Entretien avec Thomas Von Kummant
« J’essaye de penser comme un réalisateur de films… »
« Les règles sont essentielles pour survivre dans la zone de danger, même un enfant sait cela. Jusqu’à ce qu’il devienne adolescent… » Mieux qu’un pitch, ces deux phrases caractérisent bien l’univers de Gung Ho, nouveau projet de Thomas von Kummant et Benjamin von Eckartsberg (Paquet).
Après la dark fantasy de La Chronique des Immortels, les deux auteurs nous emmènent dans un univers post-apocalyptique bien particulier qu’ils nous décrivent dans Brebis galeuses , premier tome aussi imposant (80 pages) que remarquable d’une série qui en comportera cinq. Le sympathique dessinateur "Thomy" von Kummant nous en livre un guide de visite.
On a découvert votre travail avec le triptyque La chronique des Immortels (Paquet), adaptation d’un roman de Wolfgang Hohlbein. Aujourd’hui, toujours avec le scénariste Benjamin von Eckartsberg, vous développez votre propre univers avec Gung Ho . Quel est l’exercice le plus difficile, adaptation ou création ?
Chaque type de travail présente ses avantages et ses inconvénients. Pour La Chronique des immortels, nous nous sommes immergés dans le monde de Wolfgang Hohlbein. Nous avons lu ses livres, nous avons recueilli pas mal de documentation… Nos trois albums correspondent à un premier roman, mais La Chronique des Immortels constitue une saga de fantasy beaucoup plus vaste, qui compte une dizaine de bouquins. Les BD ont été bien accueillies, plusieurs personnes nous encourageaient à développer un film ou un jeu à partir du travail que nous avions effectué, mais cet univers appartient à l’écrivain, très connu en Allemagne, et tout projet attenant devait passer par lui. C’est pourquoi progressivement nous avons décidé de terminer un premier cycle de trois albums, puis de passer à autre chose.
Pensiez-vous déjà à Gung Ho en travaillant sur La Chronique des Immortels ?
Non, pas du tout. Nous voulions achever le triptyque dans les meilleures conditions possibles, puis on a redémarré sur Gung Ho. Chaque album comportera environ 80 pages, et le premier tome récemment sorti a représenté plus de seize mois de travail.
Votre graphisme est très particulier et spectaculaire. Vous nous en mettez littéralement plein la vue. Peut-on évoquer votre technique ?
Je travaille avec Photoshop. Ce choix s’est imposé à moi pour plusieurs raisons. D’une part, j’avais envie d’amener quelque chose de nouveau et de reconnaissable parmi la multitude d’albums qui existent, quelque chose de très actuel également, avec un côté assez proche de l’animation. C’est pour cela aussi que j’ai choisi d’abandonner le trait noir, l’encrage, et de privilégier la couleur. D’autre part, je ne cesse de découvrir la BD que vous connaissez, la BD franco-belge, et certains virtuoses de ce trait, en particulier. Je ne pense sincèrement pas que je pourrais faire mieux que ces surdoués ! Il est donc préférable d’amener autre chose, qui correspond pas mal au côté ado de l’histoire.
Pas de numérique en dédicace... |
Vous vous attachez également à un niveau de détail impressionnant. Ainsi, par exemple, vous créez de très beaux paysages, très travaillés, mais un tatouage sur le bras d’un personnage semble tout aussi travaillé…
Pour moi c’est une question de réalisme. Souvent, j’essaye de penser comme un réalisateur de films. Tout doit se tenir visuellement dans un film, décors, costumes, accessoires… et je tente d’appliquer cela au dessin. Mais il est clair que travailler en numérique favorise favorise cette option. Je peux conserver certains éléments, les adapter à une autre case etc. Vous parlez des tatouages, ce serait quasi impossible à réaliser en conservant ce niveau de détail avec un dessin traditionnel.
Pour poursuivre l’analogie avec le cinéma, on mesure aussi que la lumière et ses multiples nuances apporte vraiment quelque chose de différent à vos planches…
Oui, et elle a un vrai rôle dans l’histoire que nous racontons, Benjamin et moi. Il existe de nombreux films ou albums qui nous décrivent un univers post-apocalyptique très âpre, avec des décors désertiques, des villes désolées, quelque chose de vraiment très sombre… Nous, nous voulions nous détacher de cela. Si on se recentre sur les personnages principaux, l’essentiel de l’histoire est une histoire d’adolescents, avec de l’humour, un côté un peu romantique… Ca va vous surprendre, mais si on retire les palissades de la Colonie 16, les miradors, les postes d’observation sur les toits des maisons, la plupart des choses que nous racontons en ce qui concerne Zack et Archer Goodwoody et leurs relations avec les autres ados et les responsables pourraient se dérouler dans un camp de vacances. La lumière participe à cela, et à l’oubli, par les ados, des règles essentielles à la survie dans cette zone de danger.
On se trouve donc dans un univers post-apocalyptique dont l’espoir n’a pas totalement disparu ?
C’est à peu près ça, oui !
Vous dites continuer à découvrir la BD franco-belge, mais quelle est la place de la BD en Allemagne ?
Très modeste, elle bénéficie maintenant d’un intérêt qui grandit peu à peu, mais qui n’est nullement comparable à ce que vous connaissez. Assez curieusement, les jeunes s’intéressent au manga, et puis découvrent qu’autre chose existe, même si les titres traduits sont assez peu nombreux. Personnellement, plus jeune, je lisais Astérix, mais aussi Mickey Mouse ou Batman… Quand j’ai découvert le Peter Pan de Loisel, j’ai ressenti un véritable choc. Le dessin, le découpage, la manière de raconter… woaaw ! Aujourd’hui, je suis très fier d’intégrer "votre" BD, mais très surpris aussi. J’étais loin d’imaginer que des écoles enseignaient la bande dessinée ou que des musées, comme à Bruxelles, pouvaient lui être consacrés. C’est incroyable ! Personnellement, mon bagage artistique scolaire vient d’une école de mode.
En fin d’album, il y a un appel à des compositeurs pour une B.O. de Gung Ho. Vous ne préparez donc pas un revival du groupe Blue Oyster Cult ?
Ah ah ah, non… Mais on a beaucoup écouté le morceau de ce groupe, The reaper en travaillant sur la BD. Il y a la ressemblance entre reaper et nos créatures, les rippers et, au-delà, sa thématique colle bien avec notre histoire. On a donc choisi d’y faire référence en début d’album, alors que la chanson Gung Ho qui clôture ce premier tome est inédite, et a été écrite par Benjamin von Eckartsberg.
Propos recueillis par Pierre Burssens le 9 novembre 2013
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Photos © Pierre Burssens / Auracan.com
Visuels © von Kummant, von Eckartsberg / Paquet