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Entretien avec Christian De Metter

« J'avais envie d'aller vers quelque chose dans lequel je ne me sentirais pas forcément à l'aise ...»

Rouge comme la neige (Casterman) constitue sans aucun doute un des albums marquants de ce premier semestre. Christian De Metter y développe une intrigue très noire sous forme de western crépusculaire. L'auteur assure scénario et dessin avec, de ce côté, un changement radical. Il tourne en effet le dos à son travail « peint » caractéristique pour privilégier un crayonné riche, vif et spontané qui correspond bien à l'histoire. Un projet personnel, un graphisme inattendu... Auracan voulait en savoir plus à propos d'un album aux allures de défi. Qui pouvait mieux nous en parler que Christian De Metter ?

Vous avez abordé différents aspects du mythe américain dans votre bibliographie. Rouge comme la neige est un western, on a presque envie de dire « enfin » ! S'agissait-il d'un choix évident ?

Pour moi, pas du tout. À la base, il ne s'agit vraiment pas de mon univers et ce genre ne m'attirait pas particulièrement en tant que tel. Enfant, j'ai vu beaucoup de westerns hollywoodiens, avec les bons, les méchants et les Indiens, mais ça ne me parlait pas beaucoup. Par contre, en tant que dessinateur, c'est attirant. Les personnages, les chevaux, des décors, les « gueules » que l'on peut créer offrent de belles possibilités. Mais je ne me pose pas vraiment la question du genre ou de l'époque. Au départ, il y a un roman noir et puis je pose le décor qui correspond à l'histoire et qui m'intéresse graphiquement, voilà tout...

On évoque souvent les "codes" du western ou du polar, quels sont-ils pour vous ?

Effectivement, on en parle, mais en existe-t-il une définition ? Des codes, ça peut parfois être bien, mais ça peut assez vite devenir un carcan. J'ai l'impression qu'on les trouve instinctivement, quand on a lu ou vu des polars ou des westerns. Personnellement, je préfère m'attacher aux personnages, à leur humanité, à leur psychologie. Pourquoi agissent-ils de cette manière ou subissent-ils quelque chose, c'est ce que j'essaye de comprendre, et, idéalement, de faire comprendre au lecteur. Il me semble qu'il existe deux grandes options quand on exerce un métier artistique, deux questions que l'on peut se poser : ai-je envie de réinventer le monde ou ai-je envie de comprendre le monde qui nous entoure ? Si la réponse à la première question est positive, alors on se tourne complètement vers l'imaginaire, et de nombreux auteurs le font très très bien. Moi je réponds positivement à la deuxième question. C'est ce qui me motive, me permet de me projeter dans mes personnages, de démonter les engrenages qui les conduisent à agir, d'expliquer sans juger. Parler d'un personnage en le qualifiant de « monstre », par exemple, ne m'intéresse pas. Tout « monstre » provient de l'humanité. Qu'est-ce qui l'a modelé, quel chemin, bon ou pas, a-t-il emprunté ? J'avoue que ce type de questionnement m'obsède un peu.

Dans Piège nuptial, adaptation du roman éponyme de Douglas Kennedy, vous nous offriez déjà de grands espaces avec ces décors australiens. Cela vous a-t'il influencé pour Rouge comme la neige ?

Non, là encore le moteur de l'histoire, ce sont les personnages. Ce qui m'attirait graphiquement dans Piège nuptial, c'était de pouvoir situer une histoire très sombre dans des décors baignés de soleil, de jouer avec les lumières... Mais quand un bouquin est terminé, je passe à autre chose. Après plusieurs adaptations, j'avais également envie de revenir à un projet personnel. Une adaptation permet un certain gain de temps, puisqu'au départ le livre existe. Elle permet aussi de douter un peu moins, alors qu'un projet complètement nouveau et personnel ouvre la porte à pas mal de doutes quant à la pertinence de votre propos, des personnages...

Est-ce cet aspect « projet personnel » qui, dans Rouge comme la neige, vous a conduit à un changement graphique radical et inattendu ?

Il me semblait que c'était ce qui pouvait coller le mieux à l'histoire, tout en donnant une impression que l'on retrouve avec de vieux fascicules, de vieux livres d'époque, un aspect un peu gravure aussi... On a également tous en tête les images d'Indiens de Curtis, en sépia, qui s'ancrent dans cette période. Je ne voulais pas, non plus, m'installer dans une routine. Au niveau de l'écriture, je voulais respecter certaines règles, mais pour le dessin j'avais envie d'aller vers quelque chose dans lequel je ne me sentirais pas forcément à l'aise et qui allait m'amener à vraiment retravailler mon dessin. J'ai donc repris mon crayon, des stylos billes, les couleurs ont été réalisée à l'ordinateur, j'ai joué avec des trames pour renforcer l'aspect « vieil imprimé » en essayant que le résultat soit le plus efficace possible...

Mais cette méthode vous permet cependant, par exemple, de différencier le fil de l'intrigue et le flash-back du massacre de Wounded Knee...

Je tente d'adopter un système graphique qui participe à la narration. Pour ces planches, je voulais retrouver le côté imprécis du monotype, une technique que l'on peut rapprocher de la gravure et qui, à l'impression, donne un résultat un peu flou. Dans ce flash-back, la scène est racontée par quelqu'un, il s'agit de sa vérité à lui. Le flou introduit un doute, entre « sa » vérité et « la » vérité. J'espère que les lecteurs le ressentent de cette façon.

On sent que sur certaines cases vous êtes dans l'expérimentation. Ca passe ou ça casse ?

Complètement, je recherche ce côté instantané, sur le fil, le témoignage d'un instant. Je ne peux pas passer des heures et des heures sur une case, il me semble alors que le résultat manque de vie. Parfois, même si c'est un peu « raté », je conserve ce qui a été fait. Je considère ça, pour moi, comme les clichés d'une époque, qui montrent de quoi j'étais capable ou pas. Ca participe aussi à la sincérité de l'ouvrage. Mais quand vous dites ça passe ou ça casse, oui, il existe un risque dans l'exécution - on peut prendre ça à double sens - et au pire, on peut se fourvoyer complètement et c'est une année de boulot qui passe à la trappe ! Mais c'est intéressant, même si je comprends qu'on puisse aussi faire son truc sans se prendre la tête. Je n'ai pas envie de tricher dans ce métier, il y a pourtant plein de possibilités de le faire, mais j'évite !

On a presque l'impression que vous évoquez une remise en question... Cela aura-t-il un impact sur vos projets à venir ?

Il ne s'agit pas d'une remise en question, mais plutôt d'une manière de me forcer à être plus impliqué. Je me suis mis des bâtons dans les roues : un western, des scènes d'action... De quoi avoir besoin d'être davantage sur le qui-vive que d'habitude. J'avais envie de me pousser et travailler ainsi m'a, en quelque sorte, rassuré. J'avais le sentiment d'avoir perdu le dessinateur dans mon univers beaucoup plus « peint ». Progressivement, je me suis rendu compte que j'avais parfois contourné certaines difficultés de dessin par la peinture, en jouant sur les ombres, les lumières... En travaillant comme je vous l'ai expliqué sur Rouge comme la neige, j'ai vraiment retrouvé beaucoup de plaisir dans le trait, le dessin. Donc, je mets mes pinceaux de côté pour l'instant !

Dans votre page de remerciements, on en retrouve un particulièrement éloigné de la noirceur du contenu de l'album...

Ah oui... Je trouve, généralement, que la nuit est propice à créer, à travailler, mais dans la vie quotidienne il est impossible de fonctionner de cette manière. Par contre, quand un bébé a besoin de ses biberons la nuit, ça change la donne... J'avais l'intrigue de Rouge comme la neige en tête depuis un certain temps, mais j'ai pu écrire le scénario de ce gros bouquin en trois nuits, entre les biberons !

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Pierre Burssens
26/05/2014