Auracan » Interviews » Entretien avec Stephen Desberg

Entretien avec Stephen Desberg

« Je crois que les lecteurs ont envie
de retrouver des héros typés avec un dessin typé. »

Le mode opératoire des Golden dogs, un étonnant groupe de voleurs dans le Londres du XIXe siècle, se décrit sur un mode musical. Pour cette nouvelle série réalisée avec Griffo au dessin et publiée au Lombard, Stephen Desberg passe par un casting très rock'n'roll pour ses héros. Fanny, qui donne son nom au premier tome, entame un concert mouvementé et prometteur. Les Golden dogs auraient pu être un groupe rock. Surprenant ? Le scénariste Stephen Desberg nous en parle...

Avec H.ell fin 2013 et aujourd'hui Golden dogs, deux nouvelles séries à caractère historique, tourneriez-vous le dos au thriller et au polar ?

Pas du tout, non. En fait, j'ai toujours aimé alterner le contemporain et l'historique, mais les projets Empire USA et les spin-offs d'I.R.$. m'ont amené à poursuivre dans la direction du contemporain, ça s'est fait un peu par accident...

Mais le dessin de H.ell comme celui de Golden dogs est assuré par un dessinateur avec qui vous collaboriez dans un univers plus contemporain...

Oui, mais les cheminements des deux projets sont très différents. Bernard Vrancken (H.ell, I.R.$.) avait depuis longtemps envie d'aborder un univers différent, mais on a essayé de conserver un petit côté polar à H.ell. Avec Griffo, nous avons entamé notre collaboration sur Empire USA, et comme nous avions tous deux envie de continuer à travailler ensemble, je lui ai proposé Sherman. Il y a des aspects de cette histoire qui me sont très personnels. Mon père était Américain et a débarqué en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, donc tout le côté USA-Europe de Sherman trouve beaucoup de résonnance en moi. L'histoire a beaucoup plu à Griffo qui s'est mis au service de celle-ci avec brio. Mais il m'avait parlé de son envie d'adapter en BD un roman du XVIIIe siècle mettant en scène une jeune femme d'un milieu simple prête à tout pour s'élever dans la société. Je n'étais pas vraiment emballé, mais finalement j'ai pensé que ça pouvait être le point de départ de quelque chose de plus original. À l'arrivée... je n'ai conservé que le prénom de l'héroïne du roman en question, Fanny !

On a en tête beaucoup d'images de Londres à l'époque victorienne, or Golden dogs se situe avant, en 1820. Pourquoi avez-vous choisi cette période et qu'est-ce qui caractérise la capitale anglaise alors ?

La Compagnie des Indes existe déjà, et grâce au développement de son commerce maritime, l'Angleterre est en avance par rapport au reste de l'Europe. On en est aux prémices de la révolution industrielle. Les écarts entre les catégories sociales sont énormes, Londres construit progressivement son image de capitale d'un empire et on n'hésite pas à raser totalement certains quartiers considérés comme des chancres. Mais il s'agit d'une époque un peu floue et nous avons voulu garder beaucoup de liberté pour Golden dogs. Ce n'est pas vraiment une bande dessinée historique avec une recherche de reconstitution très précise.

Les Golden dogs sont des voleurs, l'un d'entre eux est un assassin... On ne se trouve pas chez Robin des Bois...

Mon inspiration première pour le développement de Golden dogs vient d'une vieille envie de réaliser une BD sur un groupe rock : Led Zeppelin. J'ai fini par y renoncer, car ce qui manquera toujours à une BD consacrée à la musique ou à des musiciens, c'est forcément la bande-son. Ce que je pouvais transférer du groupe rock au groupe de voleurs, ce sont les excès, un côté marginal, une part d'ésotérisme qui a toujours été associée à Led Zeppelin, les rapports entre le guitariste Jimmy Page et le chanteur Robert Plant dans lesquels intervenait une part de domination de l'un envers l'autre. Ce premier tome, Fanny, montre l'ascension des Golden dogs, comme celle d'un groupe rock. Le groupe va traverser les années, mais certaines choses vont se casser entre ses membres. Dans le tome 2, ils seront amenés à vivre sans le groupe, ils se retrouveront après !

D'où la référence musicale pour le mode opératoire des voleurs ?

Oui. J'ai joué dans différents groupes rock dans ma jeunesse, et cette coexistence plus ou moins harmonieuse de différents egos m'a toujours fasciné. Comment gérer ça ? C'est là-dessus qu'est basé un film comme Presque célèbre de Cameron Crowe. 

Vous donnez une forme de démesure à certains personnages. Fanny veut « tout simplement », et elle le répète plusieurs fois, devenir une déesse. Et vous vous amusez visiblement à animer tout ce petit monde très pittoresque des bas-fonds londoniens...

C'est son rêve, et elle est prête à tout pour l'atteindre. C'est un peu Madonna ! Tous les personnages son très marqués. Ca aussi c'est rock'n'roll !

Vous conservez cependant une grande part de mystère à vos héros...

C'est important, car ce n'est pas une histoire classique et le lecteur en prendra davantage conscience dans les tomes suivants. C'est pourquoi la question de la trahison est mise en avant très tôt dans l'album. James Orwood choisit les membres des Golden dogs, mais c'est un manipulateur, il ne livre rien de lui. À l'intérieur du groupe, chacun est capable du meilleur comme du pire.

Votre manière de travailler avec Griffo sur Golden dogs est-elle différente par rapport à Sherman ?

Comme je vous l'ai dit, d'une certaine manière, Sherman m'appartenait plus. Griffo s'est plongé dans l'histoire et l'a magnifiquement illustrée. Golden dogs est un peu moins réaliste et correspond mieux à son style personnel. Il n'y a pas de changement énorme dans notre manière de faire, mais sa contribution graphique est plus importante. Son dessin est différent de Sherman, certains l'attribuent à des délais serrés, mais ce n'est pas le cas. Il a pris le temps nécessaire pour mettre Golden dogs en images, mais dans un style qui lui est plus naturel, et qui, pour ma part, me plaît beaucoup.

Vous évoquez des délais, or les 4 tomes de la série seront tout de même publiés en un an...

Rassurez-vous, on n'a pas commencé à travailler dessus hier... Je pense qu'aujourd'hui le lecteur moyen n'a plus envie d' attendre un an ou un an et demi avant de lire la suite d'une histoire, et que la tendance générale va vers un rythme de sorties très soutenu. Cependant, il existera toujours un public d'amateurs, très fidèle, pour certains auteurs et certaines séries se démarquant de cette tendance. Mais cela alimente aussi un énorme paradoxe par rapport à la surproduction. S'imposer et envahir le marché représente-t-il une solution ? Ou devrait-on se recentrer sur la qualité ? Je n'ai pas de réponse à cela pour le moment. Personnellement, je reviens un peu des projets associant différents dessinateurs. Je constate une forme de lassitude du public par rapport à certains spin-offs. Je crois que les lecteurs ont envie de retrouver des héros typés avec un dessin typé. Et c'est vers cela que je recentre mon travail.

Marini, Reculé, Vrancken, Griffo... Vous avez travaillé avec quelques dessinateurs sur différentes séries, depuis pas mal d'années, et ça continue. Est-ce important pour vous ce type de fidélité ?

Bien sûr. Il y a des relations professionnelles qui, parallèlement au travail, deviennent des relations amicales. C'est important pour tout le monde. Le talent d'Henri Reculé a mis longtemps à être reconnu. Si j'ai pu y contribuer par mes histoires, j'en suis très heureux. Cassio touche tout doucement à sa fin et nous avons un nouveau projet commun en préparation. On a entamé H.ell avec Bernard Vrancken. Griffo a un projet avec Rodolphe au scénario, mais nous envisageons ensuite tous les deux de revenir sur le thème de SOS Bonheur. Jean Van Hamme ne s'y oppose pas. Bien des choses ont changé en 30 ans, et ça peut être très intéressant. On projette ça pour 2016.

Partager sur FacebookPartager
Pierre Burssens
19/02/2014