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Entretien avec Raoul Cauvin

« Quand une série fonctionne et se maintient, il y a de quoi se réjouir ! »

Qui n’a jamais lu un album scénarisé par Raoul Cauvin ? En consacrant une belle monographie à ce géant de la BD, Patrick Gaumer comble un vide important et retrace un chapitre très vivant de l’histoire de notre média préféré.  Cet ouvrage aussi passionnant qu’indispensable compte plus de 400 pages. Il était donc illusoire pour Auracan.com d’essayer de parcourir la riche carrière du prolifique scénariste  en une simple interview. Juste quelques facettes… évoquées avec autant de modestie que de sympathie par Monsieur Raoul Cauvin !

Quel est votre sentiment par rapport à la monographie que vous consacre Patrick Gaumer ?

Au départ, j’étais contre. Pas contre ce bouquin en particulier, mais contre ce qui pouvait tourner autour de mes 75 ans, et je l’ai répété, lâchement peut-être, à mon entourage chez Dupuis. Ensuite j’ai rencontré Patrick Gaumer, nous avons été au restaurant, il m’a parlé de ses idées, de ce qu’il voulait faire… C’était difficile de s’y opposer.  Finalement, on lui a remis une grosse boîte de documents. Quant à moi, mon investissement personnel pour ce bouquin s’est, à peu de choses près, arrêté là ! Mais maintenant que le livre est sorti, je suis ravi. C’est un beau bouquin, une réussite, et visiblement le public l’attendait. En séance de dédicaces, on le présente à côté des albums, et il intéresse les gens.

Qu’est-ce qui vous retenait face à une telle initiative ?

Un Spirou très Cauvin...

Un Spirou très Cauvin...

Je ne sais pas, c’est difficile à expliquer. Je pense que j’ai fait mon boulot le plus honnêtement et correctement possible. J’aurais fait quoi, sinon ? Franchement, je ne pensais même pas qu’on en parlerait. 2013, c’était les 75 ans de Spirou. Mais Cauvin ? Mais encore une fois, j’ai le livre en main et j’en suis très content. Il y a eu un numéro assez spécial de Spirou pour la date de mon anniversaire, aujourd’hui cet ouvrage… On a fait le maximum, non ? Je suis tout de même un gros gâté !

La couverture de l'ouvrage présente votre portrait par Jean Roba. Vous y teniez tout particulièrement ?

Pour la petite histoire, initialement, ce devait être une photo… qui ne me plaisait pas ! Et puis on m’a proposé cette caricature de Roba, qui, malgré mon âge me ressemble toujours. J’ai trouvé cette idée superbe. C’est  un beau dessin, la couverture respire, c’est simple, bien… Et ça évoque forcément des souvenirs. Roba était coutumier de ce genre de dessin, comme d’autres à l’époque. On discutait, Roba me regardait, il faisait un dessin, naturellement, sans autre but… Il a croqué beaucoup de monde de cette manière. J’ai l’impression qu’il avait un crayon en main tout le temps. Il m’a donné ce dessin, qu’il avait signé, je l’ai conservé et le voilà remis en lumière d’une belle façon.

Pour en revenir à vos tous débuts, et même avant, vous avez étudié la lithographie publicitaire alors que ce métier n’existait déjà plus à l’époque. Doit-on y voir une forme de surréalisme ou un premier gag ?

J’ai étudié cette technique pendant quatre ans, dans les années 50 à l’école Saint-Luc de Tournai (B). Or, ce métier était déjà obsolète avant-guerre. Et sur les mêmes bancs d’école, suivant la même formation, se trouvait Renaud, le futur dessinateur de Jessica Blandy. On en rigole maintenant, mais alors que l’on pensait sortir de l’école avec un métier, on n’avait rien ! Ce qui se passait, concrètement à l’époque, c’est que l’école retenait certains bons élèves, qui devenaient enseignants dans le même établissement. Le système fonctionnait en vase clos, complètement déconnecté de la réalité et… du marché de l’emploi.  Rétrospectivement, on se dit qu’on se trouvait, peinards, dans une espèce de petit cocon heureux. Mais le réveil a logiquement été difficile ! Créativement, redémarrer à zéro a été pour moi un sacré coup de chance, mais vous comprendrez qu’ il m’ait fallu un certain temps avant de le réaliser.

Gaumer nous fait suivre votre itinéraire sur près de 400 pages, pour vous, quelles en sont les grandes étapes ?

Un bureau chez Dupuis...

un bureau chez Dupuis...

Je dirais Saint-Luc, l’armée, puis j’ai travaillé dans une petite usine qui fabriquait des boules de billard, ensuite je suis entré chez Dupuis, cameraman pour Les Schtroumpfs dans le studio audiovisuel de Dupuis à l’époque, puis à la rue de Livourne au labo photo… une période inoubliable ! Entretemps, je commençais à tâter du scénario et finalement Charles Dupuis a accepté que je m’y consacre tout en restant employé de la maison…

Vos scénarios ont une constante : l’humour…

Je n’ai jamais véritablement écrit d’histoire réaliste. J’ai essayé, pour René Follet, notamment, mais je ne me sentais pas à l’aise dans ce registre. C’est pour ça que j’adore quelqu’un comme Zidrou, par exemple, qui peut passer de l’humour à quelque chose de beaucoup plus grave. Et il le fait très bien !

Avec Willy Lambil (les Tuniques bleues)

avec Willy Lambil (Les Tuniques bleues)

Avec Les Tuniques bleues, le succès est, dès le départ au rendez-vous. Est-ce à partir de là que tout a vraiment démarré pour vous ?

Oui, un vrai coup de chance dès le début. Ce qui a changé fondamentalement, à ce moment, c’est que les dessinateurs ont commencé à venir vers moi. Tous ceux avec qui je travaille encore aujourd’hui sont venus vers moi. Certains étaient très jeunes. Je me rappelle de ma première rencontre avec Philippe Bercovici (Les Femmes en blanc) lors d’une séance de dédicaces. Il devait avoir 12 ou 13 ans et était accompagné de sa maman et de sa grande sœur… À cet âge, on ne le laissait pas se déplacer seul.

À côté de vos succès, il y a aussi eu des séries qui ont moins fonctionné ou qui ont été arrêtées pour diverses raisons. Quel regard portez-vous sur cet aspect du métier ?

Des regrets, je dirais que je ressens toujours des regrets quand une série s’arrête, parce que derrière les albums, il y a chaque fois des idées, un enthousiasme, des espoirs, une petite aventure humaine, en somme. Mais dans notre domaine, il n’y a pas d’ingrédients définis, de recette facile pour aller vers le succès. Les années passent, certaines séries tiennent le coup, d’autres pas… Il s’agit à chaque fois d’une petite perte ! Inversement, quand une série fonctionne et se maintient, il y a de quoi se réjouir, surtout aujourd’hui, dans un contexte économique difficile et, paradoxalement, dans un contexte de surproduction en BD. Faites un tour en librairie en cette période de fêtes, voyez les caisses de bouquins que les libraires reçoivent, ils n’auront peut-être même pas la possibilité de présenter tous les titres qu’elles contiennent !

2013, Spirou a eu, comme vous, 75 ans, et la période pendant laquelle vous avez travaillé avec Nic Broca sur les aventures du groom a été très controversée. Acceptez-vous de nous en parler ?

Récemment, j’ai lu qu’il s’agissait du "point noir" de ma carrière, mais je trouve ça exagéré. Charles Dupuis nous avait demandé de revenir vers un Spirou plus proche de celui des débuts, et Nic Broca et moi nous sommes trouvés assez limités par rapport à cela. Nous avons servi de trait d’union entre d’autres auteurs. Personnellement, je pouvais prendre du recul face à cette situation, j’avais d’autres séries qui fonctionnaient, mais toutes les attaques menées contre le travail de Nic Broca avant même la publication des premières planches ont été injustes et profondément blessantes pour lui. Elles l’ont abîmé… Ce souvenir-là est difficile !

À côté de l’humour, une autre constante de votre carrière est la défense d’une BD grand public…

Nous, on travaille pour un éditeur. Des séries qui fonctionnent lui rapportent de l’argent, et lui permettent de lancer d’autres auteurs, d’autres séries, de leur donner leur chance. Et c’est cela qu’on nous reproche ? Il s’agit d’une forme de snobisme qui a toujours existé, et qui ne se limite pas à la BD, mais touche tous les domaines de la Culture. C’est n’importe quoi !

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Pierre Burssens
24/12/2013