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Entretien avec Serge Honorez

« Je pense que l’on cultivera notre différence
dans les années à venir »

Tout au long de l’année 2013, on a salué les 75 ans de Spirou, personnage et magazine. "L’année groom" décrétée par Dupuis s’est déclinée en de nombreuses publications et manifestations. Mise en valeur d’un patrimoine, renforcement de l’image du personnage emblématique de l’éditeur marcinellois, opération de notoriété, Serge Honorez, directeur éditorial chez Dupuis, revient avec nous sur la recette de cet énorme gâteau d’anniversaire dont on se souviendra.

On peut, aujourd’hui, jeter un coup d’œil dans le rétroviseur de "l’année groom", qu’en retenez-vous ?

Beaucoup de satisfaction ! Les différentes manifestations, expos, le "Spirou Tour"… ont bien fonctionné, 13 bouquins portant le logo des 75 ans de Spirou ont été publiés et ont reçu un bon accueil, le film documentaire réalisé pour l’occasion a été apprécié, c’est plutôt positif. Je trouve également intéressant qu’une activité BD se conjugue avec un personnage. On associe complètement Mickey à Disney, et Spirou c’est Dupuis. Au niveau de la maison d’édition, ce projet a véritablement mobilisé toutes nos équipes, mais il a surtout démontré que l’on était capable d’organiser et de gérer nous-mêmes une opération d’une telle envergure. De ce côté aussi tout le monde est content.

Quel était l’objectif principal d’un tel déploiement de moyens ?

Il y en avait plusieurs, mais je pense que le "Spirou Tour", par exemple, a permis d’asseoir l’image de Spirou en France. En Belgique, il est beaucoup plus connu, en France, il est mieux connu qu’hier. La Galerie des illustres entamée voici 5 ans dans le magazine a également mis en lumière le lien affectif de très nombreux auteurs – pas forcément de chez Dupuis – avec Spirou. D’un point de vue commercial, dans le contexte très difficile de la presse et de la presse jeunesse en particulier, Spirou se maintient, contrairement à d’autres magazines. N’oublions pas non plus que c’est en cette année Spirou que des investisseurs français ont annoncé la création d’un parc d’attractions basés sur nos univers. Voilà mon image globale de ces 75 ans.

Une opération aussi importante vous a-t-elle permis de tirer de leçons ou de dégager des pistes pour les années à venir ?

Oui, on va continuer ! Rassurez-vous, on ne fêtera pas particulièrement les 76 ans de Spirou en 2014, mais on mesure que tout ça a impliqué une forme de différenciation. Depuis deux ans, Dupuis ne participe pas au festival d’Angoulême, nous avons préféré consacrer ces moyens et cette énergie au 75ème anniversaire. C’est une différence par rapport aux autres éditeurs, et je pense que l’on cultivera cette différence dans les années à venir. Nous pensons notamment à l’organisation d’une "convention Spirou", 3 journées consacrées au personnage avec des rencontres, des animations, des conférences, mais il ne s’agit pour l’instant que d’une idée parmi d’autres…

Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, les auteurs de La Véritable histoire de Spirou nous avaient confiés, en interview, que la prise de conscience de l’importance d’un patrimoine, pour une entreprise, et pas uniquement en BD, est un phénomène relativement récent…

Succès pour les dédicaces

Succès pour les dédicaces

C’est vrai. Mais en BD je pense que c’est lié à l’évolution de l’image globale de la bande dessinée, à sa perception dans la société, dans la culture… Chez Dupuis, Thierry Martens avait entamé tout un travail allant dans ce sens. Et connaître notre passé permet de savoir où l’on va. Il y a des ruptures, mais il existe une continuité dans notre évolution.

Vous avez relancé la nouvelle saison de Michel Vaillant, on a retrouvé récemment Buck Danny, et tout dernièrement Choc est réapparu dans les pages de Spirou. Ce retour de classiques est-il lié à cette idée de patrimoine ?

En partie, mais plus généralement je dirais que c’est un contexte, une ambiance qui nous y conduit. Parmi la multiplicité de titres qui sortent, les lecteurs aiment trouver des repères. Buck Danny, Michel Vaillant ou… Spirou, qui sont des classiques, en font partie. Nous ne sommes plus dans la dynamique des années 80 ou 90 avec une priorité au changement et à l’innovation. Les places sont beaucoup plus difficiles à prendre aujourd’hui, et un des axes de notre politique est de mieux travailler avec ce type de séries. Elles participent à notre notoriété, mais légitimisent aussi ce qui suit.

Quand Spirou est en ville...

Quand Spirou est en ville...

Nous évoquons le patrimoine Dupuis, or 2013 marque aussi le retour du Marsupilami à la maison…

Oui, ce n’était pas prémédité, mais c’est bien que ça se soit produit en cette année particulière… et ça nous permettra de nous occuper du patrimoine Franquin avec plus de cohérence, puisque l’essentiel, hormis Les Idées noires et Modeste et Pompon, se trouve dorénavant chez nous. Je suis toujours étonné que nos BD franco-belges ne soient pas plus connues à l’étranger.  Or aux États-Unis, par exemple, on connaît Tintin et Les Schtroumpfs, mais on connaît aussi Franquin ! Il existait une… faim de retrouver Gaston et le Marsupilami, mais ça nous oblige presque à réécrire l’histoire de ce dernier. Il y a le Marsupilami de Spirou, mais son cousin a vécu ses propres aventures en Palombie, il existe aussi une sorte de mythe du Marsupilami induit par le film d’Alain Chabat… Nous avons entamé une réflexion visant à accorder ces différents aspects. Même Franquin a mis le Marsupilami entre parenthèses pour certaines aventures de Spirou. Nous devons vraiment étudier comment faire vivre ce retour, et nous le faisons très prudemment. Je pense d’ailleurs que ça illustre plutôt bien l’idée de connaître le passé pour savoir où l’on va ! Le Marsupilami fait partie de notre patrimoine mais un patrimoine que nous n’avons pas contrôlé. Pour Gaston, le problème est différent. Gaston est l’incarnation de Franquin. Comment continuer ? Comment le faire perdurer pour les lecteurs de demain ?

On a beaucoup parlé du passé, mais la déclinaison Spirou Z, numérique et très actuelle, a également fait son apparition en 2013. À suivre ?

Sans aucun doute. Spirou Z a constitué une super expérience. Il s’agissait d’un produit prototype (8 000 téléchargements quand même…) et il y a beaucoup d’enseignements à en tirer. Nous nous attelons à une réflexion très large sur l’outil numérique en tant que tel, avec sa propre grammaire. Nous pouvons créons des bandes annonces pour les albums, nous pouvons réaliser des interviews d’auteurs, serait-ce opportun de les intégrer à Spirou Z.1 ? L’optique d’un magazine est-elle vraiment adaptée au numérique ? Renforcer le lien affectif avec la communauté Spirou ne serait-il pas plus approprié ? On se pose plein de questions. Mais nous désirons vraiment, une fois la bonne formule définie, lancer le Spirou Z.1 et poursuivre régulièrement avec ses successeurs.

Vous l’avez dit, 13 livres portant le label du 75ème anniversaire ont été publiés, parmi lesquels de beaux livres que l’on situerait "autour de la BD", et visiblement vous continuerez dans cette voie en 2014…

Oui, car on est à la fois en plein dans la mise en valeur de notre patrimoine, et puis il s’agit d’un savoir-faire que nous avons aussi envie de mettre en avant. Un livre consacré à Jijé sera édité très bientôt, l’aventure de La véritable histoire de Spirou continue, je suis particulièrement heureux de vous annoncer, enfin, la réédition du cultissime ouvrage de Numa Sadoul Et Franquin créa Lagaffe. On prépare une biographie très complète du même auteur, et je ne vous cache pas qu’en menant des recherches pour tel ou tel sujet, on croise la route ou on mesure véritablement l’apport de telle ou telle personnalité ayant participé à l’histoire de Dupuis qui, parfois, mériterait une biographie ou un bouquin. Ce ne sont donc pas les sujets qui manquent !

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Pierre Burssens
06/01/2014