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Entretien avec Guillaume Sorel

« Les contraintes sont toujours liées au récit.
Chaque histoire appelle un traitement différent. »

Guillaume Sorel © Manuel Picaud / Auracan.com

Guillaume Sorel
© Manuel Picaud / Auracan.com

Alors qu’il publie son ambitieuse et très réussie adaptation du fameux Horla de Guy de Maupassant chez Rue de Sèvres, Guillaume Sorel revient sur son parcours et se dévoile sans concession… Une rencontre exclusive accordée par le créateur à Auracan.com

Comment êtes-vous venu à cet amour de la littérature fantastique ?...

C'est lié à mon père et à sa bibliothèque. J'ai toujours vécu au milieu de beaux livres et lui-même était bibliophile. À ce propos, j'ai une anecdote : quand j'étais petit, si je faisais une énorme bêtise, il m'obligeait à recopier des bouquins. C'est ainsi que j'ai recopié l'intégrale de Notre-Dame de Paris.

Qu’aviez-vous fait comme bêtise pour recopier ce livre ?

Sincèrement, j'en ai fait plusieurs. Mes parents étaient convoqués tous les samedis matins. Avant d'aller au marché, ils passaient à l'école, récupérant la sanction et moi avec. Les fautes étaient toujours de bon esprit même si je n'en ratais pas une (démontage de porte, cassage de vitre), mais systématiquement, je me dénonçais car je les assumais. Plus tard, avec les enfants que j'ai pu croiser, j'ai toujours été correct envers ceux qui reconnaissaient leurs conneries. Malgré toutes ces copies, il n'a pas réussi à me dégoûter de la littérature, au contraire... L'autre raison, c'est mon frère de 10 ans mon aîné. Pour les mêmes raisons, il aimait la littérature, mais lui s'était orienté vers le fantastique. Du coup, il m'en a donné le goût.

Quel est le premier livre fantastique qui vous a marqué ?

C'est dû à mon frère. J'avais 13 ans, je vivais à la Réunion. Il m'a apporté Le Seigneur des Anneaux... Je me suis plongé dedans. J'ai adoré, alors qu'avant je lisais Marcel Pagnol. Le Seigneur des Anneaux a transformé la direction dans laquelle je pouvais aller dans la littérature et à partir de là, il a été mon guide pendant quelques années. Il m'a fait connaître Henry Rider Haggard, Bram Stoker... Tous les grands de la littérature et les classiques aussi. J'ai abordé Victor Hugo, Gustave Flaubert, Guy de Maupassant, toujours par ce qu'ils avaient pu faire dans le fantastique.

Fantastique peut-être, mais vous êtes un amoureux de la littérature du XIXème…

Absolument. Je dis souvent çà pour plaisanter, mais j'aime les auteurs morts, donc le XIXème voire le début XXème me convient. C'est une grande fascination qui est aussi liée à la peinture. Toute la vie de cette époque là autour du symbolisme, du romantisme, mais autant les musiciens, les peintres que les écrivains.

Il n'y a donc rien qui vous plaise dans la littérature contemporaine ?

Je lis régulièrement des livres, mais je vis un peu enfermé avec ma bibliothèque qui est assez fournie... J’apprécie quelques auteurs contemporains, mais rien qui ne m'ait emporté de la même manière.

En 1996, vous déclareriez : « Les lecteurs ne connaissent pas Jean Ray ou Charles Lutwidge Dodgson » (alias Lewis Caroll, ndlr). Est-ce que ca s'est arrangé depuis ?

Non. La faute incombe aux journalistes qui citent toujours les mêmes noms quand on parle de mon travail. C'est assez terrifiant de s'imaginer que depuis L'Île des Morts, qui est clairement un hommage à Lovecraft, on cite toujours trois noms : H.P. Lovecraft, Edgar A. Poe et quelquefois Stephen King (ce qui est un comble pour moi !) quelque soit le bouquin que je fasse. Alors que j'ai travaillé sur le monde féérique, sur l'horreur maritime... Je m'étais amusé à traiter tous les aspects du fantastique que j'aimais et j'avais droit à chaque fois aux mêmes noms alors qu'ils n'avaient rien à voir avec mon travail…

Malgré les contraintes qu'on peut avoir avec les éditeurs, être choisi pour illustrer la couverture d'un livre qu'on aime, n'est-ce pas une gourmandise ?

Quand c'est réellement le cas, c'est un vrai plaisir. Autant mon expérience des travaux de couvertures font qu'au démarrage, ça se passe très bien. Gilles Dumay fait appel à moi pour illustrer des livres car il savait que je les aimais, que ça correspondait à un esprit que j'aimais bien. Très rapidement, je me suis retrouvé en contact avec de nombreuses maisons d'édition, car Gilles, pensant me faire plaisir a contacté tous ses collègues. Je me suis retrouvé assailli de commandes pour des bouquins que je ne connaissais pas, qu'on ne me faisait pas lire et quelquefois des surprises désagréables lorsque le livre sortait. Mon dessin maquetté bizarrement, avec des couleurs fluos, sur des textes que je trouvais faibles. J'ai progressivement abandonné le dessin de couverture en fuyant, déménageant et ne proposant jamais mes coordonnées.

Vous n’avez pas votre langue dans votre poche, que ce soit à votre propos ou celui des autres…

Je pense qu’il faut être simple, clair. Même avoir une réputation de type un peu pénible est plutôt bonne. On sait toujours à qui se fier, les gens savent qu'ils ne peuvent pas me raconter d'histoires.

Vous vous présentiez précédemment comme illustrateur. À partir de quel moment vous êtes-vous considéré comme un raconteur d’histoires ?

J'ai toujours participé d'une manière ou d'une autre à l'écriture des histoires que j'ai dessinées, à part avec Matthieu Gallié qui écrit tout, j'étais plus ou moins à l'origine des histoires que j'ai mises en scène. Je pense que c'est à partir de Mother que je me suis considéré comme un auteur. Entre autres choses, parce que  j'ai fait une exposition du premier tome de Typhaon à Saint-Malo, mais qui s'est fait quasiment en même temps que Mother. À ce moment, je vivais dans une bulle, à l'extérieur du monde de la bande dessinée. Lors de cette exposition, j'ai vu défiler des professionnels, des gens que j'admirais qui m'ont dit des choses très gentilles. Du coup, je ne pouvais plus me voiler la face, j'existais dans ce milieu là. J'ai découvert que des collègues me connaissaient, personnellement, mais aussi en tant qu'auteur et créateur.

Vous êtes aussi un épicurien, excellent cuisinier à vos heures… À quand un vrai livre de cuisine ?

Pas avant un certain temps, parce que j'en manque. Si jamais je devais faire un livre de cuisine, ce serait avec Pascal Rabaté. On en parle beaucoup, depuis longtemps… Resterait à trouver un moment de calme, pouvant nous laisser le temps de le faire. L'idée serait de s'enfermer trois mois chez lui, trois mois chez moi, achetant les produits, faisant les recettes, etc… faire un vrai livre ! Notre idée première était de faire un livre sur la triperie : Les bas morceaux. Nous sommes convaincu que l’idée est porteuse, que ce serait probablement un succès, sauf qu'on va manquer de temps. Vu la grandeur du projet, on se voit mal faire autre chose que çà et le faire tout seul n'aurait pas la même saveur.

Il était aussi question que vous ouvriez un restaurant…

Le restaurant a été acheté, tout était prêt pour l’ouvrir, mais du fait de mes nouveaux projets de bande dessinée, le restaurant est aujourd’hui en vente.

édition grand format, limitée à 3000 exemplaires

édition grand format
limitée à 3000 exemplaires

Pour Algernon Woodcock, vous disiez que ta technique d'encrage et de colorisation était « de poser une feuille et de ne la décoller que deux ou trois jours après quand le travail est terminé ». Est-ce toujours aussi intensif sur vos autres travaux ?

Toujours. Mes premiers albums ont été de format classique : 46 ou 48 pages, puis les albums se sont rallongés et c'est très lié à Algernon Woodcock et à mon scénariste Mathieu Gallié. J'aime bien l'idée que le personnage pense se servir un verre en haut à gauche et qu'en bas de la page, il soit près du bar. J'aime la mise en scène de théâtre, j'aime que les personnages prennent leur temps... J’ai besoin de plus que 46 pages pour raconter une histoire, de pouvoir prendre mon temps. Mais je m'impose toujours de faire mes albums sur un an maximum. Ça sous-tend un rythme soutenu... Les fins d'albums sont toujours apocalyptiques ! Je m'enferme, je ne parle plus à personne, je travaille 15 heures par jour, 7 jours sur 7. Effectivement, je pose ma feuille blanche sur la table avec du gros scotch de déménageur et elle est terminée en couleurs directes en deux – voire trois jours grand maximum.

Toujours en recherches de techniques, de couleurs, vous semblez avoir changé de format. On aperçoit ainsi des couleurs plus claires, voire traitées au lavis. Était-ce une étape obligée pour aller vers autre chose, ou cela est-il lié à la teneur de chaque récit ?

Le format n'a pas changé, à part sur Mal de Mer qui est en noir et blanc. Les contraintes sont toujours liées au récit. Chaque histoire appelle un traitement différent. L’album consacré à Stefan Sweig m’a fait changé de technique : je ne pouvais pas le traiter comme mes précédents travaux. Il a fini ses jours au Brésil, dans un endroit lumineux alors que l'histoire est sombre, puisqu'il s'agit de sa mort. Il fallait que je trouve une autre technique pour représenter la lumière et toute l'histoire. J'ai fait des recherches de papier et ça a transformé l'ensemble. Mes couleurs sont plus lumineuses et curieusement, l'histoire qui suit, Hôtel Particulier, en noir et blanc : la lumière est identique parce que j'utilise le même papier. C'est aussi lumineux et différent. L'histoire est souvent le moteur d'un changement. Mon projet en cours est une adaptation du Horla de Maupassant, une histoire assez sombre, très sombre… Ce n'est pas fait exprès. Tel que le décrit Maupassant, ça se passe pendant un été particulièrement torride en Normandie. Il y a aussi un rapport au Brésil, et je me suis retrouvé à faire quelque chose de très lumineux. Ce n'est peut-être pas que l'histoire qui définit la lumière : peut-être que je suis entré dans une période lumineuse !

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Hervé Beilvaire
13/03/2014