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Entretien avec Nancy Peña

« Nous avons essayé que le dessin, en lui-même,
participe à l'évolution de la narration »

Illustratrice, dessinatrice (Le Chat du kimono), Nancy Peña signe avec Médée (Casterman) son premier projet de grande envergure en BD et contribue, par son trait élégant et délicat, à rendre attachant un personnage dont la mythologie et ses interprétations nous ont laissé une image ambigüe, inquiétante et même... monstrueuse. Retrouver l'humanité de Médée passait par lui restituer un visage. Nancy Peña y est arrivée.

Comment avez-vous organisé votre travail avec Blandine Le Callet ?

Nous avons partagé beaucoup de choses, ainsi, par exemple, nous avons réalisé l'ensemble du découpage ensemble. C'était passionnant parce que je ne découpe pas de cette manière pour mes autres projets. J'ai un découpage disons plus... théâtral, alors que pour Médée, il me semble que le style est plus cinématographique. Cela résulte du travail en commun, et le découpage doit aussi s'adapter au récit. En abordant Médée, j'abordais un univers vraiment grandiose et riche. Cela a forcément un impact sur les cadrages et la composition. Cela implique des problèmes de dessin à résoudre, mais cela entraîne surtout des choses à apprendre et une évolution, même indirecte.

 
Premiers essais

Premiers essais

Médée est un personnage de la mythologie grecque. Votre scénariste nous disait avoir voulu éviter le côté pompeux du peplum, notamment dans ses dialogues. De votre côté, comment avez-vous procédé graphiquement ?

Il s'agit de mythologie, donc d'un univers légendaire, même pour les Grecs de l'antiquité. À partir de cela, je bénéficiais d'une marge de manoeuvre assez large, surtout dans ce premier tome. J'ai puisé et mélangé différentes influences antiques pour composer cet univers. On y trouve des éléments grecs, perses, assyriens, orientaux... J'ai procédé de façon assez similaire à certains peintres du 19ème siècle qui s'inscrivaient dans cette sorte d'hétéroclisme, en réinventant notamment des motifs antiques pour des tissus ou des carrelages à partir de motifs qui leur étaient contemporains.

Dans L'Ombre d'Hécate, on découvre Médée devenue une vieille femme, mais aussi Médée petite fille...

Effectivement, et nous nous sommes posé pas mal de questions sur la manière de la représenter à différents âges et comment la faire vieillir. L'aspect purement graphique n'est pas trop complexe, je conserve et j'accentue les traits principaux du personnage en fonction de son âge, le tout était de trouver le bon moment pour le faire dans la narration. Nous voulions garder une continuité dans celle-ci, une progression, et ne pas donner une impression d'épisodes, de séquences très différenciées, ou indépendantes, en fonction de l'âge du personnage. Jusqu'à quelle planche devait-on la représenter à tel âge, ou à tel autre pour éviter une rupture ?

Quel physique attribuer à un personnage aussi ambivalent ?

L'idée générale était de réhumaniser le personnage. Je ne connaissais pas vraiment son histoire, j'en avais une vision assez floue, et je n'ai pas cherché à en savoir plus pour me laisser guider par Blandine et découvrir la vision qu'elle en avait, elle. Médée a inspiré beaucoup d'artistes, et on retrouve des constantes dans leurs oeuvres : une lourde chevelure noire, des bijoux... De manière plus large, nous avons essayé que le dessin en-lui même participe à l'évolution de la narration. En reparcourant l'album après l'avoir lu, vous remarquerez que le graphisme est plus rond au début, que des aplats noirs apparaissent progressivement alors que la petite fille perd sa naïveté, les couleurs bistres sont également plus présentes... Ces éléments caractérisent l'évolution de la psychologie de Médée.

Premiers croquis du peronnage principal

Premiers croquis du personnage principal

Vous y ajoutez de jolies trouvailles graphiques, comme la manière dont vous représentez les fumées, par exemple...

Je ne travaille pas à partir d'un crayonné très précis, et souvent, c'est à l'encrage que me vient une idée, ou une surprise. C'est très agréable, mais pas toujours simple, car il est arrivé que je doive remonter l'une ou l'autre planche afin d'accorder plus de place à telle ou telle case à laquelle l'encrage apporte un relief différent... ou inattendu !

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Pierre Burssens
19/12/2013