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Entretien avec Bernard Vrancken

« Je me suis vraiment fait plaisir en travaillant à ce premier tome »

Du polar financier à un univers médiéval fantastique sombre et brumeux, il y a un énorme pas que viennent de franchir Stephen Desberg et Bernard Vrancken avec H.ell. Chevalier déchu devenu questeur criminel, Harmond Ellmander affronte des créatures fantastiques et fait face à son destin dans La mort sous toutes ses formes, premier tome prometteur de ce qui pourrait devenir une bien belle série.

Pour s'immerger dans ses ombres inquiétantes, Bernard Vrancken, tel un des multiformes mis en scène, nous révèle avec brio un style de dessin très différent de sa mise en images d'I.R.$. Une belle surprise au sujet de laquelle nous ne pouvions manquer de l'interroger.

Comment en êtes-vous venus, Stephen Desberg et vous, à aborder avec H.ell un univers aussi différent de celui d'I.R.$. ?

L'envie vient de moi, en fait. Après 14 albums d'I.R.$., j'avais envie de tenter quelque chose de neuf pour ne pas ronronner. Stephen n'est pas seulement mon scénariste, mais un ami. On se côtoie beaucoup, on joue au foot ensemble, et on discute de pas mal de choses. On en a parlé, partagé des idées et H.ell s'est précisé progressivement. Il s'agit effectivement d'un univers très différent de ce à quoi on nous associe généralement, et, ce dont je suis très flatté, c'est une sorte de projet sur mesure pour moi. Stephen s'est un peu inspiré de certains traits de mon caractère, et moi je me suis vraiment fait plaisir en travaillant à ce premier tome.

C'est une nouvelle série, mais pour vous on a envie de dire que c'est aussi un nouveau dessin...

Assez paradoxalement, je suis revenu à un dessin plus... pictural avec un trait un peu plus lâché, qui correspond assez à ce que je faisais avant I.R.$.. J'en avais envie et cet univers le permettait. Je ne me voyais pas le traiter de la même manière que les aventures de Larry B. Max. D'un point de vue technique, il faut savoir que les moyens dont on disposait au début d'IRS n'auraient pas permis une bonne restitution de planches comme celles de H.ell. D' autre part, pour I.R.$., les lecteurs demandent quelque chose de très documenté, avec une approche un peu reportage, proche de la réalité. L'imaginaire a une place beaucoup plus importante dans H.ell, ce ne sont pas les mêmes contraintes.

S'agit-il d'une remise en question ?

Projet de couverture

projet de couverture

Je ne l'ai pas du tout envisagé de cette manière. Ma vie privée était un peu chamboulée quand on a entamé ce projet, et l'option que j'ai favorisé en y travaillant était vraiment de me faire plaisir. Ca m'intéressait d'aborder quelque chose de différent avec un autre type de dessin, de développer tout ce contexte. La priorité était complètement le plaisir ! Il s'agissait d'un challenge, mais pas d'une remise en question.

On remarque le soin particulier que vous accordez aux décors et à l'architecture...

Oui, car ces éléments participent à l'atmosphère de l'histoire, et puis j'aime ça. Je me suis donc documenté, mais sans axer mes recherches sur une région précise ou une époque bien définie. D'ailleurs, au départ, Stephen situait l'histoire dans un contexte beaucoup plus oriental. Mes racines nordiques ont pris le dessus, et à l'arrivée, le résultat est assez différent de la version initiale. Ces décors contribuent aussi à l'atmosphère du récit, de même que les couleurs de MiKL qui a réalisé un très beau travail.

croquis

croquis

L'éditeur évoque Game of thrones -dont on parle beaucoup grâce aux séries télé- à propos de H.ell. Son atmosphère générale n'est-elle pas plus proche de celle du Nom de la Rose ?

Stephen a lu les romans de George Martin dont les séries télé sont tirées, j'ai lu le premier tome et entamé le deuxième. Mais tout récemment, en dessinant une scène du deuxième album, ça m'a effectivement fait penser au Nom de la Rose. Stephen connaît et aime ses classiques et ça l'a probablement influencé, inconsciemment. 

Projet de couverture

projet de couverture

L'histoire met en scène des créatures capables de changer d'apparence. Comment aborder graphiquement ces différentes apparences tout en gardant suffisamment de continuité pour que le lecteur comprenne qu'il s'agit pourtant du même personnage ?

On a travaillé le dessin et le découpage de l'affrontement final pour répondre à cela. Il s'agit d'ailleurs d'une idée bien antérieure à H.ell. Nous avions, Stephen et moi, été visiter une exposition consacrée au peintre symboliste belge Fernand Khnopff il y a quelques années. Y figurait son oeuvre la plus célèbre, Des caresses, parfois aussi appelée L'Art ou le Sphinx, où se trouve ce personnage à tête de femme mais au corps de guépard, et j'avais dit à Stephen que ce serait chouette d'incorporer ce genre de créature dans un scénario. Et il l'a fait pour H.ell. Je trouve que ce type de personnage est particulièrement intéressant. Au-delà d'une lecture au premier degré, on peut y voir une allégorie de l'animalité chez l'être humain, ou même la représentation d'une forme de schizophrénie. Et si certains êtres avaient effectivement la faculté de changer d'apparence, le feraient-ils à des fins louables ou pas ? Ca me plaît beaucoup d' aborder ce genre de réflexion, qui ramène à la nature humaine...

illustration pour un ex-libris

illustration pour un ex-libris

Et qui est peut-être une piste vers la suite de La mort sous toutes ses formes ? Ce premier album conserve, en tous cas, suffisamment de mystères pour donner envie d'en savoir plus...

Effectivement, le scénario distille cela par petites touches... Au départ d'I.R.$., Larry pouvait apparaître comme un personnage froid, contrairement à un Largo Winch, par exemple, dont on connaissait le passé quasi dès le début. Nous avons choisi de faire évoluer Larry d'album en album. On aimerait procéder comme ça pour Harmond Ellmander (H.ell), amener le lecteur à découvrir qui il est, pourquoi il a perdu son rang de chevalier... Nous devons aussi pouvoir envisager une fin d'histoire avec un second tome, car vous savez comme moi qu'il est très difficile pour des auteurs et pour un éditeur de défendre et d'imposer une nouvelle série à l'heure actuelle. Mais nous gardons espoir de pouvoir développer cet univers plus longuement, sur de plus nombreux albums et plusieurs cycles. On en a très envie, et les idées pour le faire sont là !

Nous vous le souhaitons ! Pourrez-vous mener H.ell et I.R.$. en parallèle ?

Ce sera déjà le cas pour le tome 2. J'ai demandé à Daniel Koller, qui travaille déjà sur les deux spin-off d'I.R.$., d'assurer les crayonnés du prochain épisode. De mon côté, je les retravaillerai et je les encrerai. Cela me laissera le temps de me consacrer à H.ell et, d'autre part, il me semble que c'est un beau challenge de travailler en équipe. Je ne veux décevoir ni les lecteurs d'I.R.$. ni le public de H.ell. Daniel m'a présenté ses premiers crayonnés, et je suis confiant. Je vous donne rendez-vous en 2014 pour les deux séries !

Couverture d'une édition luxe à venir (Khani éditions)

couverture d'une édition luxe en préparation chez Khani

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Pierre Burssens
04/12/2013