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Entretien avec Miles Hyman

« Chaque case doit permettre une lecture fluide,
mais j’ai aussi mes exigences graphiques !
 »

Complexe, copieux, déclinant toutes les nuances du sombre, Le Dahlia noir de James Ellroy figure au panthéon du roman policier. L’adapter en BD constituait donc un fameux défi, et réussir cette adaptation une prouesse signée Miles Hyman pour le dessin, Matz et David Fincher pour le scénario. Double événement polar et BD, cet album remarquable (Rivages/Casterman/Noir) figure sans aucun doute parmi ceux que l’on retiendra de 2013. La moindre des choses était de l’évoquer en compagnie de son dessinateur, Miles Hyman.

Chez nous, Le Dahlia noir est considéré comme un roman-culte. Qu’en est-il aux USA ?

C’est différent. Je dirais que le fait divers, à la base du livre de James Ellroy, est plus connu. D’une certaine manière, le roman a augmenté l’impact du fait divers. Plusieurs livres y sont consacrés et je crois que les gens pensent d’abord au fait divers quand on parle du Dahlia noir. Or, il s’agit d’une des composantes du roman, mais ce dernier inclut plein d’autres éléments. Ceci dit, Le Dahlia noir est considéré comme un monument de la littérature policière américaine, et James Ellroy est très connu, c’est aussi un personnage très médiatique.

Matz et Miles Hyman

Matz et Miles Hyman

On le comprend aisément pour Matz, le scénariste, mais pour vous, dessinateur, adapter une telle œuvre représentait-il un surplus de pression par rapport à d’autres projets ?

Je ne sais pas si on peut parler de pression supplémentaire, car tout projet est compliqué. Mais pour Le Dahlia noir, James Ellroy, déçu par d’autres adaptations, voulait être rassuré. Donc on lui soumettait ce qui avait été fait, on voulait surtout conserver l’esprit du roman. Matz lui a présenté son scénario écrit en anglais, puis on a pu commencer à travailler sur les personnages, il fallait que les "acteurs" correspondent à la vision d’Ellroy. Ça, c’est en amont. Mais en aval, il y a une autre forme d’exigence, celle du public qui connaît le roman et qui a certainement des attentes par rapport à l’adaptation. Ce qui constitue un autre défi, important lui aussi.

Vous parlez d’acteurs, or Le Dahlia noir a donné lieu à un film de Brian De Palma en 2006...

Oui, et j’ai regretté de l’avoir vu, car il est très difficile de se détacher de l’esthétique d’un film. Donc j’ai choisi une direction différente pour mon inspiration et ma documentation. Il n’était peut-être pas utile de rechercher un langage très cinématographique. J’ai vu des films de l’époque, j’ai pioché dans des journaux traitant du fait divers, dans les archives de la police de Los Angeles… Je voulais développer un langage visuel en parallèle à l’élément littéraire. J’ai travaillé sur la densité, le rythme graphique, tout en cherchant à conserver des éléments qui signalent clairement qu’on est dans l’univers de James Ellroy.

Vous avez vécu huit années à Los Angeles, où se déroule Le Dahlia noir. Cela vous a-t-il aidé ?

Probablement pour la lumière. Il y a une lumière très intense à L.A., très différente de celle de New York, par exemple. Mais on ne retrouve quasi plus rien de la ville du Dahlia noir dans la ville actuelle. Tous ces quartiers ont été rasés dans les années 60' pour laisser place à des autoroutes !

Or vous travaillez beaucoup sur les contrastes entre la lumière et les ombres. Est-ce aussi une manière de raconter ?

Tout-à-fait, et c’est une des choses que j’aime le plus, qui permet aussi de composer les volumes. J’ai dû travailler pour me défaire de mes habitudes d’illustrateur, retrouver un langage plus adapté à la BD. Chaque case doit permettre une lecture fluide, mais j’ai aussi mes exigences graphiques ! Les ombres et la lumière font partie de ma boîte à outils. Et comme il s’agit d’un roman noir, et d’une noirceur intense, une palette de lumières constitue une palette de couleurs adaptables en fonction des décors, des situations. Ça aide à raconter, en posant par exemple un point de lumière sur quelque chose qui compte dans l’intrigue…

Aujourd’hui, vous sentez-vous plus proche de l’illustrateur ou du dessinateur de BD ?

Question difficile ! La BD est un exercice qui me plaît de plus en plus, mais l’essentiel est de pouvoir varier, et c’est très différent de trouver la bonne image qui s'associera à un texte et de raconter, en images, de manière fluide. Rétrospectivement, je pense que mon travail sur Nuit de fureur (adaptation du roman de Jim Thompson, scénario de Matz, Rivages/Casterman/ Noir, ndlr.) m’a permis d’aborder Le Dahlia noir. Je me sentais nettement plus à l’aise, j’ai adapté ma technique, préférant le crayon au fusain, pour donner un autre rendu, une autre texture aux planches.

Votre collaboration avec Matz a-t-elle été différente cette fois ?

Non, on a fonctionné globalement de la même manière. La démarche était assez similaire. J’apprécie énormément Matz. Ses scénarios sont très structurés sans qu’ils dictent le contenu des cases, je ne me sens donc pas étouffé graphiquement, ça me permet de tenir compte d’autres choses. Nous avons également pu bénéficier de l’apport du réalisateur David Fincher, qui, avant De Palma, avait envisagé de porter le roman à l’écran. Avec Matz, il n’y a aucune contrainte, c’est un régal de pouvoir collaborer de cette façon, et j’espère que d’autres occasions de réaliser des projets ensemble se présenteront.

Nuit de fureur, Le Dahlia noir… des polars !  Qu’est-ce qui vous attire particulièrement dans ce genre ?

On a parlé d’ombre et de lumière, on pourrait peut-être en revenir à ça ? C’est une littérature qui m’a toujours attiré. J’ai toujours adoré les grands auteurs américains, Chandler, Hammet… Et le côté inquiétant de leurs livres ne m’a jamais mis mal à l’aise. Sans doute cela me correspond-t-il artistiquement… J’ai aussi l’impression, quand je réalise une image illustration, une image complète, que cela implique un certain mystère. L’image doit comporter quelque chose de non résolu, pas très clair. Et ça me plaît beaucoup.

Vous êtes aussi un dessinateur des villes, vous avez d’ailleurs illustré un guide consacré à New York (avec Vincent Réa, Lonely Planet/Casterman), et dans Le Dahlia noir, Los Angeles est bien plus qu’un décor…

Je suis né à la campagne, peut-être est-ce pour cela que les villes m’ont très tôt fasciné. Chaque ville est différente des autres, et la dessiner constitue chaque fois une nouvelle expérience. À New York, il y a une grande densité de détails, à L.A. c’est la lumière, la ville est plus ouverte, plus aérée… Chaque ville a sa couleur, sa lumière, et bien sûr son architecture. Lors de l’exposition à la galerie Champaka, on en a discuté pas mal… J’aimerais bien mettre quelque chose en marche autour de ce thème.

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Pierre Burssens
10/12/2013