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Entretien avec Erik Arnoux

Erik Arnoux © Manuel Picaud / auracan.com

Erik Arnoux © Manuel Picaud / 2013

« Encore un peu plus envie que ça marche que dans un contexte traditionnel…»


Au cœur d’une BD, il y a une histoire, une intrigue. Mais l’album que vous lisez a, lui aussi, son histoire. Quand un auteur chevronné, Erik Arnoux, s’associe à un dessinateur jusqu’ici inconnu, David Morancho, ça peut déboucher sur un excellent triller, comme Pinky Princess, tome 1 de la série Sara Lone. Quand la publication de celui-ci résulte du financement participatif d’édinautes passionnés, au thriller s’associe une belle aventure pas vraiment de tout repos, comme nous l’explique Erik Arnoux.

Sur votre blog vous dévoilez un attachement tout particulier à Pinky Princess, quelle en est la raison ?

Il s’agit d’un album assez spécial, le premier pour lequel j’ai travaillé avec le système de crowdfunding développé par Sandawe, une expérience intéressante abordée voici trois ans et qui m’amène probablement à me sentir plus investi envers les lecteurs. Un éditeur traditionnel choisit votre projet et finance le bouquin. C’est son boulot, et je dirais, sans doute moins personnel. Ici, en financement participatif, la sortie de l'album résulte de l’investissement de petites sommes par de nombreux passionnés qui ont suivi son élaboration et avec lesquels vous avez eu des contacts. Ils misent sur un projet auquel ils croient, c’est une marque de confiance, et peut-être qu’envers cela on a encore un peu plus envie que ça marche que dans un contexte d’édition traditionnelle.

N’est-ce pas aussi une pression supplémentaire ?

Évidemment, car il y a l’attente du financement. Certains projets avancent plus vite que d’autres, certains genres séduisent plus les édinautes. La BD n’est pas dans une période facile, loin de là. J’ai ma carrière, mon expérience, une grosse trentaine d’albums derrière moi, mais pour un dessinateur débutant, il y a de quoi flipper ! Dans ce cadre, le crowdfunding a ses avantages, peut représenter une solution, mais ne simplifie pas les choses. Croyez-moi, j’ai dû expliquer le système à David Morancho, lui faire comprendre et… le convaincre. C’était heureusement un peu moins difficile pour moi.

David Morancho est un nouveau venu et son dessin dans ce premier tome de Sara Lone constitue une belle révélation. Comment l’avez-vous rencontré ?

Par le biais de forums BD sur lesquels il rôdait voici quelques années. Comme beaucoup de dessinateurs espagnols il rêvait de débarquer dans le monde de la BD franco-belge. On a pas mal échangé, discuté. Je pensais à lui pour une reprise de ma série Celadon run, ou plutôt une spin-off, car la série avait souffert de plusieurs changements de dessinateurs en cours de route. Puis j’ai signé au Lombard pour dessiner Ava dream et on s’est un peu perdus de vue. Il m’a recontacté en 2009, je lui ai proposé plusieurs pitchs, des débuts d’histoires. Il avait envie de dessiner des bateaux, et je crois que c’est un reportage de Thalassa sur ces pêcheurs du golfe du Mexique qui m’a amené à aborder cet environnement. On a présenté deux planches d’essais, leur coloriage et le synopsis aux directeurs de collection des grands éditeurs traditionnels et… tous ont refusé ! Mais je reconnais qu’ils ne pouvaient pas deviner les qualités de l’album actuel à ce moment-là. Le projet n’était pas assez abouti globalement, et le dessin de David a évolué énormément depuis.

D’où Sandawe ?

Même pas ! J’avais découvert Sandawe sur le net et j’avais envie de travailler à nouveau avec Chrys Millien (Witness 4), mais j’ai envoyé un dossier général à Patrick Pinchart (ndlr : directeur et fondateur de Sandawe), avec, là aussi, différents pitchs, différentes idées, dont quelques lignes au sujet de Sara Lone… Il m’a rapidement répondu qu’il aimait beaucoup ce projet. Sans trop y croire, j’ai rappelé David, et on a remis tout ça en route. Pinky Princess a été proposé aux édinautes en juin 2011 et financé en février 2012, ce qui est rapide pour Sandawe, et le deuxième tome de Sara Lone, qui s’intitulera Carcano Girl est totalement financé, suivant le même principe, depuis la semaine dernière.

Se dirige-t-on vers un diptyque ?

Non, Sara Lone a été conçu et pensé en quatre tomes qui correspondent  aux quatre années de l’intrigue, de 1960 à 1963 pour aboutir à l’assassinat de JFK, auquel je m’intéresse depuis longtemps. David n’était pas trop chaud au départ, mais au fur et à mesure de l’avancement des choses, il a retrouvé son enthousiasme. Chez Sandawe, on nous encourageait plutôt à ramener ça en deux tomes, mais on a pu convaincre. On doit maintenant assurer le rythme d’un album par an. Le deuxième étant financé, nous disposons d’une certaine marge, mais j’espère que le tome 3, The sniper lady, ne tardera pas à être proposé aux édinautes pour pouvoir poursuivre dans cette dynamique et les rassurer, ainsi que les lecteurs, sur la continuité de la série. J’ai connu l’interruption brutale de certaines de mes séries chez d’autres éditeurs, et c’est quelque chose de déplorable tant pour les auteurs que pour les lecteurs.

Même s’il s’agit d’une époque relativement proche, on ressent et on constate en découvrant Pinky Princess que David et vous vous êtes attachés à la recréer très soigneusement…

Effectivement, nous disposions d’une documentation assez dense au départ, mais nous avons bénéficié de l’aide d’un documentaliste pour plusieurs éléments. Cette personne travaille notamment avec des maquettes qui ont été précieuses pour la réalisation de certains décors. David s’est également attaché à retrouver certaines choses qui peuvent passer pour des détails mais qui contribuent à cette image d’authenticité. Un billet de bus Greyhound, des affiches, la marque de Whisky que boit le père de notre héroïne et son étiquette… Cependant, j’imagine que des spécialistes pourraient trouver certains anachronismes, mais nous ne faisons pas œuvre d’historiens !

Vous évoquiez Chrys Millien. Une intégrale de Witness 4 n’est-elle pas proposée aux édinautes de Sandawe ?

Si, et j’espère qu’elle attirera leurs suffrages ! Il y avait là aussi quatre albums prévus initialement pour Witness 4, et Soleil a arrêté la série à la fin du troisième. Normalement cette intégrale complètera l’histoire avec une douzaine de planches inédites, et une vingtaine de dessins qui n’ont jamais été montrés qui illustreront un copieux dossier. Il s’agira d’un bouquin imposant, et en travaillant dessus j’ai ressenti l’envie de relancer cette série…

Peut-on parler d’un projet précis ?

Non, c’est trop tôt. Certaines choses se mettent en place, j’ai envie de revenir au dessin, et de ce côté il y a une idée de reprise et une de spin-off, mais il est trop tôt pour en parler. De plus, nous avons beaucoup travaillé avec David sur Sara Lone, le tome 1 Pinky Princess est sorti et notre priorité est de le faire connaître, apprécier... et de le faire vivre !

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Pierre Burssens
11/11/2013