur une série, cela exige forcément une constance d'un album à l'autre dans le dessin, et la relation avec le scénariste et son scenario revêt une toute autre dimension. Le sas me permet également de changer de technique en fonction des titres et de leurs univers. Pour Folles saisons, mon nouvel album avec Jean-François Chabas, j'ai utilisé la peinture à l'huile, ce qui me paraît difficilement envisageable en BD.

Peut-on parler d'une question d'équilibre ? Ou l'illustration jeunesse constitue-t-elle une forme de détente par rapport à la BD, ou inversément ?

Il y a des choses communes aux deux domaines, mais beaucoup plus d'aspects qui diffèrent. Une question d'équilibre ? Je ne sais pas. J'ai coutume d'appeler cela mon grand écart. D'autres dessinateurs BD travaillent aussi dans le secteur du livre jeunesse, mais il est vrai que, pour moi, comme il s'agit vraiment de BD adulte, le contraste qui s'exprime sur le papier est énorme. Vous conviendrez qu'il existe peu de ponts entre Cauchemar dans la rue et, par exemple, La Colère de Banshee que vous venez de feuilleter... Une détente ? Non, car chaque projet me demande un temps de préparation, je dirais même de maturation. On en revient encore au sas... J'ai porté Cauchemar dans la rue plus d'un an avant de commencer à le dessiner. Ca m'a permis de mettre en place des éléments, de résoudre des problèmes potentiels, et quand je m'y suis attelé très concrètement, une grosse partie du travail avait, quelque part, déjà été effectuée. À chaque histoire, à chaque thème correspond un univers, une atmosphère. Il est nécessaire de s'y plonger, de s'en imprégner, et puis, quand on en sort, de se réadapter avant de pouvoir aborder autre chose. Et j'essaye de le faire de la manière la plus sincère possible. Mais je reste un dessinateur de BD avant tout. Mon arrivée dans le domaine du livre jeunesse est encore relativement récente... J'ai d'ailleurs le plaisir de vous annocer que ma première BD publiée, Replay, chez Casterman, sera rééditée sous forme d'intégrale dans le courant de l'année prochaine.

 Qui dit salon dit dédicaces...

Je suis ici pour cela ! Évidemment, il s'agit d'un autre public, et le rapport avec lui est différent. En BD, je rencontre des adultes, souvent des spécialistes, et les questions qu'ils me posent sont généralement assez pointues ou techniques. En illustration jeunesse, j'accueille des enfants et... beaucoup de parents. Il s'agit d'une autre approche, avec moins de questions, mais plus d'émerveillement !

Pouvez-vous nous parler de futurs projets BD ?

Il y a plusieurs choses en cours, ce n'est pas encore suffisamment avancé pour les évoquer, mais c'est dans le domaine de la BD qui reste très clairement ma grande passion. Je mesure cependant que je devrai partager mon temps entre les deux pôles de mon grand écart, car l'illustration jeunesse a pris plus de place que je ne l'imaginais en y débutant.

* Attention, le Robin Cook dont il s'agit ici est l'écrivain britannique, et non l'auteur américain des « thrillers médicaux ». À cause de cette homonymie, Robin Cook choisit de publier sous le pseudonyme de Derek Raymond, alors qu'en France il continua d'être édité sous son vrai nom, ce qui créa une certaine confusion...

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Pierre Burssens
28/10/2013